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a conquis, ainsi que la propriété tangible de cet ennemi. L'exemple donné par ces deux écrivains est celui d'Alexandre le Grand, qui, après être devenu par conquête maître de la ville et de l'État de Thèbes, fit remise aux Thessaliens d'une créance qu'ils devaient aux Thébains. Dans ce cas le vainqueur se considérait comme ayant, par droit de conquête, succédé à l'État vaincu dans son droit d'exiger la créance qui lui était due par les Thessaliens ou d'en faire remise; or Grotius prétend que cette transaction était bien fondée en droit en raison de la conquête et de la soumission absolues de la ville et de l'État de Thèbes : « Nam qui dominus est personarum, idem et rerum est, et juris omnis quod personæ competit. » Mais une chose est de prétendre au domaine sur des droits incorporels annexes à des objets corporels, tels que des villes ou des pays, pour le motif que ces objets corporels sont mis en notre possession par la conquête; et autre chose est d'y prétendre sur des droits incorporels appartenant à des personnes, surtout quand ces personnes n'ont pas été faites prisonnières.

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56. C'est un point de droit bien compris que si un sujet d'un État est pris par un ennemi, ses biens, qui n'ont pas été pris avec lui, ne sont pas acquis par le vainqueur, mais échoient à celui qui aurait été son héritier légitime, s'il était mort de mort naturelle. « Comment donc », demande Lord Ellenborough, « les biens appartenant à une personne qui n'a pas été faite prisonnière peuvent-ils être acquis légalement par un ennemi, qui n'est conquérant ni par rapport à la personne ni par rapport à la chose? »

Lord Ellenborough, quand il eut l'occasion de faire l'observation qui précède, rendait jugement, à la cour du Banc de la Reine, en 1817, dans un procès intenté par un sujet

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1 Liv. III, Ch. VIII, tit. IV, § 2. Qui possidetur, non possidet sibi, nec in potestate habet, qui non est suæ potestatis.

Pufendorf, Liv. VIII, Ch. VI, § 19.

Wolff, v. Oxholm; 6. Maule et Selwyn, p. 92,

anglais contre un sujet danois à propos d'une créance que ce dernier prétendait avoir été confisquée par le gouvernement du Danemark en vertu d'une ordonnance publiée au commencement de la guerre avec la Grande-Bretagne en 1807. Lord Ellenborough dit que la Cour n'avait pu découvrir qu'il y eût jamais une époque où ce fût l'usage général des nations de confisquer les créances; que, bien que Bynkershoek eût cité plusieurs cas de confiscation de ce genre au XVI et au XVIIe siècle, et qu'il existât une décision isolée, rendue vers le milieu du XVI° siècle par un tribunal de Paris contre un flamand, qui poursuivait un français en recouvrement d'une créance dont il avait versé le montant au Trésor français en obéissance d'un décret français pendant la guerre entre les deux nations, on ne pouvait trouver dans l'espace de plus d'un siècle un seul exemple d'une confiscation de ce genre, tandis que le droit n'était pas reconnu par Grotius et était combattu par Pufendorf et d'autres publicistes. Lord Ellenborough décida en conséquence que,comme l'ordonnance danoise n'était pas conforme à l'usage des nations,la Cour n'était pas obligée d'en tenir compte. Lord Alvanley, dans l'affaire Furtado contre Rogers (3 Bosanquet et Puller, p. 191), s'exprime ainsi : « Relativement à l'argument que tous les contrats faits avec l'ennemi échoient pendant la guerre au profit du roi, qui peut exiger le paiement des créances dues par ses sujets à l'étranger ennemi, nous ne pensons pas que cet argument soit d'une grande valeur. Ce mode d'agir n'a jamais été adopté, et il n'est pas probable qu'il le soit jamais, tant à cause des difficultés qu'il présente, que par la répugnance qu'il y a à mettre en vigueur la prérogative. » Il est à remarquer que Bynkershoek même1 reconnaît que de son temps on avait des doutes sur le point de savoir si les droits incorporels d'un ennemi pouvaient être confisqués par un belligérant;

De incorporalibus tamen, ut sunt actiones et credita, dubitari video et dubitasse quin et aliquando contradixisse nostros ordines. Quæst. jur. publici, Liv. I, Ch. VII.

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et il cite l'exemple des États-Généraux refusant, le 6 juillet 1673, d'obéir à une ordonnance du roi de France, qui confisquait certaines créances dues par des sujets français à des sujets des États-Généraux. Le juge Story n'est donc pas strictement justifié d'affirmer que jusqu'en l'année 17371 on peut considérer comme étant l'opinion des jurisconsultes : que le droit d'un belligérant de confisquer les créances dues à son ennemi au commencement de la guerre était incontestable. Cet éminent jurisconsulte, dans l'un ni l'autre de ses jugements que nous venons de mentionner, ne tient aucun compte de la décision de la Cour du Banc du roi, séant à Westminster, dans l'affaire Wolff contre Oxholm. Par contre le Chancelier Kent se réfère à ce jugement dans une note, et reconnaît que toute la force du raisonnement, ainsi que l'opinion des auteurs modernes qui font autorité, repousse la prétention de la part d'un souverain belligérant au droit de confisquer les créances et les fonds des sujets de l'ennemi pendant la guerre. « Ce droit », ajoute-t-il, « était reconnu par les Cours américaines comme un droit stricto jure réglé et défini, quoiqu'en même temps on considérât que l'usage général était de s'abstenir de saisir et de confisquer les dettes et les créances; nous devons donc poser comme principe de droit public, dans la mesure comprise et admise par les plus hautes autorités judiciaires des États-Unis, qu'il reste à la discrétion du pouvoir législatif des États-Unis de décider, par une loi spéciale à cet effet, la confiscation des dettes contractées par nos citoyens et dues à l'ennemi; mais, comme le fait observer la même autorité, ce droit est contraire à l'usage général; il peut donc être regardé comme un droit sans fondement et impo

