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résulte, dès l'abord, de la nouvelle situation faite à l'immeuble, par le travail dont l'exécution nécessite l'expropriation, qui en est une suite directe, et que le propriétaire réaliserait immédiatement s'il voulait vendre à un tiers le terrain qui lui reste; l'augmentation est spéciale lorsqu'elle constitue, non pas un avantage commun à toutes les propriétés de la localité, mais particulier à l'exproprié, comme si, par exemple, un terrain à bâtir devait se trouver en façade sur une rue plus large et plus commerçante, ou former encoignure. (Voy. Cass. 26 mai 1840, Hanaire et Appay.)

La plus-value (1), c'est un point hors de controverse, ne peut, en aucun cas, motiver le payement d'une soulte par le propriétaire dépossédé, mais doitelle se compenser seulement avec le préjudice souffert par suite de la dépossession, abstraction faite du prix du terrain en lui-même ? Cette opinion avait été formellement professée par la cour de cassation dans un arrêt du 28 août 1839, aff. Hanaire et Appay; mais vivement soutenue d'abord, dans la discussion de la loi du 3 mai 1841, elle n'eut pas même les honneurs du vote l'amendement à l'art. 51 présenté par M. Dumon, pour la formuler, ne trouva pas d'appui. (Voy. Mon., 6 mars 1841, p. 556.) Il nous semblerait donc bien difficile aujourd'hui, de persévérer

(1) Il faut distinguer la plus-value dont il est ici parlé et qui n'est réclamée du propriétaire que par voie d'exception, c'est-à-dire de compensation avec l'indemnité qui lui est due, de la plus value qui lui est demandée directement, par voie d'action, dans les cas prévus par les art. 30, 31 et 32 de la loi du 16 septembre 1807. (Voy. suprà, t. IV, no 395 et suiv. et infrà, Chapitre des travaux publics.)

dans une distinction que rien, dans les termes de l'art. 51, n'autorise, et qui aurait d'ailleurs, pour résultat d'enrichir, et d'enrichir aux dépens du trésor public, un propriétaire que la justice commande simplement de rendre indemne.

En conclura-t-on que la compensation pourra être poussée jusqu'à l'absolu, c'est-à-dire jusqu'au refus de toute indemnité? Si la question n'eût pas été posée lors de la rédaction de la loi, nous ne voyons pas sur quoi on aurait pu se fonder pour imposer une restriction à un principe expressément consacré. Mais le rapporteur devant la Chambre des députés, M. Dufaure, nous apprend comment il en a été autrement. « L'art. 51 de la loi de 1833 semblait laisser au jury la faculté de compenser, même en totalité, l'augmentation de valeur avec l'indemnité. La cour de cassation a interprété différemment cet article, et a jugé qu'il devait toujours y avoir une indemnité, quelque faible qu'elle fût. On avait songé, dès lors, à expliquer, dans l'art. 51, que la compensation pouvait avoir lieu en tout ou en partie; mais la Chambre des pairs a repoussé cette proposition. Tout en reconnaissant que, dans certains cas assez rares, la compensation intégrale serait conforme aux règles de l'équité, on a craint, si on l'autorisait, de déposer dans la loi le germe d'une faculté qui pourrait devenir dangereuse. Il devra donc toujours y avoir une indemnité que le jury, dans sa conscience, abaissera autant qu'il le jugera convenable. >>

En présence de ce passage, il faut bien admettre que, sinon dans le texte, au moins dans la discussion de la loi, la question a été résolue dans le sens de la

restriction; et c'est ce que la cour de cassation me paraît avoir reconnu par un arrêt du 28 février 1848, dont voici la teneur: «La cour, vu les art. 38 et 42 « de la loi du 3 mai 1841, et 545 C. civ.; altendu «< que, aux termes de l'art. 545 du Code civil, nul ne « peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est « pour cause d'intérêt public légalement constaté, et ‹ moyennant une indemnité préalable, et qu'aux « termes de l'art. 38 de la loi du 3 mai 1841, la mis<< sion du jury est de fixer le montant de l'indemnité; << attendu que l'art. 51 de ladite loi veut que dans « l'évaluation du montant de l'indemnité, l'augmen«tation de valeur immédiate et spéciale que l'exé«< cution des travaux doit procurer au restant de la « propriété soit prise en considération; mais qu'il « n'autorise pas le jury à n'allouer aucun chiffre d'indemnité; attendu que la décision attaquée, «< après avoir fixé à la somme de 1250 fr. la valeur « des parcelles expropriées, a ordonné que l'indem« nité serait réduite à néant, à raison de la plus-va« lue résultant du passage de la route vicinale, pour « le redressement de laquelle l'expropriation avait « été prononcée; qu'en statuant ainsi, elle a expres« sément violé les lois précitécs, casse, etc. »>

