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faite par l'Angleterre à l'Espagne le 2 janvier 1762, et dont le dernier paragraphe est ainsi conçu : « Et, attendu qu'il peut se faire que plusieurs sujets du roi d'Espagne demeurent dans notre royaume, nous déclarons par ces présentes que notre royale intention est que tous les sujets espagnols, qui se comporteront comme ils le doivent envers nous, seront sauvegardés quant à leur personne et à leurs effets. »1

48. Si les observations d'Emérigon et de Vattel se bornent aux sujets de naissance de l'ennemi qui se sont établis pour faire du commerce dans le pays d'une puissance belligérante avant que la guerre éclate, il y a beaucoup à dire en faveur de leur opinion que ces personnes ne peuvent être traitées tout de suite en ennemis par la puissance belligérante, eu égard au respect dû à la bonne foi. Il existe une différence manifeste entre elles et les nationaux de naissance sujets de l'ennemi qui se trouvent dans les limites de la juridiction de la puissance belligérante, au commencement de la guerre, par hasard, comme voyageant pour affaires de commerce ou par plaisir. Un étranger qui a établi une maison de commerce dans le pays d'une puissance belligérante, a donné, pour ainsi dire, la garantie de sa bonne conduite et contribue par son industrie et ses capitaux à accroître la prospérité du pays qu'il habite, aussi bien que les citoyens nés dans ce pays. Le gouvernement du pays, de son côté, en lui permettant de s'établir sous sa juridiction à côté de ses sujets de naissance, doit être censé lui avoir accordé sa protection en qualité de citoyen d'adoption, comme à ses sujets de naissance. Il est donc évident que les relations personnelles de cet individu à l'égard du souverain du pays où il s'est établi diffèrent essentiellement des relations personnelles des étrangers de passage in transitu;

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' Cette déclaration de guerre contre l'Espagne est reproduite dans toute sa teneur dans l'Appendice de l'édition qu'a publiée le docteur Pratt des « Notes du juge Story sur les principes et la pratique des cours de prises. Londres, 1854.

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et qu'entre lui et le souverain existe une convention tacite, en vertu de laquelle, tant qu'il obéit aux lois du souverain, celui-ci lui accorde sa protection; mais ses relations de droit strict (stricti juris) à l'égard du souverain du pays où il s'est établi sont déterminées par les lois territoriales, desquelles il était tenu de s'informer lorsqu'il s'est établi tout d'abord dans le pays. Les lois territoriales de chaque pays, pour la plupart, prescrivent, par exemple, certaines conditions auxquelles un étranger peut devenir sujet ou citoyen naturalisé, et, comme tel, jouir dans l'intérieur du territoire de tous les droits et de tous les privilèges d'un sujet de naissance en temps de guerre aussi bien qu'en temps de paix. Mais si un étranger, résidant sur le territoire d'une nation particulière, n'a pas été naturalisé conformément aux prescriptions des lois territoriales de cette nation, son état personnel personal status continue d'être celui d'un étranger, et si la guerre survient entre son pays natal et le pays où il s'est établi, sa relation à l'égard de ce dernier pays sera celle d'un étranger ennemi. Dans de pareilles circonstances une puissance indépendante est, dans l'exercice de son droit strict, autorisée, en cas de guerre, à lui ordonner, ainsi qu'aux autres étrangers ennemis, de quitter ses possessions, quoiqu'il puisse s'y être établi bona fide pour y faire du commerce et y avoir acquis un domicile commercial selon le droit des gens. Mais, en exerçant son droit strict, un souverain belligérant doit observer la bonne foi envers ces personnes et leur accorder un délai raisonnable pour rassembler et transporter leurs marchandises et leurs effets. Il serait tout à fait incompatible avec la bonne foi de les traiter d'une manière sommaire comme des ennemis, à moins que la sûreté publique ne l'exigeât impérieusement, comme, par exemple, si ces personnes étaient liguées avec l'ennemi et se préparaient à prêter la main à une armée d'invasion. Dans ce cas il y aurait mauvaise foi de leur part, et le souverain du pays pourrait incontinent, en toute bonne foi de sa part, exercer son droit extrême de belligérant contre elles.

49. On peut affirmer qu'une pratique, établie depuis longtemps chez les puissances chrétiennes de l'Europe, et de laquelle ce serait un acte immoral de la part de l'une d'elles de se départir sans avis préalable, prescrit de s'abstenir de saisir les effets des commerçants étrangers, qui résident sur leur territoire pour y faire du commerce, au moment où la guerre éclate. Une des clauses de la grande Charte du roi Jean (15 juin 1245) portait que « tous les commerçants (à moins d'interdiction publique préalable) pourront avoir un sauf-conduit pour sortir d'Angleterre, y venir, séjourner et voyager afin d'exercer le commerce, sans payer d'impôt déraisonnable, si ce n'est en temps de guerre; et que si la guerre vient à éclater avec leur nation, ils seront arrêtés (s'ils sont en Angleterre) sans atteinte à leur personne ou à leurs marchandises, jusqu'à ce que le roi ou son grand justicier ait appris la manière dont les commerçants anglais sont traités dans le pays ennemi ; et si les commerçants anglais y sont en sûreté, alors les commerçants ennemis jouiront de la même sûreté. »'Il paraîtrait aussi qu'autrefois en Angleterre l'usage était de mettre l'embargo sur les commerçants ennemis au commencement de la guerre et de les relâcher ensuite moyennant l'observation de conditions de réciprocité. Tel fut également l'usage des nations scandinaves; et un passage de Matthieu Paris semble indiquer que l'ancienne pratique des rois de France n'était pas de saisir la personne ou les marchandises des commerçants ennemis résidant dans leurs États au moment où une guerre éclatait; car il blâme comme contraire au devoir et dérogeant à l'antique dignité du royaume la conduite de Louis IX de France, qui, en 1242, avait fait arrêter, au commencement de la guerre, la personne et les marchandises des commerçants anglais qui faisaient du commerce dans le royaume. Henri III d'Angleterre, en apprenant la sévérité du roi de France, usa immédiatement de représail

