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Mais l'échec devant la ville la dégoûte pour jamais du métier des armes. Elle ne sera décidément pas une imitatrice de Jeanne d'Arc, mais une émule de Christine de Pisan.

Elle épousa Ennemond ou Aymon Perrin, marchand de cordages à Lyon, ce qui lui valut le nom de « belle cordière » que la postérité lui a conservé. Dans le milieu plus paisible où elle vécut désormais, son amour des lettres lui inspira le désir de se constituer une bibliothèque d'ouvrages dans tous les genres. Elle fut une des premières femmes à ouvrir un salon littéraire, où son amabilité et le charme de sa conversation attiraient les poètes et les musiciens. On y rencontrait entre autres Maurice Scève, Pontus de Tyard et Jean de Tournes. Parmi les femmes qui y fréquentaient également, une de ses amies, Clémence de Bourges adressait, paraît-il, à son amant des poèmes que Louise Labé corrigeait. Cette dernière en écrivit à son tour qui furent jugés meilleurs et qui furent si bien accueillis qu'elle supplanta son amie. Cela ne l'empêcha pas du reste de lui dédier ses œuvres publiées à Lyon, chez Jean de Tournes, en 1555.

<<< Ses

sonnets amoureux,1»> dit Sainte-Beuve, << mirent en veine bien des beaux esprits du temps et ils commencèrent à lui parler en français, en latin, en. toutes les langues, de ses gracieusetés, de ses baisers, comme des gens qui avaient le droit d'exprimer un avis là-dessus. » De là, peut-être sa réputation de grande amoureuse. On l'a appelée « la Ninon de son siècle >>).

Ses œuvres se composent d'une sorte de dialogue ou de comédie allégorique en prose, intitulé Le Débat de Folie et d'Amour,2 de trois Elégies, et de

1 Son amant fut Olivier de Magny qui publia de son côté des Amours en 1553. Suivis par: Les Gayetez d'Olivier de Magny, 1554; Les Souspirs d'Olivier de Magny, 1557; les Odes d'Olivier de Magny, 1559. Il avait rencontré Louise Labé en passant à Lyon en 1550 alors qu'il se rendait en Italie. La passion de Louise Labé pour Olivier de Magny lui inspira ses meilleurs vers. Mais Magny ayant eu l'air de l'oublier, elle encouragea l'amour de Claude Rubus. Au retour de Magny, Claude fut congédié par elle. Bientôt, les deux rivaux devaient attaquer sa réputation, Magny, dans son Ode à Sire Aymon et Rubys dans son Histoire véritable de Lyon, publiée après la mort de Louise en 1573.

2 Cf. La Fontaine. Fables. XII, XIV. Le Débat a été traduit en anglais dès 1608 par Robert Greene.

vingt-cinq Sonnets (dont un en italien). Dans le Débat, l'Amour et la Folie se disputent en entrant à un festin chez Jupiter. La Folie se rend invisible pour échapper aux traits de l'Amour, arrache les yeux à Cupidon et lui pose à la place un bandeau qu'il ne pourra plus jamais ôter. Vénus vient se plaindre à Jupiter. Les dieux se divisent en deux camps; Apollon plaide en faveur de l'Amour, Mercure en faveur de la Folie et Jupiter les renvoie dos à dos, en annonçant que le jugement sera rendu dans « trois fois sept fois neuf siècles. >>

L'œuvre en vers est plus intéressante. L'Amour, qui a fait tant de victimes, a atteint Louise à son tour:

Mais si en moy rien y ha d'imparfait,

Qu'on blame Amour : c'est lui seul qui l'a fait,
Sur mon verd aage en ses laqs il me prit,
Lors qu'exerçois mon corps et mon esprit.

Le fardeau de cet amour est lourd à porter aussi demande-t-elle à Cupidon:

Mais si tu veus que j'ayme jusqu'au bout,
Fay que celui que j'estime mon tout,
Qui seul me peut faire plorer et rire,
Et pour lequel si souvent je soupire,
Sente en ses os, en son sang, en son ame,
Ou plus ardente, ou bien egale flame.
Alors ton faix plus aisé me sera,

Quand avec moy quelcun le portera.

Ses sonnets surtout sont remarquables par l'ardeur de la passion sensuelle dont elle brûle et qui fait qu'on la compare à Sapho:

Je vis, je meurs je me brule et me noye.
J'ay chaut estreme en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grans ennuis entremeslez de joye...1

Elle pleure l'absence et aspire à une réunion prochaine qui serait le seul bien:

Oh, si j'estois en ce beau sein ravie

De celui là pour lequel vois mourant :

Si avec lui vivre le demeurant

De mes cours jours ne m'empeschoit envie :

1 Sonnet VIII.

Si m'acollant me disoit, chere amie
Contentons nous l'un l'autre, s'asseurant
Que ja tempeste, Euripe ne courant
Ne nous pourra desjoindre en nostre vie :

Si dans mes bras le tenant acollé
Comme du lierre est l'arbre encercelé,
La mort venoit, de mon aise envieuse :

Lors que souef plus il me baiseroit

Et mon esprit sur ses levres fuiroit,

Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse!(1)

Quand elle ne pourra plus être l'amante, elle demandera à la mort de l'emporter:

Tant que mes yeus pourront larmes espandre,
A l'heur passé avec toy regretter;
Et qu'aus sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart lut, pour tes graces chanter;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre ;

Je ne souhaitte encore point mourir :
Mais, quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit, et ce mortel sejour,

Ne pouvant plus montrer signe d'amante ;
Priray la Mort noircir mon plus cler jour. (2)

Elle mourut jeune et fort à propos. Malgré le mauvais goût d'Italie et le pétrarquisme outré de ses œuvres, l'expression de son tempérament élégiaque est souvent heureuse et beaucoup de femmes l'imitèrent. Elle les y avait du reste invitées.3

La première et la plus connue des émules de Louise Labé fut Clémence de Bourges, fiancée de Jean du Peyrat qui fut tué en combattant les protestants à Beaurepaire en 1562. Comme la fiancée du timbalier,

1 Sonnet XIII. Cf. L'Attente dans les Elégies de M" DesbordesValmore:

Mais sur ton cœur jamais ne pourrai-je dormir
De ce sommeil profond qui rafraîchit la vie?