Depuis lors, une loi du 16 juin 1851, rendue pour constituer la propriété en Algérie, a eu à statuer sur l'expropriation. L'art. 20 porte: «Il sera toujours « tenu compte, dans le règlement des indemnités, << de la plus-value résultant de l'exécution des tra<< vaux pour la partie de l'immeuble qui n'aura pas « été atteinte par l'expropriation. La plus-value a pourra être admise jusqu'à concurrence du montant

« total de l'indemnité, et, dans aucun cas, elle ne << pourra motiver le payement d'une soulte par le

propriétaire exproprié. » Voilà, pour l'Algérie, une disposition formelle; mais si l'on peut être tenté de s'en prévaloir pour établir que l'esprit du législateur, en 1851, n'était plus celui qui l'animait dans la rédaction de la loi de 1841, autorisera-t-elle le magistrat à revenir sur le sens et la portée que cette loi tenait de ses auteurs?

Je n'ignore point que, du moment qu'une indemnité est allouée, l'appréciation du jury échappe à la censure de la cour de cassation; que par suite le jury est toujours maître de réduire l'indemnité à un chiffre dérisoire, et, par exemple, à 1 franc (Voy. Cass. 1.2 mars 1856, Donzeau), et que l'on croit pouvoir en conclure que la règle d'après laquelle le jury ne saurait se dispenser d'allouer une indemnité, si minime qu'elle puisse être, serait dépourvue de sanction, et que c'est une raison de plus pour penser qu'elle n'est pas la vraie règle. (Voy. M. Jousselin, t. I, p. 286.) Mais ce n'est pas là une considération juridique. Le législateur a dû compter sur la soumission et la bonne foi du juge. J'ajouterai que pour certaines garanties, l'important c'est qu'elles puissent se retrouver au moment où se fait sentir, pour la société, le besoin d'y recourir, et que cela est particulièrement vrai des garanties déposées dans les lois dont l'application est confiée à des jurys. Je dirai enfin que le législateur, n'eût-il eu d'autre objet que de faire que le respect dû à la propriété fût présent à la pensée du jury durant la délibération pour le règlement de l'indemnité, sa disposi

tion ne me paraîtrait pas sans intérêt d'application.

441. -Les terrains ne doivent être estimés que d'après leur valeur avant l'entreprise; l'art. 49 de la loi du 16 septembre 1807, le dit expressément pour les terrains nécessaires à la construction des ponts, canaux de desséchement et autres travaux d'utilité générale.

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442. C'est aussi au moment de l'entreprise des travaux qu'il faut s'attacher pour tout ce qui concerne l'état des lieux. Le devoir du jury est de repousser toute demande d'indemnité qui se fonderait sur les avantages que l'indemnitaire aurait pu s'assurer par des changements apportés à son mode de jouissance. C'est par application de ce principe que le conseil d'État, dans différentes circonstances, a décidé que le propriétaire d'un cours d'eau sur lequel il existait autrefois une usine, ne peut, en cas d'expropriation de ce cours d'eau pour l'alimentation d'un canal de navigation, demander une indemnité pour la valeur de la chute d'eau non utilisée. (Voy. ordonn., 21 août 1840, ville de Paris, et 30 juin 1841, L'Huillier.) On comprend cependant, qu'une règle de cette nature doit être appliquée avec une grande réserve, que, s'il convient de proscrire tout ce qui est purement hypothétique, il faut, au contraire, tenir compte des avantages dès à présent acquis à la propriété, et devenus des éléments appréciables de sa valeur vénale.

et

443.

La mission du jury n'est remplie que par la fixation d'une indemnité certaine et définitive, quelle que soit d'ailleurs la forme sous laquelle on l'exprime. Le montant de l'indemnité, par exemple,

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