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ticle 2128 n'est plus applicable, ainsi que l'a jugé l'arrêt de 1879. Il faut bien reconnaître, en effet, que ce navire étranger n'est pas précisément << un bien de France ». D'autre part, et tel est pour nous l'argument décisif, le régime de la propriété mobilière en France ne reçoit aucune atteinte et les idées économiques fondamentales qui ont présidé à son organisation sont respectées. Donc nous croyons que l'hypothèque maritime constituée en pays étranger sur un navire étranger conformément au statut local n'est pas, a priori, dépourvue d'efficacité dans un pays qui admet le principe de l'hypothèque maritime (1).

Cela posé, quel est le statut applicable quant à la forme de la constitution de l'hypothèque maritime à l'étranger? Rien de plus simple si l'emprunt est fait en Angleterre sur un navire anglais, en Hollande sur un navire hollandais, parce que la loi du pavillon est précisement la loi du lieu du contrat. Mais que décider si l'emprunt est fait en Angleterre sur un navire italien, en Italie sur un navire anglais et si le juge français est tenu d'opter entre la loi du lieu du pavillon et celle du lieu du contrat ? Nous avons déjà traité la question à propos du navire étranger acheté par un Français et nous renvoyons le lecteur au numéro précédent, p. 469 et 470.

Il s'agissait devant la cour d'Aix, le 22 mai 1876, d'un emprunt hypothécaire fait en Grèce sur un navire grec. Cette cour décida << que, si l'hypothèque donnée sur un navire en pays étranger peut aujourd'hui produire des effets en France, ce ne peut être qu'à la charge par le créancier de se conformer aux prescriptions de la loi française » puis, «< attendu que Barbaressos n'avait pris aucune inscription en France; que la transcription de son contrat, faite au tribunal de commerce,ne pouvait équivaloir ni suppléer à cette inscription et qu'il n'y avait pas à se préoccuper de la difficulté ou même de l'impossibilité qu'il y aurait eu pour lui de la prendre », elle refusa tout droit de préférence à cet emprunteur. L'arrêt fut cassé le 25 novembre 1879 « attendu que les formalités prescrites par la loi du 10 décembre 1874 et par conséquent celles qui font l'objet de l'article 6 de cette loi ne pouvant s'appliquer qu'à l'hypothèque sur les navires français, leur inaccomplissement en ce qui touche l'hypothèque sur les navires étrangers ne pouvait faire obstacle à ce que cette hypothèque reçût son effet en France. Tel est aussi notre avis. Admettre, en thèse, qu'une hypothèque donnée à l'étranger sur un navire étranger produise un effet en France et contraindre l'emprunteur à le faire inscrire sur un registre tenu en France par les receveurs principaux des

(1) Telle est l'opinion des professeurs Lyon-Caen, Fiore et Cavagnari.

douanes, c'est retirer d'une main ce qu'on a donné de l'autre, puisque les inscriptions sont faites sur des registres exclusivement ouverts aux navires français. Le droit n'est pas une science de théorie pure, où l'on pose des principes pour ne les appliquer jamais.

Une hypothèque clandestine, valable d'après la loi étrangère, serait-elle valable en France? Nous ne le croyons pas, la publicité étant, d'après la loi française le seul moyen d'assurer le droit de préférence, qui résulte de l'hypothèque conventionnelle (1). Eh bien, dit aussitôt M. Laurent, quand l'hypothèque est-elle occulte? Quand elle n'a pas été rendue publique d'après les formes prescrites par la loi territoriale, car la publicicité est une loi essentiellement réelle ». C'est aller trop loin: une loi, parce qu'elle repousse la clandestinité des hypothèques conventionnelles, ne répute pas clandestines toutes les hypothèques portées à la connaissance des tiers par un mode de publicité qu'elle n'a pas spécialement prévu. M. le professeur Cavagnari, tout en enseignant qu'il faut, quant aux prescriptions relatives à la publicité, se référer à la lex rei sitæ, finit par se contenter d'une publicité suffisante» (una pubblicità sufficiente) (2). Ainsi l'a jugé le tribunal civil de Marseille le 4 avril 1881 à propos d'un prêt fait en Grèce sur un navire grec. Il faut, mais il suffit que les tiers aient été mis à même de discerner l'existence d'un droit réel, supérieur au droit des chirographaires (3).

