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pour effectuer toutes les réparations dont a besoin son bâtiment, il n'a ni argent comptant ni lettres de crédit avec lesquelles il puisse se procurer des fonds.

Code finlandais. Nous renvoyons encore nos lecteurs au n. 1151. En Angleterre, l'emprunt à la grosse est valable quand il est fait par le capitaine ou par un propriétaire de navire alors que ce navire est dans un port étranger (foreign port) (1); mais la cour d'amirauté ne reconnaît pas la validité d'un emprunt contracté par ce propriétaire dans un port anglais pour mettre le navire en état d'entreprendre un nouveau voyage (2).

Tandis que le code allemand relègue sur un second plan l'emprunt fait par le propriétaire et que le code belge ne reconnaît expressément qu'au capitaine la faculté d'emprunter à la grosse, l'américain Dixon commence ainsi le vingt-septième chapitre de son law of shipping: « Bottomry est un contrat par lequel le propriétaire d'un navire emprunte de l'argent pour le mettre en état de poursuivre (carry on) son voyage » (3). Le capitaine, dit-il un peu plus loin, peut, à coup sûr, sans l'autorisation ni la ratification explicite ou implicite du propriétaire, emprunter à la grosse sur le navire, mais seulement quand il se trouve si éloigné du propriétaire qu'il est impossible ou tout à fait déraisonnable d'attendre ses instructions, en outre quand il est absolument nécessaire de se procurer des fonds pour sauver le bâtiment ou continuer le voyage, enfin pourvu que, d'après les circonstances, il n'ait pas de meilleur moyen de se procurer des fonds. Dans les mêmes conditions, s'il ne suffit pas d'affecter le navire et le fret

(1) D'après l'ancienne jurisprudence anglaise, l'Irlande et l'ile de Jersey étaient, à ce point de vue, considérés comme des ports étrangers (foreign); mais une loi votée dans la seconde moitié du XIXe siècle (19 and 20 Vict. c. 97 § 8) a décidé que les ports du Royaume-Uni et de l'Irlande ainsi que des îles de Man, Guernesey, Jersey, Alderney, Sark et des ilots adjacents seraient envisagés comme ports anglais (home ports).- (2) The Duke of Bedford, Morris, 2 Hagg. Ad. 295; The Bonaparte, Andersen, 3 W. Rob. Ad. 298; The Royal Arch, Kenney, 1 Swab. Ad. 269, 376. (3) Dans le projet de code où se trouve consignée toute la jurisprudence de la confédération, a dit M. Millet à la société de législation comparée le 20 janvier 1874, on lit (art. 1674): « Le propriétaire d'un navire peut l'affecter, pour prêt à la grosse, pour toute cause légale, en tout temps et en tout lieu ». C'est ce que répète l'article 2264 du projet de code civil redigé pour l'Etat de NewYork et déposé au sénat en 1884. Mais, en fait, c'est presque toujours le capitaine qui emprunte à la grosse.

M. de Valroger (III, p. 13), cherchant à réfuter M. de Courcy (Quest. I, p. 35), fait observer que le prêt à la grosse avant le départ est encore pratiqué aux Etats-Unis.

à percevoir (pending freight), il peut affecter la cargaison. Un navire frété de Rio-Janeiro à New-York avait relâché à SaintThomas en détresse et le capitaine, pour réparer son navire, emprunte à la grosse sur corps, fret et facultés : il savait que C..., à Philadelphie, était le consignataire de la cargaison, mais ne lui avait adressé aucune communication non plus qu'au chargeur, quoiqu'il eût pu se mettre en rapport par voie télégraphique avec l'un et avec l'autre. Il fut jugé, dans cette espèce récente (1), que le contrat était nul en tant qu'emprunt sur les marchandises, le capitaine n'ayant pas eu qualité pour les engager. Le donneur garde d'ailleurs, d'après un autre arrêt (2), son privilège quand les propriétaires non consultés auraient été sur les lieux, s'il ignorait qu'il s'y trouvassent. En outre (3), quand un prêt a été fait de bonne foi sans autorisation régulière pour subvenir aux fournitures nécessaires, le donneur doit renoncer, sans doute, à réclamer le profit maritime; mais le navire n'est pas nécessairement déchargé de tous droits réels s'il avait été affecté conformément aux principes qui régissent, en général, la constitution des droits réels.

C'est aux États-Unis que l'usage du prêt à la grosse (d'ailleurs presque toujours contracté par le capitaine en cours de voyage) reste encore le plus répandu. L'institution y semble à peu près indispensable, a dit M. R. Millet (4), et donne des résultats favorables au commerce maritime.

