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Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l'âme du corps,

L'âge s'évanouit au deça de la barque,

Et ne suit point les morts...

Il a ainsi l'air de travailler à éteindre ce qui aurait pu être l'expression d'un sentiment personnel afin de développer les idées de tout le monde. Les images qu'il emprunte à la mythologie ont précisement pour but d'empêcher son imagination de s'égarer dans la recherche d'une image originale; il n'a pas vu que les images empruntées à la mythologie sont artificielles et hors de saison.

Evidemment, comme Malherbe a peu d'imagination et en conséquence peu d'invention, comme il ne se livre pas et que son style a plutôt la concision que l'envolée, il lui arrive d'être compassé et monotone, mais c'est là son moindre défaut. Il en a un bien plus grand, qui est celui d'avoir si bien endigué, limité, défendu, et payé du reste d'exemple, que le lyrisme, en tant qu'expression des modifications d'un tempérament, a été entièrement banni par lui. et ce bannissement a duré deux siècles.

Le caractère fort peu accommodant de Malherbe et une habitude qu'il avait de dire leur fait aux gens, lui attirèrent beaucoup d'ennemis. Le grand Prieur qui connaissait sa rudesse avait dit un jour à Du Périer: « Voilà un sonnet, si je dis à Malherbe que c'est moi qui l'ai fait, il dira qu'il ne vaut rien. Je vous prie, dites qu'il est de votre façon » Du Périer donna lecture du sonnet à Malherbe en présence du grand prieur. « Ce sonnet, dit Malherbe, vaut exactement autant que si c'était M. le Prieur qui l'eût fait.'» Son arrogance lui attira une affaire qui fut le point de départ d'une polémique dans le monde des poètes du début du XVIIe siècle. Le neveu de Desportes, Mathurin Régnier, était venu inviter Malherbe à dîner chez son oncle, et avait accompagné le poète qui avait accepté l'invitation. Quand ils arrivèrent chez Desportes, ils étaient en retard et on avait déjà servi le potage. «M. Desportes reçut M. de Malherbe avec grande civilité et, offrant de lui donner un exemplaire des Psau

1 Tallemant des Réaux.

mes qu'il avait nouvellement faits, il se mit en devoir
de monter à sa chambre pour l'aller quérir. M. de Mal-
herbe lui dit qu'il les avait déjà vus, que cela ne valait
pas la peine de remonter, et que son potage valait
mieux que ses Psaumes. Il ne laissa pas de dîner avec
M. Desportes sans se dire mot, et aussitôt qu'ils furent
sortis de table, ils se séparèrent et ne se sont jamais
vus depuis. La guerre fut ainsi déclarée. Régnier
(1573-1613) passa dans le camp de son oncle où le
rejoignirent Bertaut, Vauquelin des Yveteaux et
Claude Garnier. Malherbe, ayant comme lieutenants
Racan et Maynard, fit savoir à ses adversaires qu'il
se moquait d'eux et qu'il « ferait de leurs fautes à
tous un volume plus gros que tous les leurs réunis ».
Et il entreprit son fameux Commentaire sur Des-
portes qui consiste surtout en une critique négative.
Régnier ne resta pas inactif. Il composa
IX Satire dédiée à Nicolas Rapin (1535-1658) où il
montre qu'aux yeux de Malherbe et de ses partisans

Ronsard, en son mestier n'estoit qu'un apprentif ;
Il avoit le cerveau fantastique et rétif;

Desportes n'est pas net; du Bellay trop facile ;
Belleau ne parle pas comme on parle à la ville;
Il a des mots hargneux, bouffis et relevez,
Qui du peuple aujourd'huy ne sont pas approuvez

sa

Et cela provoque l'indignation du satiriste qui

s'écrie :

Comment il nous faut doncq, pour faire une œuvre grande
Qui de la calomnie et du tans se défende

Qui trouve quelque place entre les bons autheurs,
Parler comme à Saint-Jean parlent les crocheteurs ?...
Pensent-ils des plus vieux offenceant la memoire
Par le mespris d'autruy s'acquerir de la gloire,
Et pour quelque vieux mot d'estrange ou de travers,
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers?
Cependant leur sçavoir ne s'estend seulement
Qu'a regrater un mot douteux au jugement,
Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphtongue,
Espier si des vers la rime est brève ou longue.
Ou bien si la voyelle, à l'autre s'unissant,

Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant ;
Et laissent sur le verd le noble de l'ouvrage.
Nul eguillon divin n'esleve leur courage;

1 Racan.

Ils rampent bassement, foibles d'inventions,
Et n'osent, peu hardis, tanter les fictions,
Froids à l'imaginer car s'ils font quelque chose,
C'est proser de la rime et rimer de la prose,
Que l'art lime et relime et polit de façon
Qu'elle rende à l'oreille un agréable son..................

