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Durant les guerres de la révolution et sous le coup des malheurs de l'invasion, le gouvernement a eu souvent recours à la voie des réquisitions pour se procurer des vivres, des objets d'habillement, des voitures, des chevaux et des armes. (Voy. L. 14 messidor an VII, art. 19.) Ces réquisitions, qui avaient leur sanction dans les mesures coercitives édictées pour le recouvrement des contributions, avaient pour but et pour résultat d'exproprier les citoyens de certains objets mobiliers. L'expropriation pour cause d'utilité publique appliquée aux choses mobilières se retrouve aussi dans les dispositions du décret du 25 août 1804, contenant l'organisation du corps des ponts et chaussées. Ce décret autorisait l'État à s'emparer, moyennant le payement de la valeur sur estimation faite par l'administration, des cartes et plans qui pourraient être utiles à l'État parmi ceux que laisseraient les ingénieurs, à leur décès. Mais l'expropriation, consacrée par ces dispositions diverses, n'est plus susceptible de se réaliser désormais. La charte les avait abrogées, en proclamant le principe de l'inviolabilité de la propriété privée qui a trouvé une consécration nouvelle dans l'art. 26 de la constitution de 1852.

Aujourd'hui, si on en excepte les réquisitions de services ou de secours dans les circonstances d'accident, tumulte, naufrage, inondation, incendie ou autres calamités, ainsi que dans les cas de brigandages, pillages, flagrant délit, clameur publique ou d'exécution judiciaire (Voy. art. 475 Code pénal), il n'est permis en aucun cas, ni sous aucun prétexte, à l'administration, de se prévaloir de la généralité de l'intérêt qu'elle représente, pour se placer en dehors

du droit commun et contraindre les citoyens à lui livrer soit leur industrie, soit les objets mobiliers qu'ils peuvent posséder.

Pour comprendre l'immense intérêt d'application que comporte cette doctrine, il suffit de se reporter à un fait qui est de tous les jours. Supposons que l'État, tout en refusant les soumissions faites par une compagnie pour l'établissement d'un chemin de fer, soit frappé de l'avantage qu'il y aurait à profiter du projet exécuté par ses soins et à ses frais, aura-t-il un moyen de s'en emparer? La législation, telle qu'elle existe, ne lui en offre aucun; toutes ses tentatives pour la forcer à s'en dessaisir, échoueront contre les garanties dont les lois civiles entourent la propriété privée.

L'administration, jusqu'au jour où l'expérience et le développement de principes dont l'organisation est encore bien imparfaite, auront permis de tenter d'étendre, par une loi générale, l'expropriation aux choses mobilières, sera réduite à solliciter l'intervention législative, toutes les fois que la nécessité d'une dérogation spéciale au droit commun se fera sentir.

531.- La loi de 1841, comme celles qui l'ont précédée, ne s'occupe, avons-nous dit, que de la propriété immobilière. Mais les biens sont immeubles, aux termes de l'art. 517 du Code Napoléon, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils s'appliquent. Chacune de ces trois classes est-elle susceptible d'expropriation pour cause d'utilité publique? L'affirmative ne peut faire doute en ce qui regarde les immeubles par nature, tels que les fonds de terre, les bâtiments, les moulins à vent ou

à eau fixés sur piliers et faisant partie du bâtiment. Considérés en eux-mêmes et indépendamment des fonds dont ils dépendent, les immeubles par destination ne sont que des meubles ordinaires et ne peuvent, par conséquent, devenir l'objet d'expropriations proprement dites. Pour savoir s'ils doivent être compris comme accessoires dans l'expropriation des fonds auxquels ils sont attachés, il faut distinguer s'ils sont attachés à perpétuelle demeure, en sorte qu'ils ne puissent être séparés sans dommage soit pour euxmêmes, soit pour la partie du fonds à laquelle ils sont adhérents, ou si au contraire ils n'ont, comme par exemple les bestiaux et les instruments aratoires, qu'une immobilisation fictive et qui tient uniquement à la destination qu'ils ont reçue du propriétaire. Ces derniers objets reprennent leur nature mobilière et échappent à l'expropriation, sauf à l'exproprié à réclamer une indemnité pour le dommage qu'il peut éprouver par suite de leur changement de destination.