Le repos sur ton cœur, c'est le ciel que j'envie !
Et le ciel irrité met l'absence entre nous...

2 Sonnet XIV.

3 Epitre dédicatoire à Clémence de Bourges.

elle mourut de chagrin et Lyon lui fit des funérailles magnifiques.

1

Jeanne Gaillarde, Jeanne Flore, Jacqueline Stuard, suivirent aussi l'exemple de Louise Labé, mais elles furent distancées par Pernette du Guillet, qui fut critiquée par Colletet, et qui chantait ses vers en s'accompagnant au luth.

On peut également rattacher à l'Ecole lyonnaise Marie de Romieu, la Vivaraise, dont le frère, Jacques de Romieu, aurait composé, au dire de la Croix du Maine, une satire sur les femmes à laquelle elle répondit par son Discours de l'excellence de la femme, où elle énumérait toutes les qualités que lui ont donné les Dieux.

En résumé, l'école lyonnaise est surtout représentée par des femmes, des bas-bleus pour la plupart, qui suivent les traces de Christine de Pisan et de Marguerite de Navarre. Toutes sont les prêtresses de l'amour et la fin de l'amour les fait penser à la mort. La nature ne les inspire guère. Elle se plaisent surtout à l'analyse de leur passion qu'elles idéalisent. Ce sont les premières précieuses, groupées autour de Maurice Scève qui les domine de toute sa taille. Elles ont les défauts et l'exubérance des Italiens dans leurs transports passionnés. Elles ont une allure toute romantique.

Dans la Préface aux Odes de 1550, Ronsard écrivit qu'avant la Pléiade, la poésie languissait, sauf toutefois en ce qui concerne Heroët, Scève et (nous ne nous y attendions guère) Saint-Gelais. Avec eux, en effet, le souci de la forme prend de l'importance, ce sont déjà des artistes. Sensuels et mystiques à la fois, les poètes de l'Ecole lyonnaise sont aussi sincères dans leur mysticisme que dans leur sensualité. Ils établissent la liaison entre le pétrarquisme et la Pléiade et avec eux la Poésie prend son essor.

1 Rymes de gentile et vertueuse dame D. Pernette du Guillet, Lyonnoise, 1545, Jean de Tournes, Lyon.

2 Dans les Euvres choisies des Poètes français du XVI siècle, publiées par Becq de Fouquières, 1880.

CHAPITRE VI

LA PREMIERE FORMULE CLASSIQUE

RONSARD ET LA PLEIADE

BIBLIOGRAPHIE1

Sainte-Beuve. Tableau de la poésie au XVIe siècle, ouv. cit. Saint Marc de Girardin. Tableau de la littérature française au XVIe siècle, 1828, Paris, Didier.

Philarète Chasles. Etudes sur le XVIe siècle, 1848, Paris, Amyot.

Etienne Pasquier. Recherches de la France, éd. Feugère 1849, Paris, Didot.

Arthur Tilley. The Literature of the French Renaissance, ouv. cit.

Emile Egger. L'Hellénisme en France, 1869, Paris, Didier. Darmesteter et Hatzfeld. Le Seizième siècle en France, ouv. cit.

F. Decrue de Stoutz. La cour de France et la société au XVIe siècle, 1888, Paris, Didot.

Bourciez. Les Mours polies et la littérature de cour sous Henri II, ouv. cit.

Marty-Laveaux. La Pléiade française. Appendice: La langue de la Pléiade, 1887-1898, Paris, Lemerre.

P. de Nolhac. Pétrarque et l'Humanisme,

Bouillon.

1892, Paris

M. Piéri. Pétrarque et Ronsard, ou l'influence de Pétrarque
sur la Pléiade française, 1896, Marseille, Laffitte.
Sidney Lee. The French Renaissance in England, 1910,
Oxford.

Sebillet. L'Art poétique français, éd. F. Gaiffe, Coll. des Textes français modernes, Paris, Hachette.

Joachim du Bellay. Euvres, éd. Marty- Laveaux, 1866-67, Paris, Lemerre; Euvres poétiques, éd. H. Chamard 1908, Soa. des Textes français mod., Paris, Cornély et Hachette; Les Regrets, éd. Robert de Beauplan; Divers jeux rustiques, éd. Ad. van Bever, 1907, Paris, Sansot; Les Amours de Faustine, poésies latines trad. par Thierry Sandre, 1923, Amiens, Edgar Malfère; La Deffence et Illustration de la Langue française, 1549, Paris, Arnoul l'Angelier; éd. E. Person, 1878, Paris, Léopold Cerf; éd. Chamard, 1904, Paris, Fontemoing et éd. Léon Séché, 1905, Paris, Sansot. P. Villey. Les sources italiennes de la « Deffence et Illustration», 1908, Paris, Champion.

1 Voir la Bibliographie générale, page VI.

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