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Les Vêpres siciliennes (1819), Louis XI (1832), Les Enfants d'Edouard (1833), mais le style de son théâtre est loin de valoir celui de ses poèmes. Cependant, d'une façon générale, on peut dire que pour plaire aujourd'hui, il ressemble trop aux derniers poètes du XVIII siècle et non aux meilleurs. Il donne dans la périphrase, puise au magasin des antiquités, et dépayse son lecteur en l'emmenant chez les Romains ou chez les Grecs. Certains des Derniers Chants, publiés après sa mort sont supérieurs à ses œuvres précédentes. Ils se recommandent par une plus grande sincérité de l'émotion et une plus grande simplicité du style. Ses Nouvelles Messéniennes eurent encore du succès à l'époque du philhellénisme. Bien qu'il y manque souvent d'originalité, il y a cependant dans les vers que la misère des Grecs lui inspira des passages d'une haute envolée, celui-ci par exemple :

«Des dieux de ce vallon contez-moi les secrets,
Berger quelle déesse habite ces fontaines ?
Voyez-vous quelquefois les nymphes des forêts
Entr'ouvrir l'écorce des chênes ?

Bacchus vient-il encor féconder vos coteaux ?
Ce gazon que rougit le sang d'un sacrifice,
Est-ce un autel aux dieux des champs et des troupeaux ?
Est-ce le tombeau d'Eurydice ? »>

Mais le pâtre répond par des gémissements:
C'est sa fille au cercueil qui dort sous ces bruyères,
Ce sang qui fume encor, c'est celui de ses frères
Egorgés par les Musulmans.

Eurotas, Eurotas, que font ces lauriers-roses
Sur ton rivage en deuil par la mort habité ?
Est-ce pour faire outrage à ta captivité
Que ces nobles fleurs sont écloses ?

Non, ta gloire n'est plus; non, d'un peuple puissant
Tu ne reverras plus la jeunesse héroïque,

Laver parmi tes lys ses bras couverts de sang,
Et dans ton cristal pur sous ses pas jaillissant

Secouer la poudre Olympique.

Auprès de Casimir Delavigne, Béranger (17801857) demeure un classique fervent. En dépit de la clameur de la lutte romantique, il pénétra partout. La cause en est que ses Chansons s'adressent au

peuple et aux bourgeois qui restaient quelque peu étonnés et méfiants devant les éclats du romantisme et comme il exprimait précisément les idées et les sentiments du peuple ou des bourgeois, Béranger eut auprès d'eux un immense succès. Béranger n'avait pas trouvé sa voie du premier coup. Ce n'est que vers 1802 qu'il se mit à écrire des chansons. Mais à partir de cette date, il se fit connaître peu à peu et atteignit vers 1830 à une gloire que les amendes et les condamnations à la prison qu'il subit (1821 et 1828), ne contribuèrent pas pour peu à rendre sans rivale: il n'est à cette époque dans toute la France aucune mémoire qui ne contienne quelqu'une des chansons de Béranger. Il est libéral, anti-clérical, bon-vivant, cocardier, blagueur, et avec cela, il a le don du rythme qui hante la mémoire. Ne nous étonnons donc pas que le peuple tout entier soit allé à lui.

Il a chanté les héros de la Grande Armée, non pas les chefs, mais plutôt les simples soldats, les grenadiers, caporaux et sergents, faisant ainsi vibrer une fibre sensible chez le peuple. Il a chanté aussi les gueux, ce qui devait encore plaire aux humbles, et sa fameuse Lisette, ce qui plaisait à tous. Il fait preuve de qualités d'écrivain qu'on ne saurait lui contester. Son rythme est vif, sa langue est simple; il est accessible à tous. Mais il pèche souvent contre le bon goût et tombe parfois dans la grossièreté, dans la vulgarité, se mettant par là au niveau de la populace.

Quoi qu'il en soit, Béranger n'est pas sans mérite. Il a fait descendre la poésie de ses hauteurs habituelles. C'est un premier poète des « humbles ». Il y a en lui à la fois du La Fontaine et du François Coppée.

CHAPITRE XIII.

ALFRED DE VIGNY

BIBLIOGRAPHIE1

Alfred de Vigny. Poèmes, 1822; Eloa, 1823; Poèmes antiques et modernes, 1826; Les Destinées, 1864; Le Journal d'un poète, publié par L. Ratisbonne, 1867. Euvres, chez Calmann-Lévy, Lemerre, Delagrave, Larousse, La Renaissance du Livre; Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, Paris, Hachette et éd. Baldensperger, Paris, Conard. Sainte-Beuve. Portraits littéraires III; Nouveaux lundis, VI; ouv. cit.

G. Planche. Portraits littéraires, 1836, Paris, Charpentier. E. Montégut. Nos morts contemporains, 1884, Paris, Hachette.

Anatole France. Alfred de Vigny, 1868, Paris, BachelinDeflorenne.

E. Faguet. Dix-neuvième siècle, 1887, Paris, Lecène et
Oudin.

P. Bourget. Etudes et Portraits, 1889, Paris Lemerre.
M. Guyau. L'Art au point de vue sociologique, 1890, Paris,
Félix Alcan.

M. Paléologue. Alfred de Vigny, 1891, Paris, Hachette.
L. Dorison. Alfred de Vigny, poète philosophe, 1892, Paris
Colin; Alfred de Vigny et la politique, 1894, Paris, Perrin.
F. Brunetière. Evolution de la Poésie lyrique au XIXe siè-
cle, 1894, Paris, Hachette.

