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du 6 octobre 1791, les attributions des notaires furent fixées, leurs ressorts limités; enfin, la manière dont ils seraient institués fut également réglée. Mais cette loi, qui, en apparence, conciliait tout, contenait cependant des dispositions qu'il fallait réformer. Le gouvernement sentit la nécessité de s'occuper sérieusement d'un Code complet sur le Notariat. Plusieurs projets furent faits; mais on les ajourna indéfiniment, à raison des circonstances politiques où la France se trouvait alors. Ce ne fut que le 25 ventôse an 11 que le Notariat fut enfin organisé comme il devait l'être.

Institués à vie, nommés par l'autorité suprême, revêtus du même titre et des mêmes attributions, les Notaires sont par cette loi considérés comme des conseils désintéressés, des juges volontaires, des rédacteurs impartiaux, enfin des dépositaires du secret des familles et des fortunes publiques. Leurs actes sont exécutoires sans l'intervention d'un secours étranger; leurs effets sont ceux d'un arrêt en dernier ressort.

Il n'est donc pas de fonctions plus belles, plus importantes, et en même temps plus délicates à remplir que celles du Notariat! Aussi, pour pénétrer dans son sanctuaire, faut-il que l'aspirant y soit introduit par la moralité la plus épurée et la capacité la moins équivoque. La première de ces deux qualités est pour le public une garantie à la faveur de laquelle il se livre aux confidences les plus intimes; la seconde, aplanissant les difficultés des lois, fraie une route sûre dans laquelle on ne peut s'égarer, et tranquillise la société sur ses plus chers intérêts. Dès-lors elle n'a plus à craindre le renversement des plus belles fortunes, souvent anéanties par une expression mal choisie, ou par l'oubli d'un mot.

Cette capacité si nécessaire se compose de la théorie des principes, et de leur application. Ce concours est tellement de rigueur, que si, dans cette partie, comme dans tant d'autres, on n'a que la théorie, on peut aisément errer lors de

la mise en œuvre; comme aussi, si on n'est que praticien, on ne peut se rendre compte de ce qu'on a pu faire. Esclave de l'habitude, on suit machinalement, et sans savoir pourquoi, un chemin tracé, duquel on n'ose se détourner tant soit peu, dans la crainte de s'égarer.

Mais comment acquérir le degré d'instruction nécessaire ? Livré à lui seul, le jeune homme, dont les facultés intellectuelles ne font qu'éclore, sera-t-il assez heureux pour méditer avec fruit les diverses lois qui constituent le domaine du Notariat? trouvera-t-il dans leurs dispositions les motifs qui les ont provoquées? enfin, sûr de la théorie, sera-t-il en état d'en faire l'application? Un pareil succès pourrait couronner les efforts de quelques-uns; et c'est pour le généraliser, que de tous les temps il a été reconnu qu'outre les lois, il fallait encore un guide, qui, semblable à celui que l'on prend dans un pays inconnu, découvre à chaque instant des sentiers dont on ne se serait jamais douté.

Ce fut dans ces vues d'utilité qu'en 1805 parut la première édition du MANUEL DU NOTAIRE. L'accueil dont le public l'honora rendit nécessaire en 1808 l'impression de la seconde édition; en 1811 l'émission de la troisième, et en 1826 la quatrième eut lieu pour le même motif. Le succès de cet ouvrage alla toujours en croissant et se perfectionna de manière qu'on peut dire qu'il renferme aujourd'hui tout ce qui peut intéresser le Notariat.

Il contient le développement des principes théoriques; et les difficultés, présentées avec ordre, y sont résolues avec une clarté propre à conduire à la vraie science du Notariat celui à qui cette science est nécessaire ou indispensable; les modèles d'actes y sont d'un style clair et précis. Dès-lors leur rédaction, élaguée de ce tas de mots insignifians, mal appropriés et sans choix, donnant souvent ouverture à une foule incalculable de procès, par le sens amphibologique qu'ils renferment, exprime la loi

des contractans avec cette netteté nécessaire au maintien

de leurs droits.

Ces modèles sont terminés par un tarif raisonné des droits d'enregistrement résultans des dispositions qui y sont conte

nues.