D'après le code civil du Bas-Canada, « le prêt à la grosse peut être contracté par le maître pour radoub ou autre nécessité urgente du bâtiment; mais, s'il est fait au lieu où demeurent les propriétaires sans leur autorisation, il n'y a que la partie du bâtiment ou de la cargaison dont le maître est propriétaire qui soit tenue au paiement de l'emprunt, sauf les dispositions contenues en l'article qui suit » (art. 2603). « Les parts des propriétaires, même lorsqu'ils résident au lieu où l'emprunt est fait, sont tenues au paiement des deniers prêtés au maître pour réparations et approvisionnement, lorsque le bâtiment a été frété du consentement de ces propriétaires et qu'ils ont refusé de fournir leur contingent pour mettre le bâtiment en condition convenable pour le voyage » (art. 2604).

(1) The Julia Blake, 16 Blatchf. c. ct. 472 (United states digest, vol. 1880, p. 791). (2) Rendu en 1873 (The Walkyrien, 11 Blatchf. 241). — (3) The Eureka, 2 Low. 417 (arrêt de 1875, United states digest, vol. 1877, p. 730). - (4) Bulletin de la soc. de législ. comp., t. III, p. 97 (29 janvier 1874).

CHAPITRE IV.

DES CHOSES QUI PEUVENT FAIRE L'OBJET D'UN CONTRAT A LA GROSSE.

1156. Nos lecteurs savent déjà que, si le donneur prête usuellement une somme d'argent, il peut prêter autre chose qu'une somme d'argent (v. n. 1142).

Ne peut-il y avoir de prêt sans que l'objet du prêt doive être employé aux besoins du navire ou de la cargaison? Il faut distinguer entre le prêt fait au capitaine et le prêt fait au propriétaire du navire ou des marchandises.

Première hypothèse. En principe, d'après la loi Lucius Titius (1.7 ff. de exercit. act.), le prêt fait au capitaine n'engendrait une action contre l'armateur que si le navire avait réellement besoin de radoub (creditorem utiliter acturum si, cum pecunia crederetur, navis in ea causa fuisset ut refici deberet) et si le donneur connaissait la nécessité de la réparation (si illud quoque sciverit necessariam refectioni pecuniam esse). Mais nos lecteurs savent que, dès le dix-huitième siècle, « tout cela avait été rejeté comme trop subtil et trop pointilleux » (1). Le prêt à la grosse n'est nul que si le donneur est convaincu de fraude ou s'il n'a pas, en contractant, apporté la prudence commune. On n'annulerait plus d'emblée, par exemple, comme en droit romain, le prêt fait au capitaine dans un lieu où le capital prêté ne pouvait pas être employé (2). Deuxième hypothèse. Quand le prêt est fait au propriétaire (du navire ou de la cargaison), le donneur n'a pas même à se demander, d'après M. de Courcy (3), quel peut être, dans la pensée du

(1) Expressions de Valin. (2) Il suffit, dit Emérigon, que l'emploi puisse être fait dans un autre lieu (et que le donneur ne soit pas convaincu de fraude, etc.). Il faut lire et méditer toute la section VIII du chapitre IV du traité d'Emérigon, intitulée « Du fournisseur imprudent ». (3) Quest. I,

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preneur, l'emploi du capital prêté. Cet armateur ou ce chargeur peut valablement emprunter à la grosse pour les besoins les plus étrangers à l'opération maritime, pour faire face à une échéance, pour solder les dépenses de son ménage, pour doter sa fille. M. Romain de Sèze, professeur à l'Institut catholique de Paris, a réfuté cette thèse avec beaucoup de vigueur et de talent (1). Il oppose à M. de Courcy: 1° la coutume grecque (2); 2o le fragment de Modestin par lequel s'ouvre, au Digeste, le titre de nautico fœnore; 3o divers textes de Valin et d'Emérigon d'après lesquels les deniers ne deviennent vraiment trajectices qu'autant que les effets nautiques ont été acquis par le moyen de la somme empruntée» (3) ou tout au moins «la présomption est de droit que les deniers ont servi à la mise hors ou à payer ce qui était dû à ce sujet (4)»: les deux jurisconsultes, conclut M. de Sèze, s'accordaient donc sur le caractère maritime que doit affecter l'emploi des sommes empruntées à la grosse (5). Nous adoptons l'opinion du savant professeur, mais sous une réserve.

