Page images
PDF
EPUB

Car d'evesques ou lanterniers
Je n'y cognois riens à redire.

Or sont ils morz. Dieu ait leurs ames!
Quant est des corz, ils sont pourriz.
Aient esté seigneurs ou dames,
Souëf et tendrement nourriz
De cresme, fromentée ou riz,
Leurs os sont declinez en pouldre
Auxquels ne chault n'esbaz, ne riz.
Plaise au doulz Jesus les absouldre.

C'est dans la mort, comme le fait remarquer Stevenson, qu'il trouve sa vraie inspiration.' La morale qu'il en tire est qu'il vaut mieux vivre sous «gros bureaux», pauvre, qu'avoir été seigneur et « pourrir souls riches tombeaux ».

Villon sait nous toucher par sa mélancolie, ses plaintes, son désespoir où perce une ironie amère. Il est naturel. Il sait oublier son angoisse et sa peine pour se dauber de ses amis par les legs qu'il leur fait. Chacun de ses vers contient une idée compacte ou une image nette et vive. Telle de ses ballades celle des Pendus, par exemple, est une vigoureuse «<eau-forte. ››2 Il sait trouver le mot juste et dessiner d'un seul trait. « C'est un poète égotiste: le moi, le je reviennent très souvent dans ses vers.3» Ses ballades rompent heureusement la monotonie du dispositif du Grand Testament, ce qui prouve un sens artistique et surtout un souci de la composition qu'on ne s'attendait guère à trouver chez ce contempteur de l'ordre.

Il a vécu ses vers et, pour cette raison, il leur a donné un indiscutable accent de vérité. Dans ce cœur faible, dans cette âme tiraillée de tous les côtés à la fois, prime-sautière et primitive, dans cette pensée qui

1 It is in death that he finds his truest inspiration; in the swift and sorrowful change that overtakes beauty; in the strange revolution by which great fortunes and renowns are diminished to a handful of churchyard dust; and in the utter passing away of what was once lovable and mighty. It is in this that the mixed texture of his thought enables him to reach such poignant and terrible effects, and to enhance pity with ridicule, like a man cutting capers to a funeral march. It is in this also that he rises out of himself into the higher spheres of art. » R. L. Stevenson Familiar Studies of Men and Books (Chatto and Windus).

2 R. L. Stevenson. Ibid.

3 Théophile Gautier. Les Grotesques (Fasquelle).

s'arrête interdite quand elle se trouve face à face avec les grands problèmes de la vie et de la mort, nous ne pouvons manquer de retrouver beaucoup de nousmêmes. Notre propre cœur s'y reconnaît et devant cette splendide expression de toute la misère humaine, nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir malgré tout attirés par Villon qui bannit toute recherche, écrit comme il pense, se sert sans hésiter de la langue de tous et ne craint même pas de déparer son œuvre par le jargon du milieu où ses vices l'ont condamné à vivre. Stevenson trouve, au point de vue de l'emploi de cette langue spéciale qui nécessite un lexique approprié, des ressemblances entre lui et Burns. Il est évident qu'ils eurent tous deux «la vivacité brutale de l'épithète, » mais ce n'est pas une raison pour qu'on s'éloigne d'eux.

On s'est remis à aimer Villon à la fin du siècle dernier parce qu'on le connaissait et qu'on le comprenait mieux; aussi n'y a-t-il rien d'étonnant que de grands poètes aient été séduits par lui et que Swinburne qui a traduit quelques unes de ses ballades en ait composé une, où il rend hommage à ce prince des faiseurs de ballades, « car la mort a maintenant lavé la boue qu'il avait aux pieds.1 >>

1 3ème strophe de A Ballad of François Villon, Prince of All Ballad Makers.