Après Régnier, Mlle de Gournay (1566-1645), la «fille d'alliance de Montaigne » qui fut peinée de voir le jugement de son maître vénéré sur Ronsard cassé par l'arrêt de Malherbe, prit à son tour la défense de la Pléiade. Elle dit que la bonne rime ne fait pas le poème, qu'elle s'adresse du reste à l'oreille et non pas à l'œil. « l'œil. «Qui nous meut donc de rejeter l'accouplement de main et de chemin, de sain et de médecin, de vain et de vin, de hautain et latin et autres semblables? » Elle réclama encore en faveur des diminutifs créés par Ronsard, « si naturels, si usités, si fondés ». Mais rien n'y fit, Malherbe triompha et on flatta son orgueil à un tel degré qu'il alla jusqu'à dire en parlant de Voiture : « Comment se fait-il qu'un homme qui n'a pas été nourri dans ma discipline ait pu faire un si bon chemin dans un pays dont je croyois seul avoir la clef? » Il disait bien encore par boutade, que c'étoit sottise de faire un métier de la poësie, qu'on n'en devoit espérer autre récompense que son plaisir, qu'un poëte n'étoit pas plus utile à l'état qu'un bon joueur de quilles », il n'en avait pas moins une haute idée de son mérite: « La monnaie dont les petits paient les bienfaits des grands, c'est la gloire. J'espère que de ce côté-là on ne m'accusera jamais d'ingratitude :

Apollon à portes ouvertes

Laisse indifféremment cueillir

Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir
Mais l'art d'en faire des couronnes
N'est pas su de toutes personnes,
Et trois ou quatre seulement
Au nombre desquels on me range
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement.

Autour de lui les disciples furent peu nombreux. Citons parmi eux les principaux: Arbaud de Porchères, Yvrande, Colomby, du Monstier, Maynard,

« qui étoit celui de tous qui faisoit le mieux les vers mais, qui n'avoit point de force », et Racan « qui ne travailloit pas assez ses vers »>, au goût de son maître.

Honorat de Bueil, marquis de Racan (1589-1670), appartenait à une famille pauvre et dut à son cousin le duc de Bellegarde d'être placé à la cour en qualité de page. Il fit plusieurs campagnes sous Louis XIII et fut avec Malherbe au nombre des familiers de l'Hôtel de Rambouillet. Dès 1635, c'est-à-dire dès la fondation, il fut nommé membre de l'Académie française. L'héritage qu'il recueillit à la mort de sa cousine Mme de Bellegarde lui permit de se retirer à la campagne et d'y passer tranquillement ses jours. Ses contemporains admiraient en lui l'auteur de la pastorale des Bergeries, où, à côté de bien des choses qui ont un caractère conventionnel il y a des aperçus à la fois gracieux et frais. Il s'est plu, dans beaucoup de poèmes, à copier Malherbe ; mais quand il secoue le joug, il se révèle comme un des rares poètes du XVII siècle qui aient eu vraiment à quelque degré le sentiment de la nature. C'est ainsi qu'il a chanté les séductions de la vie à la campagne dans un style exempt de recherche, qu'il a su dire aussi ce qu'il ressentait devant l'instabilité des choses humaines, devant la fuite du temps et devant la mort et cela, avec une grande simplicité, sans afficher son émotion. Il est d'abord le disciple de Malherbe, mais il est aussi l'émule de Virgile et d'Horace dans ses fameuses Stances à Tircis1 :

Tircis, il faut penser à faire la retraite ;

La course de nos jours est plus qu'à demi faite ;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort :
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots de notre nef vagabonde ;
Il est temps de jouir des délices du port.
Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable;

Il est intéressant de comparer ce poème avec la chanson de Desportes: O bien heureux celui qui peut passer sa vie... On y retrouve des hemistiches entiers. Le 5 de la 3 stance par exemple est chez Desportes au 5 vers de la 4 strophe:

Des grands seigneurs l'oreille il n'importune,
Mais en vivant content de sa fortune

Il est sa cour, sa faveur et son roi.

Plus on est élevé, plus on court de dangers;

Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête, Et la rage des vents brise plutôt le faite

Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

O bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs ;
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs !......

Ces vers ne sont pas sans harmonie et ils ont un accent d'indéniable sincérité. Il s'en tient, comme il dit « aux préceptes de son premier maître il n'a d'autre but que celui de s'exprimer avec netteté 1 ». L'édition des Psaumes (1651) de Racan ne vaut pas la partie de son œuvre où l'on trouve des vers virgiliens, mais il y montre dans la variété du rythme plus d'originalité que Malherbe. Avec une délicatesse rare, il s'abstint de paraphraser ceux des Psaumes que Malherbe avait déjà choisis.

Maynard (1582-1646) débuta par une pastorale intitulée Philandre (1619), dans le goût des Bergeries de Racan. Il fit avec le Cardinal de Noailles, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, un voyage à Rome, où il ne se plut guère. De retour en France à la disgrâce de son maître, il n'eut le don de se faire pensionner ni par Richelieu, auquel il prodigua les louanges, ni par Séguier et il ne sut jamais monter à un plus haut emploi dans la magistrature que celui de président au présidial à Aurillac. Il se montra comme Racan un imitateur de Malherbe, mais quand il est lui-même, il est élégant, spirituel et sait donner à ses vers une douce teinte de mélancolie. Ses Stances à la Belle vieille sont justement fameuses: Cloris avait refusé de l'épouser trente ans auparavant et de son côté il s'était marié, mais sa femme étant morte et Cloris se trouvant veuve elle-même, le poète lui demanda sa main. Malgré Balzac qui fit de son mieux pour favoriser cette union, Cloris resta inflexible et les beaux vers de Maynard n'eurent pas le don de la toucher :

1 Lettre à M. Chapelain. G. Lanson, Choix de Lettres du XVII siècle, p. 55, Paris, Hachette.

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