Page images
PDF
EPUB

ne s'applique point aux chemins, qu'ils soient publics ou simplement chemins d'exploitation;

L'art. 33 de la loi du 20 août 1881 déclarant, pour les chemins d'exploitation, que chaque riverain est propriétaire du sol du chemin en droit soi, suivant une ligne médiane, ne change pas son caractère, qui consiste à servir dans toutes ses parties au commun usage de tous les riverains; cet usage ne saurait être limité à la circulation et au passage; il comporte encore le droit de planter en bordure du chemin pourvu que la distance légale soit observée ; Et cette distance doit être comptée, non pas de la ligne médiane, mais de la limite des héritages en bordure du chemin.

LA COUR,

RUBIS C. DAGUET.

Sur le premier moyen pris de la violation des art. 544, 671, 673 C. civ., des règles en matière de clôtures mitoyennes, de la fausse application des art. 1382 et 1383 C. civ., et de la violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810 ; Attendu qu'il n'échet de s'arrêter aux motifs sur lesquels le juge du fait a fondé sa décision, en ce qui concerne l'élagage des arbres plantés en bordure du chemin commun entre les parties, ces motifs tirés du défaut d'intérêt des propriétaires de ce chemin et de l'absence pour eux de tout préjudice actuel ; qu'il importe uniquement de rechercher, en ce qui touche la distance des plantations de ces mêmes arbres prescrite par l'art. 671 C. civ., à partir de quel point cette distance doit être calculée ;

Or, attendu que l'art. 671 ne peut être considéré comme s'appliquant aux chemins, qu'ils soient publics ou simplement chemins d'exploitation ; que si, pour cette dernière catégorie, l'art. 33 de la loi du 20 août 1881 déclare que chaque riverain est propriétaire en droit soi, suivant une ligne médiane, cette disposition nouvelle n'enlève pas au chemin son caractère qui consiste à servir dans toutes ses parties au commun usage des riverains; que cet usage ne saurait être limité à la circulation et au passage, qu'il comporte encore le droit de planter en bordure du chemin pourvu que la distance légale soit observée ; Attendu que si le jugement attaqué a donné une autre base juridique à sa décision en prenant pour limite de la distance légale des plantations la ligne médiane du chemin, cette erreur a été sans influence sur la solution du litige puisqu'il est constaté qu'en fait la distance des plantations de la dame Daguet arrêtée à la ligne médiane est supérieure à la distance prescrite par l'art. 671 précité et qu'il en est de même et à plus forte raison de cette distance prolon gée par delà cette ligne jusqu'au bord opposé du chemin, d'où il suit que le jugement attaqué n'a ni violé ni faussement appliqué les textes visés au moyen ; Sur le deuxième moyen...

[ocr errors]
[ocr errors]

Du 12 avril 1910. Cour de cassation (Ch. des req.). MM. Tarnon, prés.; Potier, rapp.; Melcot, av. gén. (concl. conf.).— Me Labbé,

av.

(Gazette du Palais, n° du 13 mai 1910.)

Observation. Cet arrêt est conforme à une jurisprudence déjà inaugurée, au sujet des chemins d'exploitation, par la Chambre civile, 25 juin 1895, Raguin c. Dazu (P., 95, 1, 345). Dans l'arrêt de 1895, il s'agissait d'un riverain qui avait élevé une construction en bordure du chemin d'exploitation, avec ouverture de portes et fenêtres, ce que le requérant estimait contraire à l'art. 678 C. civ., d'après lequel on ne peut avoir des vues droites sur l'héritage du voisin s'il n'y a 19 décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage. Et l'art. 33 de la loi du 20 août 1881, déclarant que chaque riverain d'un chemin d'exploitation est propriétaire du sol de ce chemin en droit soi jusqu'à la ligne médiane, on soutenait que la distance de 19 décimètres devait être comptée à partir de cette ligne médiane, et non pas à partir de la limite de l'héritage riverain. Mais la Chambre civile décida que le commun usage du chemin, consacré par la loi de 1881, ne devait pas être restreint à la circulation et au passage; en d'autres termes, elle ordonna de faire abstraction, pour la computation de la distance, du sol de ce chemin, de sorte que c'eût été seulement au cas où le chemin aurait eu une largeur de moins de 19 décimètres que l'ouverture de vues droites eût été défendue au riverain.

La question se posait dans des conditions identiques pour le droit de plantation d'arbres, et la solution devait être la même. Notre arrêt reproduit entièrement les motifs de celui de 1895, en les appliquant à l'art. 671 C. civ. Depuis la loi du 20 août 1881, il n'est permis d'avoir des arbres de haute tige près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance de 2 m. de la ligne séparative des deux héritages. Si ces héritages sont séparés par un chemin d'exploitation, cette situation ne changera rien à la computation de la distance de 2 m. ; on devra toujours la compter de la limite des fonds riverains, et non de la ligne médiane du chemin, dont l'usage commun doit aussi s'étendre à tous les attributs de la propriété. C'est donc seulement si le chemin a moins de 2 m. de largeur que la plantation d'arbres peut être défendue.

