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les faveurs. Certes, il écrit de jolies choses et il les écrit dans le style de la cour. Il n'hésite pas à emprunter aux Italiens les artifices de la séduction. Il pille non seulement Pétrarque, mais Sannazar, Bembo, l'Arioste, Molza et d'autres sans aucun scrupule, si bien qu'en 1604, quand on publia les Rencontres des Muses de France et d'Italie où il y avait d'un côté des sonnets de Desportes et de l'autre les originaux italiens, il se contenta de dire qu'il avait fait bien plus d'emprunts que cela. Il est maniéré, il exagère à l'excès, mais il réussit souvent à écrire des sonnets d'un fini remarquable et s'il est voluptueux à la fois et badin, il ne manque pas d'esprit et il sait s'en servir. Entre deux pièces folâtres, il est capable d'écrire des vers d'inspiration chrétienne où il se montre parfois éloquent. Ce fut décidément un homme habile. Son sonnet d'Icare, quand même il n'eût écrit que celui-là, suffirait à montrer combien sa plume est agile.

Icare est cheut icy, le jeune audacieux,

Qui pour voler au ciel eut assez de courage :
Icy tomba son corps degarny de plumage,
Laissant tous braves cœurs de sa cheute envieux.

O bien-heureux travail d'un esprit glorieux,

Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage!
O bien-heureux malheur plein de tant d'avantage,
Qu'il rende le vaincu des ans victorieux !

Un chemin si nouveau s'estonna sa jeunesse,
Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse ;
Il eut pour le brûler des astres le plus beau ;

Il mourut poursuivant une haute advanture;
Le ciel fut son desir, la mer sa sepulture;
Est-il plus beau dessin, ou plus riche tombeau ?

L'image est nette, l'idée bien rendue. Mais c'est dans
la chanson que Desportes est excellent et à cet effet,
sa villanelle de Rozette mérite d'être citée pour la
limpidité du style et la pointe d'esprit qui l'enjolive:
Rozette, pour un peu d'absence
Vostre cœur vous avez changé,
Et moy, sçachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ay rangé:
Jamais plus, beauté si legere
Sur moy tant de pouvoir n'aura :
Nous verrons, volage bergere,
Qui premier s'en repentira.

Tandis qu'en pleurs je me consume,
Maudissant cet esloignement,
Vous, qui n'aimez que par coustume,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais legere girouëtte

Au vent si tost ne se vira :
Nous verrons, bergere Rozette,
Qui premier s'en repentira......

Enfin il faut reconnaître à l'honneur de Desportes qu'il se fit le protecteur des écrivains dans la gêne et que nombreux furent les poètes qui eurent à se louer de ses bons offices.

Malherbe fut très dur pour lui. Un jour que Desportes l'avait invité à dîner et lui demandait son opinion sur ses Psaumes, Malherbe répondit brutalement que son potage valait mieux que ses Psaumes. Cet incident fut l'origine d'une querelle dont je parlerai plus loin et où Desportes eut pour champion son neveu, le satiriste Mathurin Régnier.

Jean Bertaut1 (1552-1611), né à Caen, fut successivement précepteur du duc d'Angoulême qui était le fils naturel de Charles IX, puis secrétaire du roi Henri III, ensuite sous Henri IV, aumônier de la reine Marie de Médicis et enfin évêque de Séez (1606).

Il suivit les traces de Desportes pour qui il avait une grande admiration. Il ne fut pas à proprement parler un nouveau poète-courtisan, mais il eut le rôle du poète officiel qui célèbre les naissances, les mariages, les décès, les incidents de la vie à la cour. Il y fait preuve d'éloquence et de sagesse. Régnier lui reprochait même d'être trop sage. Son vers n'a pas la fluidité de celui de Desportes, il est plus ramassé, plus concis et aussi plus dur, et il est déjà impersonnel comme le sera le vers oratoire de Malherbe.