A la faveur de ce traité, l'incertitude, dans certains cas, de MM. les Notaires cessera, et les aspirans pourront aisément se perfectionner dans une science dont les détails et les difficultés vont à l'infini, sans être comme auparavant, obligés de se livrer à une étude longue, pénible et souvent infructueuse.

Trois genres d'utilité résulteront donc de cet Ouvrage. Le premier sera relatif à la théorie des Contrats, Donations, Testamens, etc.; le second, à la mise en œuvre; et le troisième à la juste perception des droits.

Puissent ces avantages réunis opérer d'heureux résultats, et réaliser ainsi les désirs et les vœux de l'Auteur (1).

(1) Cette nouvelle édition, perfectionnée sous tous les rapports, et enrichie de quelques notes utiles, présente en outre cet avantage qu'elle est ici en harmonie avec la législation Belge. (Note des éditeurs.)

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Parmi les diverses professions qui sont nées du perfectionnement des sociétés, il en est peu dont l'utilité ait été plus universellement reconnue que celle du notariat; et déjà les preuves de cette utilité ont été répétées par tant de bouches, qu'elles sont presque devenues des lieux communs qu'il n'est plus permis d'écrire. Il est un fait pourtant que je ne tairai point, parce qu'il parle bien plus fortement en faveur de cette profession, que tous les arguments que l'esprit humain pourrait concevoir. Tandis que les institutions les plus vénérées et les mieux affermies s'écroulaient de toutes parts, tandis que tout cédait à l'effort des innovateurs qui renversaient indistinctement et sans choix les bonnes choses comme les mauvaises, le notariat a résisté seul à ce torrent de destruction; seul il a continué d'exercer, au sein des orages, son ministère pacifique; et pour me servir de l'expression de Favart, il est resté debout au milieu des décombres de la révolution.

Eh! quelle autre institution pouvait prétendre à plus de stabilité, que celle qui sert d'asyle à la bonne foi et de rempart contre la fraude, par qui seule tous les échanges de la vie peuvent être faits avec sûreté, et qui embrasse dans son domaine tout ce qui tombe dans le commerce des hommes ? Plus le notariat exerce d'influence sur la société, plus ses devoirs sont rigoureux. Au nombre de ces devoirs est surtout la probité, non celle qui suffit à l'homme privé, chargé du seul soin de ses affaires; mais celle qui convient à l'homme public, constitué pour guider et éclairer les citoyens sur leurs intérêts et leurs droits civils. Le notaire ne doit pas être probe pour lui seul ; il doit l'être encore pour ceux qui recourent à son ministère; il ne doit point souffrir qu'un contractant dissimule à l'autre des faits qui, s'ils étaient connus de celui-ci, pourraient l'empêcher de contracter; il doit les instruire, avec un zèle égal, de la nature, de l'étendue de leurs droits et de leurs obligations respectives; il doit leur expliquer tous les effets des engagements auxquels ils se soumettent, leur exposer les chances qu'ils paraissent vouloir courir, leur indiquer les précautions que la loi fournit pour garantir l'exécution de leurs volontés.

Il serait exposé à devenir lui-même l'instrument involontaire de la fraude, s'il ne réunissait à la plus sévère probité la connaissance la mieux approfondie des lois civiles; s'il n'était très-exercé dans l'art de les interpréter et d'en faire une juste application. En deux mots, les lumières sans la vertu feraient du notaire un fléau de la société. La vertu sans les lumières ne serait chez lui qu'un don stérile, et peut-être non moins dangereux que l'absence de toute vertu.

Quelques personnes ont cru que le notariat n'était point susceptible de démonstration; on a dit que c'était une science de pure pratique, sur laquelle il était impossible de présenter aucune théorie. D'autres ont été plus loin et ont prétendu que c'était un art qui s'exerçait et ne s'enseignait point. Ainsi, on a presque assimilé le notariat à ces métiers où la main seule agit, sans aucune participation des facultés de l'entendement, où il ne faut nulle méditation, mais seulement l'habitude et l'exercice qui donnent l'adresse.

