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La même loi du 18 germinal an X, qui avait ordonné la promulgation du concordat, et avait ajouté les articles organiques du culte catholique, promulgua quarante-quatre articles organiques des cultes protestants. Ces articles, comme on le voit par le texte ci-dessus, ont pour objet des dispositions générales sur les deux communions protestantes et des dispositions spéciales sur les églises réformées, c'est-à-dire les calvinistes; et sur les églises de la confession d'Augsbourg, c'est-à-dire les luthériens.

Nous dirons à peu près des articles organiques des cultes protestants, ce que nous avons dit des articles organiques du culte catholique. Les auteurs, après avoir adopté contre le clergé catholique des mesures de défiance qui n'étaient pas dans le concordat, crurent devoir tenir la balance égale, en réglementant les cultes protestants de manière à ce qu'ils fussent complètement soumis à la puissance temporelle.

Aussi, les protestants n'ont pas cessé de réclamer contre des entraves, quelquefois inutiles, et peu en harmonie avec le principe de liberté que l'on avait souvent écrit dans les lois depuis 1790.

Une sorte de protestation fut même publiée en l'an X, revêtue des signatures de personnages notables et de pasteurs du culte protestant, à peu près à l'imitation de la protestation du cardinal Caprara contre les articles organiques du culte catholique. On se plaignait surtout de ce que la loi n'avait pas fait mention de synodes nationaux admis de tout temps en France; on désirait que le recours au conseil d'Etat ne fût pas autorisé par un mot arbitraire, comme celui d'entreprises; on demandait la remise des édifices consacrés au culte et non aliénés ; on s'élevait contre la règle qui exigeait une population de 6,000 âmes pour établir une église consistoriale. D'autres regrettaient que les articles organiques ne reconnussent pas le corps des diacres qui, jusqu'alors, avaient été nommés pour aider les pasteurs; enfin, on faisait des voeux pour que les élections, dont le gouvernement s'était emparé, fussent rendues à la complète liberté d'un vote universel (1).

Malgré ces réclamations, les articles organiques de l'an X ont été pendant longtemps la règle sur l'administration des cultes protestants en France. Cependant de bons esprits pensaient qu'une plus grande indépendance aurait des effets salutaires. Quant au culte réformé, malgré son principe de complète égalité des églises, on désirait qu'il eût un centre commun, créant, non pas une suprématie religieuse, mais une union des intérêts.

Divers règlements avaient essayé de pourvoir à ce qui manquait à la loi du 18 germinal an X. Enfin, un décret du 26 mars 1852, rap

(1) Voyez le Lien, journal protestant, année 1850, pag. 125, et année 1852, pag. 458.

porté sous le mot PROTESTANT, a voulu donner aux cultes protestants une organisation légale et définitive, tout en maintenant, par son article 15, la loi organique du 18 germinal an X, en ce qui n'était pas contraire à ses dispositions. (Voyez PROTESTANT.)

§ II. Défense des ARTICLES ORGANIQUES par Portalis.

Les articles organiques, qui ont mis et mettent encore tant d'entraves à la liberté de l'Eglise, sont le fondement et la source de notre droit civil ecclésiastique actuel. Ils renouvellent, comme nous l'avons dit ci-dessus, quelques unes des erreurs de la constitution civile du clergé, et ils ont eu pour but de faire revivre une grande partie des empiétements que les parlements jansénistes s'étaient efforcés de faire sur l'Eglise. Portalis l'avoue ingénuement: Ils n'en sont, dit-il, qu'une nouvelle sanction.

Nous avons cité, dans notre Cours de droit canon, les réclamations et protestations dont ils furent l'objet de la part du Saint-Siége, et nous avons rapporté ces précieux documents. Il était naturel que Portalis, conseiller d'Etat, chargé de toutes les affaires concernant les cultes et qui avait été le principal rédacteur des articles organiques, prît la défense de son ouvrage, attaqué par le Saint-Siége, et qu'il cherchât à le justifier aux yeux du premier consul; c'est ce qu'il fit par son Exposition des maximes et des règles qu'ils consacraient. Ce travail, d'une assez grande étendue, et que, pour ce motif, nous n'avons pu insérer dans notre première édition, comme nous en avions eu le projet d'abord, mérite cependant la plus grande attention, en ce que, émané de l'auteur lui-même des articles organiques, il en explique le véritable sens et en offre le commentaire le plus naturel, le plus sûr, le plus sincère. Bien que nous en ayons donné quelques fragments dans cette première édition, nous croyons convenable et en même temps utile à nos lecteurs de le rapporter en entier dans celle-ci. Nous empruntons ce document à l'ouvrage donné au public par M. Frédéric Portalis, sous ce titre Discours, rapports et travaux inédits sur le concordat de 1801, et les articles organiques publiés en même temps que ce concordat.