Nous avons en lui un poète qui a beaucoup d'attaches avec le passé, mais qui est tourné vers l'avenir. Il tient de Ronsard et tend la main à Malherbe. Il est un poète de transition.

A côté de quelques pièces où il a un accent tout à fait moderne, et où l'on rencontre de la sincérité dans le sentiment et de l'harmonie dans les strophes, il a composé de nombreux poèmes où il se révèle un mon

1 Œuvres, 1620; 1623.

dain. Il s'y inspire à la fois des odes légères de Ronsard et des traits d'esprit de Desportes. Il dépasse même Desportes dans ce sens, il raffine, il caresse sa phrase et l'orne de toutes les recherches possibles. Il adore la pointe qu'il emploie à profusion. Il cultive la préciosité, cette plante de serre chaude, acclimatée déjà à la cour des Valois et qui ne demande qu'à croître. Il suffit de donner un exemple de la manière de Bertaut pour que sa façon de renchérir devienne évidente:

Une si douce chaine emprisonne mon cœur,

Une si belle main tient mon ame asservie,

Que si je crains la mort, c'est pour la seule peur
De sortir de prison en sortant de la vie.

Non, plustost on verra la neige s'embraser,
Que jamais ma franchise à mes fers je prefere :
Car comme ils sont trop forts pour les pouvoir briser,
Aussi sont-ils trop doux pour m'en vouloir defaire.
L'ingenieux Dedale en l'antique saison,

Afin de s'affranchir, empluma ses aisselles :
Et moy, pour demourer à jamais en prison
J'enchaine mon amour et luy coupe les aisles.

Aussi tiens-je mes fers comme un present des cieux,
Et l'eternelle chaine où sa beauté m'enlace,
Plustost pour un loyer d'avoir aimé ses yeux,
Que pour un chastiment d'en avoir eu l'audace.

Ainsi, tout en possédant un style capable d'une largeur éloquente, Bertaut est déjà une des victimes de l'exagération, défaut qui ramène parfois le ton de la poésie en arrière, au temps où Melin de Saint-Gelais faisait de l'esprit à la cour. Le lyrisme, tel qu'il avait été nourri par la Pléiade, ne sait plus soutenir l'effort de son vol et comme l'Icare de Desportes, il redescend avec une rapidité qui ressemble beaucoup à une chute fatale. Nous sommes en présence de deux tendances, l'une vers le style impersonnel, l'autre vers le maniérisme qui se manifeste dans l'abus des pointes à l'italienne. Ces dernières, dont le goût devient aussi répandu que celui de l'allégorie l'était autrefois, vont gâter les œuvres poétiques pendant les deux premiers tiers du XVIIe siècle, malgré le bon sens de Malherbe, et jusqu'au bon sens de Boileau.

CHAPITRE VII.

EPURATION ET PERFECTIONNEMENT DE LA
DOCTRINE DE RONSARD

MALHERBE REGENT DU PARNASSE
LES POETES ROMANTIQUES DU DEBUT DU
XVII SIECLE

BIBLIOGRAPHIE1

Sainte-Beuve. La poésie au XVIe siècle, ouv. cit.; Causeries du Lundi, VIII, Paris, Garnier; Nouveaux Lundis, XIII, Paris, Calmann-Lévy.

F. Robiou. Histoire de la littérature et des mœurs sous le règne de Henri IV, 1858, Paris, Didier, nouv. éd., Perrin. Tallemant des Réaux. Historiettes, éd. Monmerqué, 1861, Garnier.

Goujet. Bibliothèque françoise, XIV, XV, XVI, ouv. cit., (Malherbe, Racan, Régnier, Maynard).

Malherbe. 1 éd., 1630; éd. L. Lalanne, 1862, Paris, Hachette.

Brunetière. La Réforme de Malherbe et l'évolution des genres. Etudes critiques, V; ouv. cit.