Le notariat est un art, si l'on veut, en ce sens qu'il faut réellement s'exercer pour acquérir la facilité et le talent de la rédaction; mais comme l'écrivain le plus disert ne débiterait que des erreurs brillantes, s'il traitait un sujet qui Jui fût inconnu, de même le notaire qui ne connaîtrait point l'essence et les effets des conventions, quelque talent qu'on lui supposât d'ailleurs, ferait des actes dont le style pourrait être clair, concis et méthodique; mais qui le plus

souvent contiendraient les omissions les plus graves et les vices les plus funestes aux intérêts de ses cliens. Avant d'écrire, il faut savoir penser. Avant de rédiger des contrats, il faut savoir quelles personnes peuvent contracter, quelles choses peuvent être l'objet de leurs conventions, quelles sont celles de ces conventions auxquelles la loi n'a mis aucunes limites, quelles sont celles où la liberté de l'homme a été restreinte par la volonté du législateur; il faut enfin posséder toute la théorie des contrats, dont je n'indique ici que la plus faible partie.

Je sais que les conventions, en se mêlant les unes aux autres, produisent autant de contrats différents qu'il y a de combinaisons possibles en ce genre. Sous ce point de vue, on a raison de dire qu'il y a peu de contrats qui se ressemblent entièrement. En concluera t-on qu'il est impossible d'assigner des règles précises pour leur rédaction?

Cette erreur, funeste aux progrès de l'enseignement, ne s'est que trop accréditée, et il importe de la détruire. C'est elle qui dégoûte et rebute, dès les premiers pas, les jeunes gens qui entrent dans la carrière du notariat; ils attendent tout du tems et d'un exercice purement machinal; ils copient longtems sans rien comprendre aux actes qui leur passent sous les yeux. Ce qu'ils pourraient apprendre en deux années, souvent ils ne le savent pas en dix. Lassés de ne rien faire par eux-mêmes, ils rédigent enfin des actes dont ils ont gravé les formules dans leur mémoire ; mais ils n'entendent qu'imparfaitement le sens des clauses. Ils ignorent de quelles modifications elles sont susceptibles; et si les circonstances exigent des changements à ces formules, vous les voyez tomber dans le même embarras qu'un homme qui, habitué à suivre le même chemin, serait forcé, par quelque obstacle à chercher une route nouvelle.

On leur conseille de lire des livres de droit; mais ne sachant point en faire l'application, la jurisprudence et les formules sont long-tems à leurs yeux comme deux sciences étrangères, qu'il leur est impossible de lier l'une à l'autre.

J'ai dit pourquoi peu d'actes se ressemblent entièrement. On verra comment, malgré cette multiplicité apparente de contrats, il est facile de les rapporter à un petit nombre d'espèces, en prenant isolément chaque convention simple. C'est un cours de droit, il est vrai, mais un cours appliqué à la rédaction des actes. En saisissant les rapports de la théorie aux formules, on recevra plus promptement l'instruction. Ces deux sciences se préteront un mutuel secours; ; la première facilitera l'intelligence de l'autre ; et celle-ci, à son tour, gravera la première plus profondément dans la mémoire.

Jeunes notaires, la profession que vous embrassez est modeste et n'a point d'éclat. Elle ne brille pas sur le théâtre du monde. Elle n'aspire point à cette gloire fastueuse qu'ambitionnent l'orateur, le poète et le guerrier. Mais en exerçant honorablement vos fonctions, vous jouirez de tous les charmes d'une grande considération privée. Vos noms ne passeront point à la postérité; mais le souvenir de vos bienfaits se conservera dans les familles aussi long-tems qu'elles en recueilleront les fruits. Vous ne vivrez point dans un grand nombre de générations; mais tant que vous existerez, vous aurez l'amour de ceux dont vous n'aurez cessé d'être les guides et les conseils. Vous aurez souvent prévenu des discordes entre des frères, entre un père et ses enfants. Vous aurez ranimé des amitiés éteintes par l'intérêt ; et si quelquefois la reconnaissance ne suit pas vos travaux, il est un prix qui du moins ne saurait vous échapper ce sera le sentiment du bien que vous aurez fait; ce sera la douce certitude d'avoir rempli la plus belle destination de l'homme sur la terre, celle d'être utile à ses semblables.

A.-J. MASSÉ.

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