Léon Séché. Alfred de Vigny et son Temps (1797-1863), 1902,
Paris, Juven Alfred de Vigny. I. La Vie littéraire, poli-
tique et religieuse. II. La vie amoureuse, Paris, Soc. du
Mercure de France.

G. Pellissier. Nouveaux essais de la littérature contemporaine, 1895, Paris, Lecène.

P. Lasserre. Le romantisme français, 1907, Paris, Soc. du Mercure de France.

P.-Maurice Masson. Alfred de Vigny, 1908, Paris, Bloud. Gaillard de Champris. Sur quelques idéalistes, Essais, 1908, Paris, Bloud.

E. Lauvrière. Alfred de Vigny: sa vie et son œuvre. 1910, Paris, A. Colin,

F. Baldensperger. Alfred de Vigny, contribution à sa biographie intellectuelle, 1912, Paris, Hachette.

1 Voir la Bibliographie générale, page VI.

E Dupuy. Alfred de Vigny. Ses amitiés, son rôle littéraire, Paris, (1910-12), Soc. d'Impr. et de Lib.; Alfred dé Vigny, la vie et l'œuvre, 1913, Paris, Hachette.

Alfred de Vigny naquit le 27 mars 1797. Ses jeunes années furent tristes, surtout celles qu'il passa au collège. Il était alors d'une santé faible et il avait, ainsi qu'il l'a dit lui-même « une nature contemplative ». Comme la plupart des romantiques possédant un nom à particule, il était très fier de sa noblesse. Plus tard, l'orgueil du gentilhomme fera place à la fatuité de l'artiste, et il dira à Eva :

Si l'orgueil prend ton cœur quand le peuple me nomme,
Que de mes livres seuls te vienne ta fierté.
J'ai mis sur le cimier doré du gentilhomme
Une plume de fer qui n'est pas sans beauté...

J'ai compté mes aïeux suivant la vieille loi...
C'est en vain que d'eux tous le sang m'a fait descendre ;
Si j'écris leur histoire, ils descendront de moi.1

Il crut d'abord que sa voie était dans la carrière des armes. C'était pendant la jeunesse et sous les yeux de Vigny que se déroulait l'épopée napoléonienne, et il sentait monter dans son âme « un amour désordonné de la gloire des armes ».

En 1814, il reçut une commission de sous-lieutenant dans les gendarmes rouges. Pendant les Cent jours, il suivit la cour en exil. Au retour, il lui fallut bientôt reconnaître que la Restauration ne répondait guère à ses beaux rêves de gloire et qu'il y avait loin d'un Louis XVIII à un Napoléon. L'armée de la France vaincue ne ressemblait guère à celle de la France victorieuse. Alfred de Vigny déçu tourna alors toute son attention vers la littérature. Ses premiers essais poétiques, La Dryade et Symétha par exemple, sont loin de faire pressentir le génie qui était en lui. Ce ne fut qu'en 1822, lorsqu'il publia ses Poèmes, qu'il se révéla. En 1826, il en donna une nouvelle édition augmentée sous le titre de Poèmes antiques et modernes. Fatigué de la vie militaire, il donna sa démission en 1827. Il était à cette époque marié depuis trois ans, ayant épousé à Pau en 1825 une créole anglaise, Miss Lydia Bunbury. Il s'essaya dans le roman historique

1 L'Esprit pur.

avec Cing-Mars (1826), puis donna une traduction d'Othello (1829). La révolution de 1830 le laissa à peu près indifférent. Cependant il essaya, comme Victor Hugo, de jouer un rôle d'apôtre quand il plaida en faveur du poète, « l'homme spiritualiste étouffé par la société matérialiste », dans un roman Stello (1835) et dans un drame, Chatterton (1835). La même année Servitude et grandeur militaires, lui sert de thème pour montrer la disproportion entre la grandeur de l'abnégation du soldat et sa servitude qu'il accepte stoïquement, soutenu qu'il est par cette « foi souveraine » qui est «l'Honneur »>.

A partir de 1835, Vigny s'isole de plus en plus. Une nouvelle édition de ses poèmes contenant deux additions, Paris et les Amants de Montmorency paraît en 1837. En 1842 il entre à l'Académie. En 1843 il publie quelques poèmes dans la Revue des Deux-Mondes et jusqu'à sa mort, le 17 septembre 1863, il cesse de publier. Son dernier volume de vers Les Destinées parut en 1864.

L'œuvre de Vigny est donc loin d'être aussi considérable que celle de Victor Hugo. Ses années de jeunesse seules ont été ses années de production. Presque soudainement la source a paru tarie: on pourrait sans risquer de se tromper appliquer à Vigny le mot du Quaker à Chatterton: «En toi, la rêverie continuelle a tué l'action ».1

Pour comprendre le caractère de l'œuvre de Vigny, il faut que nous connaissions celui de l'homme et je crois que Vigny en écrivant son étude psychologique sur Le Poète nous a fait de lui-même, avec un grain de vanité, un portrait moral plus ressemblant que celui que nous pourrions tenter d'esquisser. « L'émotion est née avec lui si profonde et si intime, qu'elle l'a plongé, dès l'enfance, dans des extases involontaires, dans des rêveries interminables, dans des inventions infinies. L'imagination le possède par dessus tout. Puissamment construite, son âme retient et juge toute chose avec une large mémoire et un sens droit et pénétrant; mais l'imagination emporte ses facultés vers le ciel aus

1 Chatterton. Acte I, Scène V.

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