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vers, pour pratiquer les enjambements les plus audacieux, non seulement dans l'intérieur d'une strophe, mais d'une strophe à l'autre.

En fin d'analyse, Chénier est donc un classique égaré dans un siècle qui ne l'était que superficiellement. C'est un libertin et un païen qui a la passion de la Science et de l'Idée qu'auront un jour Vigny et Sully Prudhomme. Enfin c'est un artiste qui s'est révélé tout d'un coup à l'aube du romantisme. Les romantiques qui voulaient des réformes ont été frappés par ce qu'il avait tenté de réaliser dans la structure du vers, mais ils se sont trompés. Chénier n'est pas leur ancêtre comme ils se sont empressés de le dire. Il est plutôt le précurseur des poètes qui s'attaqueront à l'idéal romantique, qui, comme lui, verront une grande inspiratrice dans l'antiquité, qui, comme lui seront des humanistes, des chercheurs de l'harmonie et de la pureté des lignes: les Parnassiens. Ils ne s'écarteront de lui que par leur désir d'éviter l'égotisme.

Autour d'André Chénier pendant la Révolution, le lyrisme n'est pas dans les œuvres des poètes, mais dans les discours des orateurs ou dans les confidences de Camille Desmoulins et de Mme Roland. En plus des poètes que j'ai déjà passés en revue, nous trouvons Florian qui meurt en 1794 et qui est alors célèbre pour ses Fables. La mode est à la pastorale. On écrit à la Delille. Fabre d'Eglantine1 (17551794), inventeur du calendrier révolutionnaire, a été trahi par les défauts de son style. Il n'a laissé qu'une seule de ses œuvres à la postérité, et c'est Il pleut bergère! Lemierre (1723-1794) s'adonnant au genre descriptif compose un poème en trois chants sur La Peinture et un second en seize chants intitulé Les Fastes, où il célèbre le boulevard

d'adresse.

assez

Puis vient l'Empire. C'est le temps des hommes d'action. Napoléon exerce d'ailleurs son absolutisme sur la littérature et sur les salons. Les écrivains composent sous la menace impériale. Il existe une poésie officielle qui sent la commande et qui fata

1 Edmond Pilon. Portraits frangais, 1904, Paris, Bibliothèque internationale d'édition.

lement abonde en exagérations et en flatteries. Au théâtre on imite Corneille, Racine et Voltaire. Le siècle précédent essaie de se survivre. Tout est solennel. On abuse de la mythologie. La plupart des œuvres sont fades, vieilles, usées.

Les auteurs de cette période sont: Ducis (17331816); Legouvé (1764-1812), auteur de La Sépul. ture, des Souvenirs, de la Mélancolie; Pons (17491844), collaborateur à l'Almanach des Muses, célèbre à son heure pour ses Loisirs, La Filleule et Le Par. rain; Deguerle (1766-1824), qui cultive le genre érotique dans ses Amours: Daru (1767-1829), qui compose une Astronomie en six chants; Luce de Lancival (1766-1810); Guéroult (1744-1821); Creuzé de Lesser (1771-1839), etc...

La poésie lyrique est encore entravée par les conceptions du XVIIIe siècle. Elle n'a pas encore profité des changements notables qui se sont faits dans l'orientation de la littérature, changements qui n'en sont pas moins frappants, car peu à peu, avec les Comédies de Marivaux et les romans de l'abbé Prévost, on voit l'émotion s'in filtrer dans les œuvres. Le XVIII siècle arrivé aux deux tiers de sa course a assez vécu de productions intellectuelles et du vertige des sens. Il en est arrivé à une satiété qui touche au dégoût. Le pouvoir qu'ont l'imagination et la sensibilité de multiplier et de varier les jouissances apporte une séduction toute nouvelle. Le cas de Mlle de Lespinasse qui est aussi passionnée qu'une Louise Labé ou qu'une Desbordes-Valmore n'est pas un cas isolé. Il semble donc étrange que la poésie n'ait pas été l'écho de ce réveil de la sensibilité. Il y a malheureusement pour cela des raisons majeures. La poésie continue d'être la victime des conventions, la prisonnière du goût régnant. D'autre part la langue en est, ni plus ni moins que par le passé, à l'observance la plus fidèle des règles de la correction. Elle n'est pas plus qu'au temps de Fénelon l'instrument propre à une expression personnelle, et le fût-elle, ce serait en pure perte, puisque les obstacles de la convention et du goût viendraient refroidir toutes velléités d'expression du moi. Nous

voyons donc encore quantité de petits poètes cramponnés à la corde de la tradition. Mais cette corde est bien tendue et bien usée. Quand elle se rompra enfin, les poètes abandonneront les poncifs, la rhétorique, le souci du joli qui flatte l'œil et leur conception de l'art antique qui ne sert qu'à cacher des médiocrités tombera d'elle-même.

1 C'est aux poètes de ce genre qu'il faut appliquer le jugement que George Meredith met dans la bouche de son héros Mr. Barrett, qui compare la poésie des Anglais à celle des Français: The audacity of the French mind, and the French habit of quick social intercourse, have made them nationally far richer in language. Let me add, individually as much poorer. Read their stereotyped descriptions. They all say the same things. They have one big Gallic trumpet. Wonderfully eloquent: we feel that: but the person does not speak. (Sandra Belloni, viii), p. 64, éd. Constable.

CHAPITRE XI.

LE ROMANTISME

ORIENTATION DES TENDANCES

BIBLIOGRAPHIE1

LES THEORIES

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