Nous avons inséré, d'après le Moniteur de 1802, dans notre Cours de droit canon, sous le mot CONCORDAT, le rapport et le discours sur les articles organiques, lus par Portalis au conseil d'Etat et au Corps-Législatif, celui-ci complète, pour nos deux ouvrages, tout ce qui concerne cette importante question.

Nous n'avons pas besoin de dire qu'en consignant ici ce document, nous sommes bien éloigné d'en approuver la doctrine. Nous ne réfuterons pas tout ce qu'il renferme de faux et d'hostile à la

liberté de l'Eglise (1). Tout le monde sait que son auteur, homme fort instruit d'ailleurs, était imbu des principes parlementaires qui ont été si funestes à la religion et à la monarchie et qui ont, conséquemment amené les perturbations dont nous sommes les tristes témoins. Plaise à Dieu que nos gouvernants le reconnaissent un jour, et qu'ils relèguent loin d'eux des doctrines dont les conséquences sont si désastreuses.

Il est indubitable qu'il y avait, dans les principes que rappelle et que défend Portalis, des choses vraies ou du moins tolérables sous le gouvernement de nos anciens rois, qui se disaient et qui étaient réellement les protecteurs de l'Eglise en même temps qu'ils en étaient les fils aînés, alors que la religion catholique, apostolique, romaine était la religion exclusive de l'Etat. Mais sous l'empire de nos nouvelles constitutions, qui admettent la liberté des cultes et n'en reconnaissent officiellement aucun à l'Etat, l'application de ces principes par le gouvernement ne serait plus qu'une odieuse tyrannie, une amère dérision et une absurdité palpable. Nous les rappelons donc ici, non pas pour qu'on les applique dans la pratique, mais pour donner occasion de les combattre et conquérir ainsi, de plus en plus, la liberté pleine et entière de notre culte, qui, depuis trop longtemps, se débat dans les entraves d'une légalité jalouse et tracassière.

Des personnes graves et toutes dévouées à la sainte liberté de l'Eglise pensent qu'on devrait s'abstenir de rapporter dans les ouvrages de droit civil ecclésiastique les lois, décrets, ordonnances et décisions ministérielles qui ont pour but d'entraver cette liberté, parce que, disent-elles, c'est donner par là occasion à l'autorité civile de les appliquer dans la pratique, tandis que si on les laissait dans le silence, ils tomberaient en désuétude. On nous permettra de ne pas donner dans une semblable erreur. L'autorité civile, qu'on ne se fasse pas illusion à cet égard, ne connaît que trop ces documents pour en user et en abuser à son gré; le clergé, au contraire, et les écrivains catholiques ne les connaissent pas assez pour les attaquer, les combattre et les faire rapporter ou, du moins, les faire modifier, et les rendre en tout conformes aux principes de notre droit public actuel.

Le gouvernement, par exemple, connaissait bien le fameux rapport qui nous suggère ces réflexions; il en faisait la règle de sa conduite dans les affaires ecclésiastiques, sans que ce document pût être contrôlé en quoi que ce soit, puisqu'il était inédit et, par

(1) Cette réfutation est en partie faite par le cardinal Caprara dans ses Réclamations, insérées dans notre Cours de droit canon, sous le mot ARTICLES ORGANIQUES. Portalis ne fait ici qu'essayer de répondre à ces Réclamations du Saint-Siége.

conséquent, inconnu. Il n'en était que plus dangereux. Aussi, savons-nous pertinemment que lorsque M. F. Portalis publia ce document, le chef de l'Etat (Louis-Philippe) et le ministre des cultes d'alors (M. Martin du Nord) songèrent sérieusement à inquiéter M. F. Portalis pour avoir fait cette imprudente publication; elle n'eût jamais été autorisée si ce document ne se fut trouvé parmi les papiers de famille de l'auteur des articles organiques. C'est ce qui nous a déterminé à en donner ici le texte. Il paraît que, jusqu'en 1838, il n'en existait qu'un seul exemplaire, qui faisait partie de la bibliothèque du roi, et que M. Barthe, en sa qualité de ministre des cultes, obtint alors qu'une copie en fut faite pour l'usage du ministère.

