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ciens, conforme à la pratique des nations, comme une restriction du droit naturel du belligérant de mettre ses ennemis à mort, a subi encore une plus large restriction, grâce au développement des relations des nations en temps de paix; et que ce droit ne saurait être aujourd'hui exercé par une puissance belligérante sans une odieuse dérogation à une pratique moins rigoureuse, à laquelle tous les belligérants sont de bonne foi obligés de se conformer.

53. L'exercice du droit d'une puissance belligérante de saisir et de confisquer les biens de l'ennemi trouvés sur son territoire au commencement de la guerre a subi aussi une modification considérable; car il n'est pas d'usage de saisir et de confisquer les biens de l'ennemi qui se trouvent à terre, ni les dettes contractées par la puissance belligérante ou par ses sujets avec l'ennemi avant que la guerre ait éclaté. « La raison ne fait point de distinction entre les dettes contractées sous la foi des lois et la propriété acquise dans le cours des opérations de commerce; et quoique, en pratique, les navires avec leurs chargements, qui se trouvent dans un port au moment de la déclaration de la guerre, puissent être saisis, on ne croit pas que l'usage moderne sanctionnerait la saisie des biens d'un ennemi, lesquels se trouvent à terre et ont été acquis pendant la paix dans le cours de son commerce. » Tel est le langage d'un jurisconsulte américain des plus éminents, le grand juge Marshall. 1

54. Le juge Story, par contre, semble combattre l'idée que l'exercice du droit de saisie et de confiscation ait été modifié par l'usage, quoiqu'il admette que l'exception faite par Vattel, savoir que le souverain qui déclare la guerre ne peut retenir ni la personne ni les effets des sujets de l'ennemi qui se trouvent dans ses États au moment de la décla

1 Brown contre les États-Unis, 8. Cranch, p. 123. Jugements de la Cour suprême des États-Unis.

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ration, parce qu'ils sont venus chez lui sur la foi publique >> 1 soit très raisonnable en soi, en tant que limitée aux effets des personnes qui se trouvent dans le pays. Mais, même dans ces limites, dit-il, elle ne paraît pas être observée dans la pratique; et Bynkershoek est une autorité dans le sens contraire. Mais le juge Story, en voulant appuyer par des exemples l'exercice du droit d'hostilité, summum jus, en pareilles matières, ne cite pas d'autres cas que ceux de l'embargo mis sur des navires et des chargements ennemis trouvés à flot dans les ports d'un belligérant au commencement de la guerre, et de leur confiscation définitive comme prises de guerre. « Quant au droit d'un État de saisir les navires et les chargements qui se trouvent dans ses ports au moment où éclate la guerre, je ne le vois », dit-il, «< nié par aucune des autorités considérées à juste titre comme ayant le plus de poids; c'est pourquoi je pense que la règle du droit des gens est que dans tous les cas cet exercice d'autorité est légitime et dépend du sage arbitre du souverain. » On voit donc que le juge Story, dans la pratique, ne soutient pas autre chose que l'exercice limité du droit d'hostilité à l'égard de la propriété ennemie trouvée à flot dans les ports de la nation belligérante au commencement de la guerre; or tous les jurisconsultes s'accordent à reconnaître l'exercice de ce droit comme parfaitement légitime sous la juridiction de l'Amirauté. Mais quand le juge Story va plus loin et émet l'avis qu'une puissance belligérante peut légitimement autoriser la confiscation de la propriété ennemie partout où le droit des gens, rigoureusement appliqué, en justifie la saisie, et que, quelque odieux que cela soit jugé dans les temps modernes, une puissance belligérante a le droit de confisquer toutes les créances dues par ses sujets à ceux de l'ennemi, il devient nécessaire d'établir une distinction entre l'existence d'un droit que la ri

1 Vattel, Droit des gens, Liv. III, Ch. IV, § 63.

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Bynkershoek, Quæst, jur. pub., Liv. I, Ch. II, III, VII.

Tw. - II.

gueur du droit des gens attache au pouvoir souverain de tout État indépendant, et l'exercice de ce droit tel qu'il est régi par l'usage des nations. Le gouvernement exécutif de tout État belligérant peut invoquer le droit naturel pour justifier la confiscation de la propriété ennemie, sous quelque forme que ce soit, s'il la trouve dans un endroit où elle est soumise à sa souveraineté ; cependant il peut exister une restriction imposée par l'usage des nations à l'exercice par un État belligérant de son droit extrême de souveraineté dans certains cas, restriction que cet État ne peut transgresser sans faillir à la bonne foi.