Sur les chemins d'exploitation et leur importance en forêt, voir notre Cours de Droit forestier, tome II, nos 878 et 1657; sur la distance des arbres, id., nos 952 et 1658.

COUR DE CASSATION (Chambre civile).

(Deux arrêts).

[ocr errors]

Ch. G.

18 Octobre 1911

Responsabilité des architectes ou entrepreneurs. Vioes cachés des bois de construction.

Le contrat par lequel le propriétaire d'un terrain charge un

architecte et un entrepreneur d'y construire un édifice, constitue non une vente, mais un louage d'ouvrage. Il en est ainsi lors même que l'entrepreneur fournit, avec son travail, les matériaux de la constraction. Dès lors, on ne peut appliquer à ce contrat les règles de la garantie qui concernent exclusivement la vente.

Spécialement, les juges du fond ont appliqué à tort ces règles de la garantie, lorsqu'ayant constaté qu'à la suite d'une construction pour laquelle un entrepreneur a fourni les bois, sans prix fait, ces bois avaient été détruits par des champignons qui les infestaient avant leur emploi, ils décident que l'entrepreneur est responsable des vices cachés dont étaient atteints les bois par lui vendus (11e espèce).

Lorsque, par un marché à la série de prix, un propriétaire a chargé un architecte de diriger la construction d'une maison, et un entrepreneur de fournir les bois et d'exécuter la charpente, si, après l'achèvement des travaux, les bois contaminés par des champignons ont dû être remplacés, les juges qui, par des constatations souveraines, déclarent qu'au moment de l'emploi et de la réception rien ne permettait de supposer que les bois contenaient des germes de destruction, écartent à bon droit la prétention du propriétaire de mettre à la charge de l'entrepreneur la garantie des vices cachés des bois vendus, en décidant que ni l'architecte ni l'entrepreneur n'ont commis de faute, et que l'action en responsabilité intentée contre eux doit être repoussée (2o espèce).

1re espèce BoUET C. PÉNEAU ET AUTRES

LA COUR: ... Vu l'art. 1787, C. civ.; Attendu que le contrat par lequel le propriétaire d'un terrain charge son entrepreneur d'y construire un édifice constitue, non une vente, mais un louage d'ouvrage, même lorsque l'entrepreneur fournit, avec son travail, les matériaux de la construction ; qu'on ne peat appliquer à ce contrat les règles spéciales concernant la garantie en matière de vente; Attendu que, des constatations de l'arrêt attaqué, il résulte que la dame Péneau a chargé Bouet des travaux de charpente de plusieurs maisons qu'elle a fait construire à Nantes sur des terrains lui appartenant, et que celui-ci a fourni les poutres et les bois nécessaires, sans prix fait; que, peu de temps après l'achèvement des travaux, de graves désordres s'étant produits dans les constructions, il a été reconnu, à la suite d'expertise, qu'ils provenaient de certains champignons qui avaient contaminé les bois avant leur emploi ; Attendu que, tout en déclarant qu'au moment de l'emploi et de la réception des travaux; Bouet ne pouvait pas savoir que les bois contenaient des germes de destruction, et qu'aucune faute ne pouvait lui être imputée, l'arrêt a décidé que cet entrepreneur était responsable des vices cachés dont étaient atteints les bois par lui vendus » ; qu'en statuant ainsi, et en appli

quant à un contrat de louage d'ouvrage les règles spéciales concernant la garantie en matière de vente, la Cour d'appel de Rennes a violé l'article de loi ci-dessus visé ;...

Cass., etc.

[ocr errors]

Du 18 octobre 1911. Cour de cassation (ch. civ.) MM. BallotBeaupré, 1°r prés. ; Douarche, rapp.; Lombard, av. gén. (concl. conf.), Bonnet, Gosset et Mornard, av.