1 Blackstone's Charters, p. XIII. Stubb's Select Charters, p. 293. 2 Stiernhöök, de jure Suconum, L. III, Ch. 4.

les contre la personne des commerçants français résidant en Angleterre.

Quel qu'ait été l'usage en France au XIII° siècle, il est probable que les intérêts du commerce international n'avaient pas à cette époque fait naître une règle fixe chez les nations; mais, au milieu du XIV° siècle (année 1354), nous trouvons dans les lois de l'Angleterre une disposition expresse prescrivant que les commerçants étrangers résidant en Angleterre, au moment où une guerre éclatait, devaient recevoir par proclamation, quarante jours à l'avance, l'avis d'avoir à sortir du royaume avec leurs marchandises ; et si par raison d'accident ils en étaient empêchés, un nouveau délai de 40 jours devait leur être accordé pour emporter leurs marchandises, avec liberté de les vendre. L'exemple de l'Angleterre en la matière fut bientôt après suivi par le roi de France Charles V, qui publia une ordonnance déclarant que les commerçants étrangers faisant du commerce en France au moment d'une déclaration de guerre n'auraient rien à craindre, car ils auraient la faculté de s'en aller librement avec leurs effets.

50.- Au XVe siècle l'importance du commerce international commença à être généralement appréciée par les gouvernements, d'autant plus que la Confédération des Villes Hanséatiques donna une grande influence politique aux intérêts mercantiles, et nous voyons, en 1483, le roi de France Louis XI conclure avec ces villes un traité aux termes duquel les commerçants de la Confédération Hanséatique

Rex Francorum mercatorum Angliæ corpora cum suis bonis, per regnum negotiantium, secus quam decuit, capi feraliter imperavit, lædens enormiter in hoc facto antiquam Galliæ dignitatem. Cum autem hujus protervitatis infamia aures et cor regis Angliæ tetigisset, jussit similiter ut per regnum Anglorum mercatores regni Galliæ subirent merito talionem. Matt. Paris, Chron. Majora. Ao 1242, Tom. IV, p. 198. Lond., 1877.

* Statute of Staples, 27, Edouard III, Ch. 17.

Hénault. Abrégé chronologique de l'Histoire de France, L. I,

p.

338.

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devaient être libres de demeurer dans les possessions françaises pendant un an après le commencement d'une guerre, avec protection de leur personne et de leurs marchandises. Dans le siècle suivant on en vint à stipuler ordinairement dans les traités de commerce qu'un délai, variant de trois mois à deux ans, 1 devait être accordé aux sujets des parties contractantes, après une déclaration de guerre, pour sortir du pays ennemi et en emporter en sûreté leurs marchandises et leurs effets. C'est principalement la France qui paraît avoir pris l'initiative de la négociation des traités de ce genre. Ainsi nous voyons se conclure, en 1662, entre la France et les États-Généraux des Provinces-Unies un traité, suivant lequel un délai de six mois était accordé aux sujets de l'une ou l'autre partie contractante, dans le cas où une guerre surviendrait entre elles, pour sortir du pays ennemi avec leurs marchandises et leurs effets. Un traité dans des termes analogues fut conclu peu de temps après (31 juillet 1667) entre l'Angleterre et les États-Généraux. Lorsque de semblables engagements n'avaient pas été contractés par des traités, tout ce que la bonne foi pouvait exiger, c'était qu'un délai raisonnable fût accordé aux marchands pour sortir d'un pays ennemi. Aussi lisons-nous que Louis XIV, roi de France, en déclarant la guerre à l'Angleterre le 26 janvier 1666, quoiqu'il ne se fût engagé par aucun traité avec cette puissance à accorder un délai fixe aux commerçants anglais pour sortir de ses Etats, publia néanmoins, le 1er février 1666, une proclamation exposant que sa déclaration de guerre n'était pas destinée à agir contre les individus de la nation anglaise qui résidaient en France avec des intentions pacifiques, mais qu'ils pouvaient se retirer en sûreté avec

1 Dumont, Corps diplomatique, L. III, p. 23.

2 Dans le traité entre le Portugal et les Etats-Généraux (6 août 1660), il est stipulé «< que les sujets de l'une ou de l'autre puissance, si la guerre venait à éclater entre elles, auraient deux ans pour emporter leurs marchandises. La longueur de ce délai s'explique par cette circonstance, que l'une des parties contractantes ou même toutes les deux avaient des colonies ou des dépendances aux Indes orientales ou occidentales.

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