Les arbres, tant qu'ils ne sont pas abattus, les récoltes, tant qu'elles ne sont pas coupées, font partie intégrante de l'immeuble qui les porte.

332. En ce qui touche les immeubles par l'objet auquel ils s'appliquent (art. 526 C. Nap.), il faut d'abord écarter les actions qui tendent à revendiquer un immeuble. L'expropriation d'une action de cette nature n'aurait aucune espèce d'intérêt.

En ce qui touche l'usufruit, on a à distinguer : il n'est pas nécessaire que l'expropriation poursuivie contre le nu propriétaire le soit en même temps contre l'usufruitier. La loi n'exige, en effet, que l'indication des noms du premier dans le plan parcel

laire (Voy. art. 5), et la disposition de l'art. 21 prouve d'ailleurs, implicitement, que l'usufruitier peut n'être pas nommé dans le jugement d'expropriation. Mais l'administration qui aurait acquis antérieurement la nue propriété d'un immeuble, ne pourrait en déposséder l'usufruitier qu'en recourant à l'expropriation.

Les droits d'usage et d'habitation ne sont que des droits d'usufruit restreints. Il faut donc leur appliquer ce que nous venons de dire de l'usufruit.

L'administration devenue propriétaire d'un terrain par suite d'expropriation, n'est pas tenue de recourir à une expropriation nouvelle pour priver un tiers d'une servitude qu'il justifie avoir sur ce terrain. (Voy. art. 21.) Il ne fallait pas que l'exécution des travaux publics pût être entravée par l'obligation de faire procéder à une expropriation contre quiconque viendrait à justifier d'un droit de servitude que l'administration a souvent pu ne pas connaître.

Il en serait autrement s'il n'y avait pas eu expropriation, mais seulement cession amiable du fonds sur lequel existait la servitude : l'administration, ou ses ayants droit, serait dans l'obligation de remplir les formalités ordinaires de l'expropriation forcée à l'égard du propriétaire de la servitude. C'est en ce sens que le conseil d'État s'est prononcé par un décret du 19 janvier 1850, rendu au contentieux. Cette décision offre d'autant plus d'intérêt que, rendue à l'occasion d'un droit de passage, servitude réelle, elle est cependant conçue dans des termes généraux qui embrassent les servitudes personnelles, comme l'usufruit et les démembrements analogues de la propriété; elle est motivée ainsi :

« Considérant que l'ordonnance susvisée du «< 16 juillet 1845 a déclaré d'utilité publique pour «<l'exécution de travaux de fortifications, l'acquisi«<tion des terrains appartenant aux sieurs Poulet et « consorts, et sur lesquels existait une servitude de « passage au profit de la propriété de la dame veuve « Nouvellet; que si, par un acte de cession amiable, « postérieur à cette ordonnance, l'administration de <«< la guerre a pu acheter lesdits terrains sans être « obligée d'accomplir, à l'égard des propriétaires, les « formalités de la loi du 3 mai 1841, relative à « l'expropriation pour cause d'utilité publique, cette «< circonstance ne pouvait la dispenser de remplir les« dites formalités à l'égard des parties auxquelles appartenaient sur l'immeuble vendu, quelques-uns « des droits prévus par les art. 21 et 39 de la loi préa citée, et qui ne consentaient pas à l'abandon volon<«<taire de ces droits; - Considérant qu'aux termes « de l'art. 1er de la même loi, l'expropriation pour «< cause d'utilité publique s'opère par autorité de jus« tice; qu'ainsi, c'est avec raison que le conseil de préfecture du Rhône s'est déclaré incompétent « pour régler l'indemnité due à la dame veuve Nou« vellet (1). >>

353. Les mêmes principes sont applicables au droit des fermiers et locataires. L'État, ou ses ayants droit, devenu propriétaire en vertu d'une cession

(1) S'il y a contestation sur l'existence d'une servitude, c'est à l'autorité judiciaire qu'il appartient de décider, mais le droit une fois reconnu, c'est à l'autorité administrative à juger si la servitude peut et doit être rétablie. (Voy. décr. 16 décembre 1850, d'Espagnet.)

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