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J'entends craqueter le tonnerre ;
Un esprit se présente à moi ;
J'oy Caron qui m'appelle à soi;
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte à sa source;
Un boeuf gravit sur un clocher;
Le sang coule de ce rocher, etc....

Son œuvre est très inégale. Ce fut au fond un tempérament rétif, plus sensuel que sentimental, ayant le goût de l'étrange, bohême et débraillé, mais foncièrement lui-même et possédant le don de voir et de dire ce qu'il voyait d'une façon originale.

Le bon gros » Saint-Amant (1594-1661) a reçu comme Théophile de Viau l'hospitalité de Gautier dans les Grotesques. Protégé du duc de Retz, du maréchal de Créqui et du comte d'Harcourt, il vit du service sur terre et sur mer et entreprit de nombreux voyages en Espagne, en Italie, en Pologne. Il finit pieusement une vie agitée.

En 1643 dans sa Rome ridicule il inaugura le genre burlesque que nous retrouverons au chapitre suivant, et il composa un poème heroï-comique sur l'Angleterre qu'il intitula Albion. Il ne publia qu'en 1653 un poème qu'il avait commencé depuis longtemps et que Boileau a rendu fameux à force d'en parler, son Moise sauvé.

Boileau, quand il s'intéresse (dans sa Satire I) aux rimeurs affamés cite Saint-Amant, et selon lui,

Saint-Amant n'eut du ciel que sa veine en partage,
L'habit qu'il eut sur lui fut son seul héritage,
Un lit et deux placets composaient tout son bien,
Ou, pour mieux en parler, Saint-Amant n'avait rien.
Mais quoi las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune,
Et, tout chargé de vers qu'il devait mettre au jour,
Conduit d'un vain espoir, il parut à la cour.
Qu'arriva-t-il enfin de sa Muse abusée ?

Il en revint couvert de honte et de risée ;
Et la fièvre, au retour, terminant son destin,
Fit par avance en lui ce qu'aurait fait la faim

S'il faut s'en rapporter au témoignage du satiriste, ce dut être une fin de vie d'autant plus dure pour Saint-Amant qu'il aimait la bonne chère et la joie. Toute une partie de son œuvre, et non la moindre,

lui a été inspirée par le vin et les plaisirs de la table, et consiste en une série de tableaux riches en couleurs, la Vigne, le Fromage, les Goinfres dont le réalisme n'est dépassé que par les compositions qui portent le nom de La Gazette du Pont-Neuf, les Cabarets, le Poète crotté, etc. C'est une véritable mine d'idées et d'images, mais tout y est pêle-mêle, sans coordination.

Pour donner un exemple des œuvres de ce genre, je transcris ici le sonnet des Goinfres, l'un de ses meilleurs :

Coucher trois dans un drap, sans feu ny sans chandelle, Au profond de l'hiver dans la sale aux fagots,

Où les chats ruminans le langage des Goths

Nous esclairent sans cesse en rouant la prunelle ;

Hausser nostre chevet avec une escabelle,
Estre deux ans à jeun comme les escargots,
Resver en grimassant ainsi que les magots,
Qui, bâillans au soleil, se gratent sous l'aisselle ;
Mettre au lieu de bonnet, la coiffe d'un chapeau ;
Prendre, pour se couvrir, la frise d'un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;

Puis souffrir cent brocars d'un vieux hoste irrité
Qui peut fournir à peine à la moindre despense;
C'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.

Quelques poèmes de Saint-Amant échappent cependant à ce dernier reproche. Comme Théophile, il a composé une Ode sur la Solitude qui a de réelles qualités de mouvement en même temps que de

couleur :

Oh! que j'aime la solitude!

Que ses lieux sacrés à la nuit,
Eloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !

Mon Dieu que mes yeux sont contents
De voir ces bois qui se trouvèrent

A la nativité du temps,

Et que tous les siècles révèrent,

Etre encore aussi beaux et verts

Qu'aux premiers jours de l'univers !

Un gai zéphyre les caresse
D'un mouvement doux et flatteur.
Rien que leur extrême hauteur
Me fait remarquer leur vieillesse,

Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge,
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour nous envoyer le déluge,
Et se sauvant sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.

Que sur cette épine fleurie,
Dont le printemps est amoureux,
Philomèle au chant langoureux,
Entretient bien ma rêverie !
Que je prends de plaisir de voir
Ces monts pendant en précipices,
Qui pour les coups du désespoir
Sont aux malheureux si propices,
Quand la cruauté de leur sort
Les force à rechercher la mort......

Ne s'exprime-t-il pas en vrai romantique quand il dit:

Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s'y retirent,
Qui d'un malicieux ébat

Trompent nos sens et nous martyrent;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.

L'orfraie, avec ses cris funèbres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D'un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d'un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié......