Quand il s'agit de déterminer le rang de l'hypothèque établie ȧ l'étranger, ce n'est, d'après M. Cavagnari, ni la loi du pavillon ni la loi du lieu du contrat qu'il faut appliquer, mais la lex rei sitæ. Tel est aussi notre avis (4). Le professeur italien propose cet exemple la loi française ne reconnaît plus le privilège du donneur à la grosse avant le départ, que le code de 1882 a maintenu; le juge italien ne devra pas, que la loi française soit celle du pavillon ou du lieu du contrat, préférer, comme l'eût fait un tribunal français, le créancier hypothécaire à ce donneur à la grosse. Le

(1) Sic trib. civ. de Marseille, 4 avril 1881. Rec. de M. 81. 2. 19. (2) E quando questa esista, dovrebbe reconocersi per valida la forma prescritta dalla legge nazionale (brochure précitée, p. 34). (3) M. LyonCaen ne résout pas le problème lorsqu'il commence par supposer que, dans tous les pays où l'hypothèque maritime est admise, elle est soumise aux formalités de publicité (Etudes de droit intern. privé marit., n. 31). Nous n'apercevons pas à quelle formalité de publicité sont soumis les privilèges issus de la convention, dont parle le code finlandais (art. 11 et 12). Nous admettons d'ailleurs avec l'éminent professeur, ce point de départ étant donné, que l'hypothèque non clandestine est valable en France nonobstant l'inaccomplissement des formalités spécialement prescrites par la loi française. (4) Cf. trib. civ. Mars. 4 avril 1881 (précité).

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législateur italien a été déterminé, par certaines raisons d'intérêt général, à faire passer celui-ci avant celui-là; il ne peut ni se donner un démenti ni accorder à des créanciers hypothécaires étrangers une faveur qu'il refuse à des nationaux (1).

Plusieurs auteurs ont examiné la question suivante : les contractants se sont placés, à l'étranger, sous l'empire d'une loi qui ne confère pas ipso jure au créancier hypothécaire un droit sur l'indemnité d'assurance, quand la lex rei sitæ lui donne au contraire ce droit; que devra faire le juge ? Appliquer non pas nécessaire. ment la loi du pavillon, comme le demande M. Lyon-Caen, mais la loi en vertu de laquelle l'hypothèque existe. Au demeurant, c'est par une interprétation de la volonté des contractants que le législateur français avait jadis investi d'un tel droit le créancier hypothécaire; le juge français ne devait pas le lui conférer quand les contractants s'étaient proposé un tout autre but. Renversant l'hypothèse, M. Cavagnari estimait, avant l'abrogation de la loi de 1874, que le juge italien aurait dû reconnaître le droit issu de l'article 17 de la loi du 10 décembre 1874 au créancier hypothécaire exerçant son droit sur un navire français (en vertu d'une hypothèque constituée selon la loi française, bien entendu): nè i tribunali italiani potrebbero giudicare diversamente senza violare la legge del contratto.

S'il s'agit de formalités habilitantes, par exemple si le juge doit déterminer quelles sont les conditions de capacité nécessaires pour constituer valablement l'hypothèque maritime, il faut évidemment appliquer la loi personnelle du constituant (2).

Enfin la cour de cassation a dit (même arrêt du 25 novembre 1879) Pour que les contrats passés en pays étranger puissent conférer en France une hypothèque sur un navire étranger, il suffit que ces contrats y aient été déclarés exécutoires conformément aux articles 546 pr.et 2123 c.civ.(3)». MM. Laurent et LyonCaen ont critiqué cette proposition. Comme eux, nous croyons que l'hypothèque grève le navire hypothéqué à l'étranger et que le créancier hypothécaire peut se faire colloquer sans que l'acte constitutif ait été déclaré exécutoire, l'établissement d'un droit réel et la collocation d'un créancier dans un ordre ou dans une distribution par contribution étant indépendants de la force exécutoire. Mais ce créancier ne saurait saisir le navire en vertu de l'acte constitutif, qui n'a pas force exécutoire en France, la saisie

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(1) p. 34, 37, 38. (2)« Ces formalités constituent de véritables lois personnelles » (Demol. I, n. 105). (3) Le tribunal civil de Marseille s'est conformé docilement, trop docilement peut-être à cette jurisprudence le 20 août 1881 (Rec de M. 1881. 2. 188) ».