Quoiqu'il en soit, Portalis prétend qu'il suffit qu'une religion soit autorisée par le magistrat politique, pour que le magistrat << doive s'occuper du soin de la rendre utile et d'empêcher qu'on en << abuse. » C'est là une maxime dont la conséquence directe est que le magistrat civil a le droit de s'ingérer dans l'administration des affaires ecclésiastiques; aussi, s'efforce-t-il d'établir, par des raisons plus ou moins spécieuses, ce système, qui a été la source de tous les empiétements de l'Etat sur l'Eglise et la cause de tant d'appels comme d'abus, dont l'unique résultat a été de tourner le gouvernement en dérision, sans obvier à aucun mal. En auto

risant un culte, ajoute Portalis, l'Etat s'engage à en protéger la << doctrine, la discipline et les ministres ; » c'est juste, mais, sous prétexte de protection, l'Etat ne peut ni ne doit régenter les ministres de l'Eglise, ni s'ooccuper de la doctrine et de la discipline. Il doit laisser ce soin aux évêques et leur donner pour cela toute la liberté qu'il garantit à tous les autres citoyens, et qui, d'ailleurs, est écrite dans la Constitution.

<< Sans doute, dit encore Portalis, le souverain aurait tort de <connaître de matières purement spirituelles comme magistrat po«litique; mais il en a toujours connu comme protecteur. » Il est évident, ce nous semble, pour quiconque n'est pas imbu de préventions hostiles à l'Eglise, que la protection garantie indistinctement à tous les cultes par notre Constitution nouvelle ne peut être la même que celle que le roi, en sa qualité d'évêque du dehors, accordait autrefois exclusivement à l'Eglise catholique. Il ne faut donc pas rappeler les idées et la pratique d'un autre âge, puisqu'ils ne penvent plus avoir aucun rapport avec les idées et les mœurs de nos temps modernes ! Car de deux choses l'une, ou il faut rétrograder aux temps passés et en adopter la législation avec ses avantages, ses priviléges et ses inconvénients, ou bien il faut mettre notre droit civil ecclésiastique en relation avec notre droit constitutionnel actuel. Enfin, il est une observation très-importante à fàire, c'est qu'au

trefois le souverain était tellement protecteur de l'Eglise, qu'il faisait des déclarations pour rendre ses décrets et les canons des conciles lois de l'Etat et en ordonner l'exécution, avec défense à tous les citoyens, sans exception aucune, sous les peines temporelles, d'y contrevenir. Or, ces motifs ne sont plus ceux qui dirigent aujourd'hui le gouvernement, puisque la religion catholique n'est plus la religion de l'Etat, qui en admet et en reconnaît plusieurs autres avec les mêmes droits et la même protection.

Ces réflexions préliminaires nous ont paru nécessaires pour faire apprécier le rapport de Portalis, si dangereux du reste et si subtil. Nous l'accompagnons de quelques notes que nous aurions pu et peut-être dû multiplier davantage. Mais ce rapport est si long que nous n'avons pu nous résigner à l'allonger encore. Pour distinguer nos notes de celles de Portalis, nous les avons indiquées par des astérisques.

EXPOSITION des maximes et des règles consacrées par les articles organiques de la convention passée le 26 messidor an IX entre le gouvernement français et le Pape Pie VII.

PAR J.-E.-M.-PORTALIS,

Conseiller d'Etat, chargé de toutes les affaires concernant les cultes. RAPPORT présenté au gouvernement de la république par le conseiller d'Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes.

Du 5e jour complémentaire an XI, (22 septembre 1803.)

« Citoyen premier consul,

« Le pape, dans son allocution portant ratification du Concordat, s'était réservé de vous faire des représentations sur quelques dispositions des articles organiques. En lisant cette protestation (*), rédigée d'ailleurs dans les termes les plus modérés, j'ai cru qu'il était de mon devoir de mettre sous vos yeux les textes et les maximes qui ont servi de base aux articles organiques.

« J'ai été confirmé dans cette idée par le résultat de ma correspondance et par l'examen que j'ai fait de divers écrits que les anciens évêques démissionnaires résidant à Londres ont publié contre le Concordat.

Je me suis convaincu que les ennemis de l'ordre actuel, à la fois malveillants et peu éclairés, s'étaient imaginé que l'on avait voulu créer une nouvelle Eglise et une nouvelle discipline. De là leurs déclamations (**) absurdes contre la loi du 18

(*) Voyez dans notre Cours de droit canon, cette protestation et toutes les autres pièces relatives au concordat et aux articles organiques.

(**) Ces déclamations qui n'ont pas cessé depuis lors, n'étaient pas si absurdes. Les ennemis de l'ordre actuel, dont parle Portalis, n'étaient rien autre chose que le pape, le cardinal Caprara, de savants évêques et tout ce que le clergé français possédait alors de plus éclairé et de moins malveillant, mais aussi de plus opposé aux doctrines schismatiques qu'on cherchait à faire prévaloir dans les articles organiques.

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