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du 28 pluviôse an VIII charge positivement les conseils de préfecture de prononcer sur le contentieux des domaines nationaux. Toute la difficulté se réduit ainsi à la question de savoir si cette attribution exceptionnelle subsiste encore, ou bien si son application ne doit pas être restreinte aux biens saisis et vendus en exécution des lois révolutionnaires.

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La jurisprudence, nous devons le dire, a adopté et maintient très-fidèlement la première opinion; le conseil d'État a constamment admis, en principe, que l'interprétation des actes de vente des immeubles compris dans le domaine de l'État et l'examen des questions qui se rattachent à leur exécution appartenaient exclusivement à la juridiction administrative, sans aucune distinction entre les ventes opérées par suite des lois révolutionnaires et celles qui se font journellement. (Voy., entre autres décisions fort nombreuses, ord. 5 août 1841, min. fin.) Mais approuverons-nous cette doctrine?

Quelque respect que doive inspirer une opinion dans laquelle le conseil d'État persévère avec tant de constance, nous n'hésitons pas à la considérer comme entachée d'erreur; voici nos raisons.

Ce serait mettre l'histoire en oubli que de refuser un caractère politique à la disposition de l'art. 4 de la loi de pluviôse. Le soin même que le conseil d'État a toujours pris de ne comprendre dans le contentieux dont parle cette loi, que les questions se rattachant à la portée ou à la validité des opérations faites par les autorités administratives, et surtout le soin de distinguer entre les baux et les ventes, pour n'ap

'pliquer l'exception qu'à ces dernières, viennent à l'appui de notre assertion. L'on prétend qu'il s'agit là d'actes qui doivent être interprétés par l'autorité administrative, parce qu'ils n'émanent que d'elle; mais il suffit de rapprocher les actes de vente des contrats d'échange et des contrats de bail à ferme, pour que la fausseté de cette idée devienne éclatante. Les contestations qui ont pour objet les échanges et les baux domaniaux doivent se vider par l'interprétation d'actes d'une nature identique à celle des actes qui préparent ou consomment les ventes. Or, puisque, ainsi que nous l'avons vu pour les baux et que nous le dirons bientôt pour les échanges, les contestations en matière d'échange ou de bail sont demeurées dans le droit commun, n'est-ce pas la preuve que la nature de ces actes n'a été pour rien dans les motifs de l'attribution exceptionnelle faite en matière de ventes ?

Vainement a-t-on cru pouvoir invoquer à l'appui de cette jurisprudence, la disposition de l'art. 26 du Code forestier qui soumet au conseil de préfecture les contestations sur la validité des surenchères, en matière de vente de coupes de bois. (Voy. Fortune publique, t. I, p. 183.) L'analogie n'existe vraiment pas, car le Code forestier ne parle que d'une question spéciale dont la solution exigeait une rapidité qu'on n'obtient que de la procédure administrative. Il est bien vrai que les auteurs que nous combattons, font observer qu'on étend la compétence du conseil de préfecture aux questions d'interprétation de la vente même; mais l'ordonnance qu'ils citent ne se fonde, pour le décider ainsi, que sur la loi du 28 plu

viôse an VIII, ce qui, au point de vue de la question qui nous occupe, ne constitue qu'une pétition de principe (Voy. ord. 12 janv. 1835, Deleau); et de plus, la jurisprudence s'est, depuis, fixée en sens contraire. (Voy. suprà, t. III, no 63.)

Nous disons donc que, quelque effort que l'on fasse pour s'en écarter, on est fatalement ramené à réduire à l'intérêt politique la pensée de la loi de pluviôse, et que la conséquence irrésistible, c'est que cette loi est inapplicable aux ventes nationales qui ont pris naissance et dont les effets se produisent en dehors de cet intérêt. Peut-être est-il permis d'espérer que cette vérité aura son heure et que la jurisprudence subira, en ce point, une transformation comparable à celle que nous avons été si heureux de signaler à l'égard des baux administratifs !

104. Nous n'en accepterons pas moins son état actuel comme un fait, et nous indiquerons la portée et les conséquences du principe qu'elle con

sacre.