ne pouvant être opérée qu'en vertu d'un commandement préalable (art. 198 co.) et le commandement n'étant possible qu'en vertu d'un acte exécutoire. Comment se procurer cet acte exécutoire ? Les articles 2123 c. civ. et 546 pr. n'exigent un jugement français que pour rendre exécutoires en France les jugements des tribunaux étrangers. Pour les actes passés devant les officiers publics étrangers, il n'y a pas d'autre règle que celle de l'article 2128 c. civ. auquel renvoie formellement l'art. 546 pr. En l'absence de «< loi politique » et à moins qu'un traité ne vienne à déclarer exécutoires des actes passés à l'étranger, le créancier hypothécaire n'a qu'un moyen d'arriver à ses fins; c'est d'obtenir en France un jugement de condamnation en invoquant, comme moyen de preuve, l'acte étranger; c'est en vertu de ce jugement que le créancier procèdera à la saisie (1).

Le tribunal de Marseille, suivant la cour suprême et décidant comme elle que le créancier ne pouvait être colloqué s'il n'avait fait déclarer son titre exécutoire, a dû déterminer à un nouveau point de vue (2) la portée de l'article 213 co., d'après lequel les créanciers opposants sont tenus de produire au greffe leurs titres de créance dans les trois jours de la sommation qui leur en est faite. D'après le jugement précité du 4 avril 1881, si le titre souscrit à l'étranger, avait dû être déclaré exécutoire par un jugement d'un tribunal, le créancier qui l'aurait produit dans le délai ne serait pas forclos pour n'avoir fait rendre ce jugement qu'après le délai et même après la clôture provisoire du règlement. Nous ne saurions blâmer cette jurisprudence, puisque nous ne croyons pas même que ce créancier ait besoin de faire déclarer son titre exécutoire pour se faire colloquer.

Mentionnons enfin l'article 768 du code de commerce de l'Uruguay, d'après lequel « les contrats hypothécaires passés en pays étranger produisent hypothèque sur les biens situés dans la république pourvu qu'ils soient inscrits sur le registre légal » (en el competente registro) (3).

(1) M. Lyon-Caen, Etudes de dr. intern.., etc. n. 33. « Il faudra donc, avait déjà dit M. Laurent, que le créancier anglais obtienne un jugement en France quand il voudra saisir le navire pour le faire vendre ». (2) Cf. notre t. I, n. 252. - (3) En dépit des mots « situados en la Republica », tout porte à croire que cet article a trait à l'hypothèque maritime, puisque le titre XIII du livre II comprend l'hypothèque maritime dans ses prévisions.

CHAPITRE V.

RÉFORME PARTIELLE DU TITRE II DU LIVRE II DU CODE DE COMMERCE FRANÇAIS.

1240. Nous suspendons en ce moment notre étude sur le droit hypothécaire maritime pour aborder un ordre d'idées plus général. Les dispositions de procédure que contenait le livre II du titre II du code de 1807 ne concordaient plus avec nos lois modernes sur les expropriations. On réclamait depuis longtemps une révision et la commission de l'assemblée nationale, en 1874, avait songé un instant à donner cette révision pour complément à la loi sur l'hypothèque maritime. Ce qu'avait desiré le législateur de 1874, le législateur de 1885 vient de l'accomplir.

1241. L'article 201 du code de 1807, que nous avons cité in extenso dans notre t. I, n. 235, est modifié comme il suit par l'article 23 de la loi du 10 juillet 1885: « Au cas de saisie, le saisissant devra, dans le délai de trois jours, notifier au capitaine copie du procès-verbal de saisie et le faire citer devant le tribunal civil du lieu de la saisie, pour voir dire qu'il sera procédé à la vente des choses saisies. Si le propriétaire n'est pas domicilié dans le ressort du tribunal, les significations et citations lui seront données en la personne du capitaine du bâtiment saisi ou, en son absence, en la personne de celui qui représente le propriétaire ou le capitaine, et le délai de trois jours sera augmenté d'un jour par cinq myriamètres de la distance de son domicile, sans que le délai puisse dépasser un mois. S'il est étranger, hors de France et non représenté, les citations et significations seront données ainsi qu'il est prescrit par l'article 69 du code de procédure civile ».

Cet article n'a reçu sa forme définitive qu'après de vifs débats. On sait qu'un avis du conseil d'Etat du 17 mai 1809 (v. notre t. 1, n. 236), inséré au Bulletin des lois, a déféré aux tribunaux civils « la connaissance des ventes des navires saisis ». On sait aussi que cet avis, ayant force législative, avait été l'objet de très nombreuses critiques et que la commission de révision insti

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