Voici, je le suppose, un chargeur qui emprunte sur le chargement pour doter sa fille, au su et vu du prêteur: l'objet de l'emprunt est même, si l'on veut, expressément spécifié dans le contrat. Est-ce là, dans l'intention du législateur de 1807, un contrat à la grosse? Nous ne le pensons pas. C'est pour encourager directement les expéditions maritimes qu'il a été dérogé dans le titre neuvième du livre II du code commerce aux règles ordinaires, et non pas pour permettre aux commerçants, par cela seul qu'ils font de semblables expéditions, de se soustraire à ces règles dans les actes quelconques de leur vie civile ou commerciale. Valin (6) n'aurait pas manqué de dire qu'on avait, en pareil cas, emprunté le masque » du contrat à la grosse « pour favoriser une usure abominable ».

Mais il se peut qu'il n'y ait aucun concert entre l'emprunteur et le prêteur: celui-ci, je le suppose, est de bonne foi et s'est figuré

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(1) Revue pratique de droit français, t. 48, p. 531 s. (2) « On donnait, dit Pardessus (Collect. I, p. 42), le nom de contrat à la grosse à la convention par laquelle une personne empruntait une somme pour servir à des opérations maritimes ». (3) Emérigon, ch. V, sect. III. (4) Valin I, p. 366. — (5) M. de Valroger dit, au contraire (t. III, n. 968): « Alors même qu'il serait prouvé que le propriétaire d'un navire aurait emprunté sur le navire pour une cause étrangère au navire, je ne crois pas qu'en l'absence d'un texte et contrairement à l'intention des parties on puisse aujourd'hui réduire ce prêt aux effets d'un prêt pur et simple. Seulement il est bien entendu que le porteur ne pourra faire valoir son privilège sur le navire que s'il est dans les conditions prescrites par les art. 191 § 7 et 192 § 5». (6) Conf. II,

p 16.

qu'il prêtait «< ou pour contribuer à l'armement du corps ou pour faire le chargement » (1) (telle sera, d'ailleurs, la présomption). Pourquoi le traiter autrement que dans la première hypothèse ? Telle est, selon nous, la question sur laquelle Casaregis avait été consulté, l'emprunteur ayant employé la somme empruntée à des usages étrangers au navire et au chargement (disc. XVI, n. 1 à 4): les intérêts maritimes sont dus, non comme tels, répondait l'illustre jurisconsulte, mais à titre d'indemnité du dommage causé par la faute que l'emprunteur a commise en n'observant pas le contrat (ob inobservantiam) (2). Au demeurant, le contrat produisait tous ses effets. Mais Casaregis suppose évidemment que les deniers, dans l'intention du donneur, devaient être « trajectices >>: autrement comment reprocher au preneur l'inobservation du contrat? (3).

.Le prêt à la grosse peut-il être passé pour garantie d'avances antérieures ayant servi à des opérations maritimes? La question est délicate. J'incline à penser, réflexion faite, que ce prêt est licite. L'article 311 dit bien que le contrat à la grosse énonce le capital prêté, mais non que la somme doit être nécessairement fournie au moment du contrat. J'aurais pu, dans un port de relâche, vous prêter à la grosse 20.000 francs et vous laisser les deniers par renouvellement à l'occasion d'un second voyage (art. 323): comment ne pourrais-je, pas vous ayant prêté purement et simplement la même somme, stipuler pour la première fois, à la veille de ce nouveau voyage, un change maritime et l'affectation du chargement, par exemple, au remboursement du profit joint au capital? (4) (Cf. ci-dessus, n. 1142).

(1) Cf. Emérigon II, p. 502. (2) Telle était la jurisprudence constante à Gênes (Cf. disc. LXII, n. 10 et 13). (3) Conf. toute la section III du chapitre VI du traité d'Emérigon. (4) Sic Hoechster et Sacré II, p. 1128; Laurin II, p. 219; Aix, 15 mars 1838 et 20 décembre 1865 (Rec. de M. XVII. 1. 118; 1866. 1. 39). Junge Aix. 18 mars 1853 (cité par MM. Hoechster et Sacré). Est-il bien vrai, comme on l'a écrit quelquefois, que la cour de cassation ait statué en sens contraire le 17 février 1824? Il s'était agi, devant la cour de Rouen, de savoir si, un acte d'emprunt à la grosse du 11 décembre 1819 étant argué de simulation, il y avait lieu d'en prononcer la nullité. Or les porteurs du billet de grosse soutenaient qu'ils étaient porteurs de trois billets de grosse antérieurement échus et au paiement desquels les propriétaires du navire étaient obligés envers eux. D'après eux, c'étaient 10 le montant de ces trois lettres; 20 2000 fr. délivrés comptant; 3° une autre somme stipulée pour le profit maritime qui formaient le total du prêt du 11 décembre 1819 (20,530 fr.). La cour de Rouen répondit le 12 juin 1821 « qu'il était constant entre les parties qu'il y avait simulation dans le contrat du 11 décembre 1819, la somme

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