Poor splendid wings so frayed and soiled and torn!
Poor kind wild eyes so dashed with light quick tears!
Poor perfect voice, most blithe when most forlorn

That rings athwart the sea whence no man steers
Like joy-bells crossed with death-bells in our ears!
What far delight has cooled the fierce desire
That like some ravenous bird was strong to tire
On that frail flesh and soul consumed with flame,
But left more sweet than roses to respire,
Villon, our sad bad glad mad brother's name.
Envoi

Prince of sweet songs made out of tears and fire,

Shame soiled thy song, and song assoiled thy shame.
But from thy feet now death has washed the mire,
Love reads out first at head of all our quire,

Villon, our sad bad glad mad brother's name.
Swinburne, Poems and Ballads (Second series), éd. Heinemann.

CHAPITRE III

LES RHETORIQUEURS

BIBLIOGRAPHIE1

Sainte-Beuve. Tableau de la Poésie française au XVIe siècle, 1828, et réédition 1843, Paris, Charpentier, puis A. Le

merre.

Darmesteter et Hatzfeld. Le Seizième siècle en France, 1878, Paris, Delagrave.

Virgile Rossel. Histoire de la Littérature française hors de France, 1894, Paris, Payot.

H. Guy. Histoire de la Poésie française au XVIe siècle. I. l'Ecole des Rhétoriqueurs, 1910 Paris, Champion.

Abbé Goujet. Bibliothèque française depuis l'origine de l'Imprimerie, 1741-56, Paris, Mariette et Guérin.

A. de Montaiglon et James de Rothschild. Recueil de Poésies françoises des XVe et XVIe siècles, 1855-78, Paris, Biblioelzévirienne, Plon.

Crépet. Les Poètes français, I, 1861 et 2e éd. 1887, Paris, Hachette.

Roger de Collerye. Œuvres, éd. Ch. d'Héricault et Jannet, 1855, Paris, Bibl. elzévirienne, Plon; Notice dans Crépet. Henri La Maynardière. Poètes chrétiens, 1908, Paris, Bloud. Ernest Langlois. Recueil d'Arts de Seconde Rhétorique, 1902, Paris, Imp. Nationale.

Molinet. (Henry de Croy). L'Art et Science de Rhétorique, 1493; Chroniques et Poésies, éd. Buchon, 1828, Paris, Verdière.

de Reiffenberg. Mémoire sur Jehan Molinet, historien et poète 1835, Cambrai.

A. Lefèvre. Vie et Commune origine de J. Molinet et de J. Le Maire de Belges, 1900, Boulogne-sur-mer, Hamelin. Pierre Fabri. Le Grunt et vray Art de pleine Rhetorique, 1525, éd. Héron, 1889-90, Rouen, Soc. des Bibliophiles normands.

Gracien Du Pont. Art et Science de Rhetorique metriffiée, 1539.

Zschalig. Die Verlehren von Fabri, Du Pont und Sibelet, 1884, Leipzig.

Meschinot. Les Lunettes des Princes, éd. O. de Gourcuff, 1890, Paris, Cabinet du Bibliophile Jouaust.

1 Voir la Bibliographie générale, page VI.

Guillaume Colletet. Vie de Jean Meschinot. 1889, Vannes, Imp. Lafolye.

Le Maire de Belges. Euvres, éd. Stecher, 1882-91, Louvain, Lefever.

Francisque Thibaut. Marguerite d'Autriche et Jean Le Maire de Belges, 1888, Paris, E. Leroux.

Sur Jean Bouchet:

A. Hamon. Un grand rhétoriqueur poitevin, Jean Bouchet, 1901, Paris, Oudin.

Gringore. Œuvres, éd. de Montaiglon et Ch. d'Héricault 1858-77, Paris, Bibl. elzév., Jannet.

Ch. Oulmont. Pierre Gringore. 1911, Paris, Champion.

G. Colletet Vies des Poètes français. Octovien et Mellin de Saint-Gelays, éd. Gellibert des Seguins et E. Castaigne, 1863, Paris, Aubry.

H.-J. Molinier. Essai biographique et littéraire sur Octovien de Saint-Gelays, 1910, Rodez, Imp. Carrère et Picard, Paris. Jean Marot. Dans la Collection des Anciens Poètes français de Coustelier, 1723, Paris.

