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De son côté, la maison Torladès prétendait que la loi ne prononçait point la nullité de l'acte de grosse, à défaut d'observation des formalités prescrites par l'art. 234; que la seule chose qui pourrait tout au plus en résulter contre le prêteur, c'était la perte de son privilége sur le navire ; que cela résultait clairement de la disposition des art. 311 et 312 du Code de commerce; que de la combinaison de ces deux articles avec l'art. 234, il ne résulte de leur inobservation que la perte seule du privilége du prêteur.

Ces derniers moyens furent accueillis par le tribunal de commerce, qui condamna l'armateur Leveux au paiement de la somme stipulée dans le contrat à la grosse, avec privilége sur le navire.

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Mais, sous l'appel, la Cour royale de Rouen, considérant qu'il n'est point représenté de procès-verbal dressé par le capitaine avec les principaux de son équipage, lequel aurait attesté la né> cessité d'un radoub ou de victuailles pour le bâ» timent; qu'il n'est point sur-tout justifié que le consul français ait autorisé l'emprunt fait par le capitaine Levillain, autorisation dont la maison Torladès devait absolument s'assurer, pour la validité du contrat à la grosse qu'elle faisait avec le capitaine Levillain; que cette maison ne doit » donc imputer qu'à sa négligence ou à son imprévoyance l'invalidité du titre en vertu duquel elle » a actionné le sieur Leveux, etc.- La Cour a mis > et met l'appellation et ce dont est appel au néant;

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corrigeant et réformant, déclare ladite maison » Torlades et Levillain mal fondés dans leurs de» mandes; en décharge Leveux, ainsi que des con› damnations contre lui prononcées; condamne » Torladès aux dépens, etc. »

Nous pouvons même dire qu'à ce considérant la Cour royale de Rouen pouvait encore ajouter que, d'abord, la loi voulait que, pour être valide et affecter l'armement, le contrat à la grosse fût fait d'après les formalités prescrites par l'art. 234, et qu'ensuite, pour conserver le privilége de cet acte régulier, à l'égard des créanciers des propriétaires, le prêteur devait encore, en France, le faire enregistrer dans les dix jours, d'après l'art. 312; qu'au contraire, sans être revêtu de ces formalités préalables, l'acte de grosse n'était point valide quant à l'armateur, et n'affectait point l'armement, mais seulement le capitaine; et qu'enfin l'enregistrement d'un tel acte ne conservait le privilége du prêteur que vers les créanciers du capitaine qui l'avait souscrit. La loi, par l'art. 312, comme nous l'avons déjà fait observer, n'a eu en vue que surer la date de l'acte de grosse, à l'égard des autres créanciers, pour garantir la foi publique de toutes sortes de surprises. (Voyez d'ailleurs le Recueil général des lois et arrêts, an 1819, p. 326 et suivantes.)

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Au reste, de ce que la loi nouvelle porte que le contrat à la grosse est fait devant notaire ou sous signature privée, faut-il conclure de cette dispo

sition que l'acte écrit est essentiellement nécessaire pour la validité du contrat à la grosse, comme il l'est, par exemple, pour les donations entre vifs, conformément à l'art. 931 du Code civil?

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Cette question importante a été très-controversée sous l'empire de l'Ordonnance de 1681, qui portait, art. 1o, que les contrats à la grosse aventure pourront être faits pardevant notaire ou sous signature privée.

Cependant il faut dire que la loi, pour les donations entre vifs, exige que ces sortes d'actes doivent être passés devant notaires, à peine de nullité, et qu'ici le Code de commerce ne frappe point de nullité le contrat à la grosse non écrit. D'où il faut conclure avec Pothier que la loi nouvelle n'ayant, pas plus que l'Ordonnance, prononcé cette peine, la forme extrinsèque, que l'art. 511 du Code de commerce indique pour le contrat à la grosse, ne concerne que la preuve. (Voyez Pothier, contrat d'assurance, no. 99. ) Ce qui s'applique incontestablement et par identité de raison au contrat à la grosse.

Ainsi, d'après ces principes, il résulte que l'aveu de la partie et le serment décisoire établiront la preuve de la convention du prêt à la grosse, conformément aux règles posées dans les sections 4 et 5 du ch. 6, liv. 3 du Code civil. (Voyez aussi

Pothier, contrat à la grosse, n°. 28.)

Mais, si le contrat à la grosse ne laisse pas d'être en soi valable, quoiqu'il n'en ait pas été passé d'acte

devant notaire ou sous signature privée, peut-on en poursuivre l'exécution contre la partie qui ne veut pas en convenir, c'est-à-dire, peut-on admettre la preuve testimoniale de son existence?

Le premier commentateur de l'Ordonnance de

1681, Malville, prétendait que la preuve par témoins d'un contrat à la grosse ne serait point admise même au-dessous de 100'.- (Voyez ce commentateur, sur l'art. 1o, contrat à la grosse.)

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De son côté, Pothier observe que, « faute d'un acte qui ait été dressé de ce contrat, l'une des parties ne peut en avoir la preuve, si l'autre par» tie en disconvient, la preuve par témoins n'en » étant pas reçue.(Voyez Pothier, ibid., n°. 27.)

Émérigon dit : « Je crois avec Pothier que la » preuve testimoniale d'un contrat à la grosse ne > serait pas aujourd'hui admise. —(Voyez Émérigon, t. 2, p. 401.)

Mais Valin combat cette doctrine, et il soutient que le silence de la loi rend naturel le recours au droit commun, qui ne prohibe la preuve testimoniale des conventions que lorsqu'il s'agit de plus de 100', aujourd'hui 150', d'après l'art. 1341 du Code civil.

« Ce serait, dit-il, ajouter au texte, qui ne dit » pas que ces sortes de prêts ne pourront être » faits que par écrit. »

« A la vérité, ajoute ce célèbre commentateur, > on ne voit point de prêt à la grosse de cette es

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pèce pour une aussi modique somme; mais,

» enfin, cela peut arriver, sur-tout dans la navigation au cabotage.)

« Le contrat sera donc aussi valable alors, que » s'il était fait par écrit. Il le serait tout de même après tout, pour quelque somme que ce fût, » par rapport au débiteur qui reconnaîtrait la convention. (Voyez Valin sur l'art. 1", titre du contrat à la grosse.)

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Dans cette diversité d'opinions, il sembla à la Cour royale de Rennes qu'une décision légale était nécessaire pour faire cesser le doute à cet égard; en conséquence, partageant l'avis de Malville, Pothier et Émérigon, elle proposa à la commission du nouveau Code de commerce d'ajouter La preuve n'est pas reçue par témoins, quelle que soit la modicité de la somme. (Voyez observations de la Cour de Rennes, t. 1, p. 542 et 343.)

Cette addition, ou plutôt la proposition de prohiber indéfiniment la preuve testimoniale, qui sans doute n'a point échappé à l'attention du législateur, n'ayant pas été admise dans la rédaction définitive de la loi nouvelle, devient-il par là incontestable qu'on n'a pas voulu faire d'exception au droit commun?

A-t-on voulu, au contraire, entièrement s'y référer ?

M. Laporte, s'appuyant des raisons de Pothier, qui lui paraissent sans réplique, pense que la loi éxige un acte écrit, et qu'on ne peut admettre la preuve testimoniale, quelque modique que soit

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