Constatons d'abord le grave changement qui s'est opéré, en cette matière, par suite de l'abrogation des art. 374 de la constitution du 5 fruct. an III, et 74 de celle du 22 frim. an VIII. (Voy. suprà, n° 95.)

La compétence de l'autorité administrative, sous l'empire des lois révolutionnaires, embrassait, d'une part, toutes les questions de validité ou d'interprétation des procès-verbaux ou contrats de vente, et, d'une autre part, les réclamations formées par les tiers qui contestaient la domanialité des biens vendus et les revendiquaient comme propriétés privées. Comme

que

les droits des tiers se résolvaient, dans ce cas, en une indemnité contre le trésor public, il avait été décidé leur action était du ressort de l'autorité administrative (Voy. arrêté 2 niv. an VI); mais aujourd'hui, que la vente nationale de la chose d'autrui est radicalement nulle et que le propriétaire conserve le droit de la recouvrer en nature, la question a dû rentrer dans les attributions exclusives des tribunaux civils. Ainsi la compétence de l'autorité administrative ne subsiste plus que dans les rapports de l'État et de l'adjudicataire ou de ses ayants cause; s'il s'agit, au contraire, de réclamations formées par les tiers et ayant pour objet des droits de propriété ou autres droits réels sur l'immeuble vendu, c'est aux tribunaux à connaître de la contestation (Voy. ord. 25 mars 1830, Lhurs; 27 févr. 1835, Touillet; arrêt 26 mars 1825, et MM. Macarel et Boulatignier, de la Fortune publique, t. I, p. 178 et suiv.; Serrigny, Compétence administrative, t. II, n° 754), lorsque la vente a eu lieu postérieurement à la charte de 1814 (1). (Voy. arrêt 21 mai 1827.)

La même règle a été appliquée aux échanges d'immeubles contre des propriétés de l'État par l'art. 12 de l'ord. du 12 déc. 1827, ainsi conçu: « La loi approbative de l'échange proposé ne fera point

(1) Il est à remarquer, relativement aux ventes de biens communaux effectuées au profit de la caisse d'amortissement, en exécution de la loi du 20 mars 1813, que les communes sont censées avoir été parties au contrat en la personne de l'État; qu'elles ne doivent pas, dès lors, être considérées comme des tiers, et que par suite, les actions en nullité qu'elles peuvent avoir à intenter sont de la compétence des conseils de préfecture. (Voy. ord. 22 octobre 1830, Levasseur; 17 octobre 1834, commune d'Épagny.)

« obstacle à ce que des tiers, revendiquant tout ou << partie de la propriété des immeubles échangés, << puissent se pourvoir par les voies de droit devant << les tribunaux ordinaires. »

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105. Le but du législateur en instituant la compétence administrative pour le contentieux des domaines nationaux, a été d'assurer protection aux ventes dont ces domaines avaient été ou devaient être l'objet. Il faut donc, pour rester fidèle à la pensée de la loi, ramener à cette compétence toute contestation dans laquelle l'acte de vente est mis en question.

Au premier rang se présentent celles qui portent sur la validité même du contrat. Les contestations qui ont trait à la régularité des actes, à leur sincérité et à la qualité des fonctionnaires qui les ont produits, sont, en effet, celles qu'il importe le plus de soustraire à l'examen des tribunaux, pour préserver l'action administrative de toute entrave. Dans ces sortes de difficultés, les documents et tous les moyens de preuve propres à fournir les éléments de la décision émanent de l'administration; le litige, par conséquent, est toujours tranché d'une manière définitive devant le juge administratif (1).

106.- Viennent, en second lieu, les questions d'interprétation, soit qu'il s'agisse de fixer le sens de l'une des clauses insérées dans l'acte d'adjudication,

(1) Il en serait de même des actions en résolution du contrat (Voy. ord. 3 mai 1845, Balathier), ainsi que des demandes en restitution de prix pour cause d'éviction (Voy. ord. 25 mars 1830, Lhorset), toutes contestations à vider entre l'État et son adjudicataire et qui doivent être portées directement devant le conseil de préfecture, que la loi a constitué juge du contentieux des domaines nationaux.

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