Les règles de droit, que les tribunaux sont tenus d'appliquer, ne sont pas toujours identiques avec les règles de conduite, que les nations sont obligées d'observer dans leurs rapports les unes avec les autres. Les fonctions du corps judiciaire dans tous les États sont définies par l'autorité souveraine de l'État, relativement à la loi qu'il est appelé à appliquer; de même les tribunaux judiciaires peuvent être ainsi limités et contrôlés dans leur compétence par le pouvoir exécutif; or il n'appartient pas au corps judiciaire de critiquer ou de mettre en doute la bonne foi de l'État, si celui-ci l'a autorisé à appliquer le summum jus des belligérants. Mais entre nations la bonne foi doit être respectée, au sacrifice du droit absolu; et s'il était incompatible avec la bonne foi internationale qu'un État exerçât le summum jus de belligérant en certaines matières, il serait contraire au droit des gens moderne qu'un État autorisât ses tribunaux à appliquer le summum jus de belligérant en ces matières. Le juge Story semble être d'opinion que les nations étrangères, avec lesquelles il n'existe pas de traité contraire, pourraient seulement se plaindre d'un pareil acte comme étant une violation des usages politiques modernes ; mais ce sujet paraît reposer sur des bases plus solides. que celles de la simple politique. Le juge Story pense, et sous ce rapport il est d'accord avec tous les jurisconsultes, que si une nation stipule, dans un traité de commerce avec une autre,

que, dans le cas où la guerre viendrait à éclater entre elles, elles s'abstiendraient mutuellement d'exercer leur droit extrême de belligérants en certaines matières, l'une de ces nations aurait un juste motif de plainte, si l'autre ne conformait pas sa conduite aux stipulations du traité; mais, en soutenant cette opinion, le juge Story concède l'ensemble de la question et maintient l'obligation de bonne foi, au sacrifice du droit absolu; car la guerre fait cesser, ou du moins suspend les obligations des traités de commerce particulièrement, et, après que la guerre a éclaté, il ne reste d'autre obligation que celle de la bonne foi pour entraver l'exercice de la part des nations de tous les droits auxquels l'état de guerre donne naissance. Des stipulations de traités en pareilles matières servent uniquement à donner une plus grande précision aux obligations de bonne foi; mais elles ne sont pas nécessaires pour créer ces engagements qui peuvent naître et être également obligatoires sans qu'il soit aucunement besoin de les formuler par écrit. Un contrat spécial de fait diffère seulement d'un contrat tacite ou implicite comme mode de preuve. '

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55. Le droit d'une puissance belligérante de confisquer les dettes contractées par elle-même ou par ses sujets en temps de paix avec des individus que la déclaration de guerre a revêtus tout à coup du caractère ennemi, repose en grande partie sur le même principe que le droit de confisquer la propriété des sujets ennemis, qui se trouve dans le pays d'un belligérant au commencement de la guerre. Le chancelier Kent, de son côté, considère l'objection au droit de confiscation en cas de créances comme beaucoup plus

'L'affaire Brown contre les Etats-Unis (8. Cranch, p. 121) était un appel à la Cour suprême des Etats-Unis d'un jugement rendu par le juge Story à la Cour de circuit du Massachusetts. The Emulous, 1, Gallison, p. 136.

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Chief justice Erle, in Kennedy v. Brown. Queen's Bench, janv. 16, 1863.

forte que l'objection au droit de confiscation de la propriété tangible de l'ennemi. On peut admettre que si le droit extrême de belligérant doit s'exercer contre l'ennemi, celui-ci est, en droit strict, absolument à la merci de son adversaire; et l'on ne peut poser à l'exercice du summum jus d'autres limites que celles que peut dicter la compassion pour le vaincu. Mais ce n'est pas dans cet esprit que la guerre se poursuit entre les nations chrétiennes. Les meilleurs et les plus sages des hommes d'État, dont la tâche a été plus spécialement de régler les rapports mutuels des peuples, se sont constamment efforcés de mitiger l'exercice du droit d'hostilité entre les nations; et quelles qu'aient été les restrictions que, grâce à leur influence, la pratique des nations ait imposées à l'exercice du summum jus, les nations, prises isolément, ne peuvent en faire revivre l'exercice sans violer la bonne foi. Vattel, qui considère que le summum jus du belligérant justifie la confiscation de créances dues à son adversaire, dit : « Aujourd'hui l'avantage et la sûreté du commerce ont engagé tous les souverains de l'Europe à se relâcher de cette rigueur. Et dès que cet usage est généralement reçu, celui qui y donnerait atteinte blesserait la foi publique; car les étrangers ne se sont fiés à ses sujets que dans la ferme persuasion que l'usage général serait observé. »1 Bynkershoek est le seul jurisconsulte éminent qui regarde comme matière de droit commun la confiscation par un souverain belligérant, au commencement de la guerre, des créances dues par lui ou par ses sujets à l'ennemi. On trouve toutefois dans Grotius et Pufendorf des passages fréquemment cités comme s'accordant avec la manière de voir de Bynkershoek; mais, si on les examine avec soin, on s'aperçoit que ces passages touchent à un autre. sujet, savoir: le droit d'un belligérant, qui est en possession du pays ennemi par droit de conquête, de s'approprier les créances dues par des nations neutres à l'ennemi qu'il

1 Droit des gens, Liv. III, Ch. V, § 77.

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