Ailleurs, dans son Ode sur la Nuit, il a comme Théophile ses hallucinations et il est hanté de pensées macabres ou lugubres qui naissent de l'obscurité. Ses vers font alors penser à ceux du poète de la peur, Maurice Rollinat.1

1 Voir page 391.

Les chats presque enragés d'amour
Grondent dans les gouttières ;

Les loups-garous fuyant le jour
Hurlent aux cimetières

Et les enfants transis d'être tous seuls
Couvrent leurs têtes de linceuls.

Le clocheteur des trépassés,
Sonnant de rue en rue,

De frayeur rend leurs cœurs glacés
Bien que leur corps en sue

Et mille chiens oyant sa voix
Lui répondent à longs abois......

On peut placer auprès de Saint-Amant, Tristan L'Hermite1 (1600-1655) qui s'essaya dans tous les genres, et, à cause de la ressemblance, un autre poète qui, bien qu'appartenant à la seconde moitié du XVIIe siècle, clôt pour ainsi dire la liste des poètes libres et fantaisistes qui, sous le règne de Louis XIV. ont parfois un éclair de génie: Claude Le Petit (1638-1662), vrai descendant de Villon et comme lui touchant de près au peuple. C'est un « poète maudit qui alla jusqu'au meurtre. Ses mœurs étaient détestables, ses écrits souvent obcènes. Ses écarts et son indécence le firent traquer par les Jésuites, à l'instigation desquels il fut traîné en justice, condamné, étranglé et brûlé, en même temps que ses livres, en Place de Grève, le 1er septembre 1662. Il n'est pas un aussi grand artiste que Villon, sa poésie est trop acerbe pour être belle, mais sa phrase est nerveuse et ses épithètes vont droit au but. C'est du reste un satirique plutôt qu'un lyrique.

Malherbe a contribué a arrêter le courant subjectif qui se manifeste encore dans l'œuvre de ces poètes. Ils ont de nombreux défauts, ils sont affectés, ils font de l'esprit, ils sont précieux ou licencieux, mais remarquons que ce sont les derniers qui osent parler d'eux-mêmes et dire sans honte et sans déguisement les sentiments qu'ils éprouvent. C'est à peine si après eux et jusqu'au Romantisme nous rencontrerons quelques cas isolés où les poètes nous feront entendre le vrai son de leur voix.

1 Tristan L'Hermite. Les plus belles pages, éd. Ad. van Rever, 1909, Paris. Soc. du Mercure de France. Poésies, éd. J. Madeleine, Soc. des Textes français mod., Paris, Hachette.

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Pellisson et d'Olivet. Histoire de l'Académie française, éd. Ch. Livet, 1858, Paris, Didot.

Guez de Balzac. Les Euvres de M. de Balzac, 1665, Paris, Thomas Jolly.

Somaize. Le Grand Dictionnaire des Prétieuses, 1661, éd. Ch. Livet, 1856, Paris, Didier.

Tallemant des Réaux. Historiettes, éd. Monmerqué, ouv. cit. Anon. Les lois de la galanterie, 1644, dans le Nouveau recueil des pièces les plus agréables de ce temps, Paris, chez Nicolas de Sercy; éd. L. Lalanne, Trésor des pièces rares ou inédites, 1855, Paris, Aubry.

L'abbé de Pure. La Prétieuse ou le Mystère de la Ruelle, 1656-58, Paris, G. de Luyne et P. Lamy.

Molière. Les Précieuses ridicules, Le Misanthrope

Roederer. Mémoire pour servir à l'histoire de la Société polie en France, 1835, Paris, F. Didot.

V. Cousin. La Société française au XVIIe siècle, d'après le
Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, 1852, Paris, Didier.
Sainte-Beuve. Causeries du lundi, XII; Portraits de femmes:
Une Ruelle poétique sous Louis XIV, Paris, Garnier.
Ch. Livet. Précieux et précieuses, 1859, Paris, Didier et
Welter.

Brunetière. Etudes critiques sur l'histoire de la littérature française, II, 1882, Paris, Hachette.

F. T. Perrens. Les libertins en France au XVIIe siècle, 1896, Paris, Calmann-Lévy.

Goujet. Bibliothèque françoise (Sarrazin, Benserade, Brébeuf, etc.), ouv. cit.

Th. Gautier. Les Grotesques, éd. Charpentier, Paris.

P. Morillot. Scarron et le Genre burlesque, 1888, Paris, Lecène et Oudin.

Poètes de ruelles au XVIIe siècle, éd. O. Uzanne, 1876-78 ; (La Guirlande de Julie, 1875; Benserade, 1875; Sarazin, 1877), Paris, Librairie des Bibliophiles.

Paul Olivier. Cent Poètes lyriques, précieux ou burlesques du dix-septième siècle, 1898, Paris, Havard fils.

1 Voir la Bibliographie générale, page VI.

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