Racan. Vie de Malherbe (en tête de ses éditions).

de Gournay. Recherches sur la vie et les œuvres de Malherbe, 1852, Caen.

A.Chénier. Commentaire sur Malherbe (publié dans l'éd. Charpentier, 1842, et l'éd. Becq de Fouquières, Paris, Charpentier, 1874.

G. Allais. Malherbe et la poésie française à la fin du XVI® siècle, de 1585 à 1600, 1891, Paris, Thorin et Fontemoing. F. Brunot. La doctrine de Malherbe d'après son commentaire sur Desportes. 1891, Lyon, Rey, et Paris, A. Picard. de Broglie. Malherbe, 1897, Paris, Hachette.

Racan. Ed. Tenant de Latour, 1857, Paris, Jannet; éd. Courbet, 1875, Paris, Lemerre.

L. Arnould. Un gentilhomme de lettres au dix-septième siècle, Honorat de Bueil, sieur de Racam, 1901, Paris, A. Colin.

Régnier. Euvres complètes, 1872, Paris, Garnier; éd. L. Lacour, 1875, Paris, Jouaust et Flammarion; éd. E. Courbet, 1875, Paris, Lemerre.

1 Voir la Bibliographie générale, page VI.

Sainte-Beuve. Portraits littéraires, I, Paris, Garnier.
J. Vianey. Mathurin Régnier, 1896, Paris, Hachette.
Maynard. Euvres poétiques, éd. Garrisson, 1885-88, Paris,
Lemerre.

C. Drouhet. Le poète François Maynard, 1909, Paris,
Champion.

Théophile de Viau. Euvres, éd. M. Alleaume, 1856, Bibl. elzév., Paris, Plon; Les plus belles pages de Théophile, éd. avec notice de Rémy de Gourmont, 1907, Paris, Soc. du Mercure de France.

J. Andrieu. Théophile de Viau, 1887, Bordeaux et Paris, A. Picard.

Saint-Amant. Ed. Ch. Livet, 1855-56, Paris, Bibl. elzévirienne, Plon; Les plus belles pages de Saint-Amant, éd. avec notice de Rémy de Gourmont, Paris, 1907, Soc. du Mercure de France.

Sainte-Beuve. Lundis, XII, Paris, Garnier.

Durand-Lapie. Saint-Amant, son temps, sa vie et ses poésies, 1896, Montauban, et 1898, Paris, Delagrave.

Claude Le Petit. Euvres libertines pub. par Frédéric Lachèvre, 1919, Paris, Champion.

Malherbe appartenait à la maison de Malherbe qui combattit sous Robert III, duc de Normandie et possédait la seigneurie de Bocton-Malherbe, dans le comté anglais de Kent, qu'un Payen-Malherbe perdit pour avoir osé provoquer en duel le fils de Philippe-Auguste. Le père du poète, en dépit de ses origines fameuses ne remplissait que les modestes fonctions d'assesseur auprès du tribunal à Caen. C'est là que François Malherbe, l'aîné de neuf enfants, naquit en 1555. Il étudia d'abord dans sa ville natale, puis à Bâle et à Heidelberg. Il fut attaché à la personne du Grand Prieur, Henri d'Angoulême, fils naturel de Henri II, qui l'emmena comme secrétaire en Provence, en 1576. Il y rencontra Madeleine de Corriolis, fille d'un président du Parlement de Provence et l'épousa. Il eut d'elle trois enfants, dont Marc-Antoine, tué en duel (1627) par M. de Piles. Il avait fait ses débuts littéraires en 1575 et il continua à s'entretenir de littérature avec son maître, Henri d'Angoulême. Un moment, il put espérer faire fortune, mais l'assassinat de son protecteur, le 2 juin 1586, vint ruiner ses espérances. Il s'en revint vivre en Normandie, dédia un poème, les Larmes de SaintPierre, à Henri III en 1587, ce qui lui rapporta un don de 500 écus, puis il retourna tenter la fortune en

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