1 Le juge Story adopte l'année 1737 comme étant la date de la publication de l'ouvrage de Bynkershoek, Quæstiones juris publici; mais Wheaton fait justement remarquer que Bynkershoek ne mentionne aucun récédent plus récent que l'année 1667, 70 ans avant la publication de sn livre.

The Emulous, 1, Gallison, p. 563. Brown v. the United_States, 8. Canch., p. 121.

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litique, condamné par la conscience et le jugement éclairé des temps modernes. » Wheaton révoque en doute la solidité de la décision de la Cour du Banc de la Reine dans l'affaire Wolff contre Oxholm; mais il reconnaît que le droit n'existe que théoriquement et n'est que rarement ou jamais exercé pratiquement. Emérigon, Klüber, Chitty, Manning et Phillimore s'accordent à soutenir que le droit des gens moderne répudie la confiscation des créances dues à l'ennemi au commencement de la guerre ; et il est hors de contestation que si une autorité souveraine exerçait aujourd'hui le droit extrême du belligérant de confisquer les créances dues par ses sujets aux sujets ennemis, les autres nations seraient justifiées par les usages modernes à refuser de reconnaître cette façon d'éluder les contrats en ce qui regarde leurs sujets respectifs.

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Quoi qu'il en soit, la guerre, tout en ne pouvant pas affranchir les parties des obligations d'un contrat qui était valide dans l'origine, suspend, jusqu'au rétablissement de la paix, les poursuites qu'en entraînerait la non-observation. C'est la doctrine de tous les auteurs qui ont écrit avec quelque autorité sur le droit des gens, et c'est aussi une règle des ordonnances maritimes de toutes les grandes puissances de l'Europe que la guerre met fin à tout commerce entre les sujets des puissances belligérantes en conflit ; et cette doctrine est conforme à l'usage universel et immémorial des nations civilisées. C'est pourquoi tous les contrats faits avec l'ennemi pendant la guerre sont légalement nuls, c'est-à-dire que les cours judiciaires n'y donnent point suite exécutoire; mais la même nécessité, qui interdit à un belligérant d'accorder à ses sujets la faculté de passer des contrats avec l'ennemi pendant la guerre, l'autorise à défendre à ses sujets d'accomplir leurs contrats faits avant la guerre, jusqu'à c que la nécessité d'affaiblir l'ennemi en interceptant ses ap 1 Commentaries, T. I, p. 65.

2 Elements, p. IV, Ch. I, § 12.

provisionnements n'ait plus de raison d'être par suite de la cessation de la guerre. « C'est unprincipe de droit», dit Lord Stowell,'«< que pendant l'état de guerre il existe une incapacité absolue de poursuivre l'exécution d'un contrat par un appel aux tribunaux d'un pays de la part des habitants de l'autre pays. D'après la législation de presque tous les États, le caractère d'étranger ennemi implique en soi l'incapacité d'ester en justice ou de soutenir, selon le langage des juristes de droit civil, le rôle de demandeur ou de défendeur, persona standi in judicio. Le droit particulier de notre pays fait une application rigoureuse de ce principe. Le même principe est reçu dans nos cours du droit des gens : ces cours sont si foncièrement des tribunaux anglais que quiconque est sujet de l'ennemi ne peut y avoir recours, à moins d'être dans des circonstances particulières, qui pour le cas,pro hac vice, enlèvent à l'individu le caractère d'ennemi, comme si, par exemple, il se présentait porteur d'un drapeau de trève, d'un cartel, d'une passe ou d'un sauf-conduit, ou de quelque autre acte émanant d'une autorité publique, qui le mît sous la paix du Roi pro hac vice; mais autrement il est entièrement hors la loi, exlex. Or le droit de l'étranger de faire exécuter un contrat, qui est suspendu tant qu'il est un étranger ennemi, revit dès que le même individu reprend le caractère d'étranger ami. Telle est la doctrine soutenue par les cours anglaises de droit et d'équité. Le lord chancelier Eldon, en admettant un étranger ennemi à faire valoir une créance contre la faillite d'un négociant anglais, dit : S'il s'était agi d'une créance provenant d'un contrat passé avec un étranger ennemi pendant la guerre, la réclamation ne pourrait pas être soutenue, parce que le contrat serait nul; mais si les deux nations étaient en paix à la date du contrat, quoique le créancier n'eût pu en poursuivre l'exécution depuis que la guerre existe, cependant, comme le contrat était valide dans l'origine, le droit revivrait lors du réta1 The Hoop, I, Robinson, p. 201.

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Ex parte Bousmaker, 13, Vesey's Reports, p. 71.

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