2o espèce: BUSSY C. Dlle GOUX ET AUTRES

-

LA COUR: - ... Attendu que, des constatations de l'arrêt attaqué, il résulte que, par un marché à la série de prix, Bussy a chargé les architectes Chevallet et Burel de diriger les travaux de construction d'une maison sur un terrain Jui appartenant, et l'entrepreneur Descôtes de l'exécution des travaux de charpente, avec fourniture des bois; que, deux ans après l'achèvement des travaux, les planches et une partie des charpentes étaient « pourris », et ont dû être remplacés ; qu'à la suite d'une expertise les dégâts ont été attribués à certains champignons qui avaient contaminé les bois; mais qu'au moment de l'emploi et de la réception rien ne permettait aux architectes et à l'entrepreneur de supposer que les bois contenaient des germes de destruction; Attendu que, de ces constatations souveraines, l'arrêt a pu déduire que Bussy n'a pas établi que ce fût par la faute des architectes ou de l'entrepreneur qu'il aurait subi un préjudice ; Attendu que vainement le pourvoi soutient que Descôtes devait être déclaré garant des vices cachés des bois par lui fournis ; qu'en effet le contrat par lequel le propriétaire d'un terrain charge des architectes et un entrepreneur d'y construire un édifice constitue, non une vente, mais un louage d'ouvrage, même lorsque l'entrepreneur fournit, avec son travail, les matériaux de la construction; qu'on ne peut appliquer à ce contrat les règles spéciales concernant la garantie en matière de vente; Attendu qu'en statuant comme il l'a fait l'arrêt, dûment motivé, n'a violé aucun des articles de loi visés par le pourvoi ; Rejette, etc...

Du 18 octobre 1911.

-

Cour de Cassation (ch. civ.).— MM. BallotBeaupré, 1er prés.; Douarche, rapp.; Lombard, av. gén. (concl. conf.); Boivin-Champeaux, Bailly et Mornard, av.

[ocr errors]

(Pal., 1912, 1,449; D. P., 1912, 1,'113.)

Observation. Par ces deux arrêts, la Cour de cassation établit une jurisprudence très favorable sans doute aux architectes ou entrepreneurs, mais assez dure pour les propriétaires, dont les maisons sont envahies par les champignons saprophytes, lorsque le marché d'entreprise a eu lieu sur série de prix et que les bois viciés ont été fournis par l'entrepreneur. Dans ces circonstances, il paraissait admis, en vertu d'arrêts antérieurs de Cours d'appel, que le contrat passé entre le propriétaire et l'entrepreneur ayant un caractère mixte, louage d'ouvrage d'une part, vente de matériaux d'autre part, le propriétaire était en

droit d'invoquer, en cas de dégradations causées par l'emploi de mauvais matériaux, la garantie de l'art. 1641, C. civ., en suite de laquelle le vendeur répond des vices cachés de la chose vendue, sans que l'on ait à démontrer qu'une faute a été commise dans l'exécution du contrat. C'est cette décomposition de la convention en deux contrats distincts que refuse la Cour de cassation, bien que la théorie des contrats mixtes ait été soutenue et qu'elle soit défendue par plusieurs auteurs. Voir à ce sujet : Planiol, note sur les arrêts de Cassation du 18 octobre 1911, D. P., 1912, 1,113; et Gaudemet, id., S. et P., 1912, 1,449. Voir aussi, sur l'arrêt de Rennes du 3 juillet 1908, Revue, 1909, 175, et sur l'arrêt de Lyon du 7 avril 1908, D., 1909, 390. Et enfin, notre Cour de Droit forestier, II, no 1815.

Mais s'ensuit-il que, dans de telles circonstances, les propriétaires n'ont aucun moyen de se défendre? Certainement non. Remarquons en effet les termes employés par la Cour de cassation : elle se borne à enregistrer les constatations souveraines faites par les arrêts attaqués; ces arrêts ont constaté en fait qu'il n'y a pas eu de faute de la part des architectes ou entrepreneurs ; si donc le propriétaire avait pu prouver cette faute professionnelle, la condamnation devait s'en suivre, non plus en vertu de l'art. 1641, mais d'après les principes généraux de la responsabilité civile, art. 1382. Cette preuve serait-elle si difficile à faire que le propriétaire doive se croire à peu près désarmé? Sans doute, la Cour de Lyon a refusé d'admettre que, dans les circonstances de la cause qui lui était soumise, il pût être possible d'imputer à faute l'emploi par l'entrepreneur de bois contenant des germes de champignons? Mais, comme le fait remarquer un commentateur (Planiol, loc. cit.), cette décision, qui s'explique à une époque où le danger provenant des champignons était bien moins connu qu'il ne l'est aujourd'hui, alors que l'attention a été souvent éveillée à ce sujet et que l'on connaît maintenant les précautions à prendre pour empêcher les bois d'être atteints par la contamination mycotique, n'a plus actuellement la même valeur. Actuellement, l'entrepreneur qui négligerait ces précautions (emploi du carbonyle ou d'autres préservatifs) pourrait donc être, plus facilement qu'autrefois, taxé de négligence ou d'imprudence, et en cas de dommages serait passible de réparations envers le propriétaire, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'art. 1641 C. civ.

Bien entendu, les propriétaires doivent se refuser à signer, dans le contrat d'entreprise, toute clause par laquelle l'entrepreneur prétendrait se faire décharger par avance, dans tous les cas, de la responsabilité résultant de l'emploi de bois avariés; bien plus, ces propriétaires agi

(53 ANNÉE). - 15 JANVIER 1914.

XII. 5

« PreviousContinue »