L. Theureau. Etude sur la Vie et les Euvres de Jean Marot 1873, Caen.

Il eût pu se faire que Villon eût formé une école, que la sincérité de ce « poète maudit » eût frappé ses contemporains et que des poètes se fussent engagés dans la voie qu'il leur avait ouverte, mais il n'en est rien. L'émotion et la vérité se sont exprimées en pure perte. On s'attache maintenant plus que jamais à formuler des règles, à découper des cadres et à faire des châteaux de rimes comme on fait des châteaux de cartes. On n'est pas poète, on n'a pas d'idées et on n'a aucune inspiration. Le goût de la forme fixe qui avait fait la fortune d'un Chartier et d'un Machaut en arrive à s'exagérer à un tel point que tout s'efface devant lui et qu'on aboutit à une singulière bazarrerie de métier qui évince tout le reste. On laisse complètement de côté l'harmonie du vers qui avait attiré

1 La province a cependant fourni un poète dont il est juste de faire mention, ce fut Roger de Collerye qui vécut à Auxerre où il mourut vers 1536. II se donna lui-même le nom de Roger Bon Temps qui est resté depuis le synonyme de bon vivant insouciant. Ce poète écrivit gaillardement des poésies au tour facile, mais original. Il a un accent de sincérité qui rappelle Villon. Il fut toute sa vie en proie à des embarras d'argent, ce qu'il n'a pas manqué d'exprimer dans ses vers:

Et si je suis d'estre ne ce monde las,
La cause y est: faim me tient en ses lacs...
D'un tel ennuy que je souffre et endure,
Fleur, femme, fruyt, ne plaisante verdure
Ne me scauroient nullement resjouyr,
Faulte d'argent me fait esvanouyr.

l'attention d'Eustache Deschamps pour se soumettre à l'absolutisme des règles étranges que la «< Seconde rhétorique » multiplie à plaisir et qui sont un résultat du pédantisme, issu d'un premier et imparfait contact avec l'antiquité. Les défauts de ce genre de poésie sont rendus plus apparents encore par un désir constant de moraliser. En somme, on devance Chapelain qui devait écrire un jour: «< On devient poète par l'étude des règles.1 »

Le dernier quart du XVe siècle voit l'aube du règne heureusement court de ceux qu'on a nommés les Rhétoriqueurs. A partir de 1392, date à laquelle Eustache Deschamps écrit son Art de dictier et faire chançons, balades, virelais et rondeaulx, jusque vers 1540, les ouvrages de ce genre sont de plus en plus nombreux. Ce sont, en 1405, celui d'un moine Augustin qui s'intitule Des rithmes et comment se doivent faire; en 1415, un ouvrage anonyme sur les Règles de la Seconde rhétorique, en 1432, la Seconde Rhétorique de Bauldet Herenc; en 1475, un nouveau traité anonyme, L'Art de Rhétorique; en 1500, l'Instructif de Seconde Rhétorique, dû à un poète qui s'affubla du nom d'Infortunatus. Leur multiplicité montre suffisamment l'importance croissante de la technique qui envahit bientôt tout le domaine du lyrisme pour s'y livrer impunément aux pires extra

vagances.

Un des plus connus de ces pédantesques traités, L'Art et Science de Rhétorique, est l'oeuvre de Molinet (1493). Dédié et présenté au roi Charles VIII par l'auteur, il contient l'énumération de toutes les difficultés à vaincre qui font la beauté de la poésie telle qu'on la comprend de son temps. Quiconque apprendra les principes de gymnastique littéraire qui s'y trouvent expliqués et même appliqués deviendra à son tour parfait poète. En voici du reste le sommaire. «S'ensuit l'art et science de rhétorique, pour cognoistre tous les termes, formes et patrons, exemples, couleurs et figures de dictiers tailles modernes qui maintenant sont en usage. C'est

1 Préface de La Pucelle, 1656.

« PreviousContinue »