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SECTION XIV.

De la Réticence et de la fausse Déclaration de la part de l'assuré dans le contrat d'assurance.

LE contrat d'assurance est éminemment un contrat de bonne foi; chacune des parties est obligée de ne rien dissimuler à l'autre sur ce qu'elle sait concernant les choses qui en font l'objet. Cette dissimulation serait un dol qui rend le pacte nul contre celui qui est l'auteur de la fraude.

Mais cette obligation d'une sévère bonne foi est principalement imposée à l'assuré, parce que c'est lui qui a une connaissance parfaite et entière des choses qui font la matière du contrat d'assurance; c'est lui qui donne la spécification de l'effet assuré et des risques auxquels il est exposé, et qui, par lå, détermine la volonté de l'assureur. C'est aussi 'contre lui que doivent être interprétées toute réticence, toute omission et toute fausse déclaration; il doit supporter les justes conséquences de son dol et de sa négligence même, soit par l'annulation de l'assurance, soit par toutes autres peines.

Ces principes de justice et d'équité ont été consacrés dans le nouveau Code de commerce. L'article 348 porte:

Toute réticence, toute fausse déclaration de » la part de l'assuré, toute différence entre le con› trat d'assurance et le connaissement, qui dimi> nueraient l'opinion du risque ou en changeraient » le sujet, annulent l'assurance.

> L'assurance est nulle, même dans le cas où la > réticence, la fausse déclaration ou la différence » n'auraient pas influé sur le dommage ou la perte › de l'objet assuré. »

L'Ordonnance de la marine n'avait, il est vrai, aucune disposition à cet égard. Cependant cet article de la loi nouvelle est moins une addition à l'Ordonnance qu'un sommaire des maximes qu'elle avait consacrées. Son célèbre commentateur disait, sur l'art. 7 du titre des assurances, que tout ce qui tend à augmenter le risque doit être déclaré par l'assuré dans la police, et que cette déclaration doit être conforme à la vérité, sous peine de nullité de l'assurance, suivant les circonstances.

De son côté, Émérigon professait que si, avant le départ du navire, ou pendant le cours du risque, l'assureur demandait que l'assurance fût résiliée, sur le fondement qu'on lui avait dissimulé quelque circonstance essentielle, on ne pourrait s'empêcher de faire droit à sa requête.

« Si le navire périt, ajoute-t-il, et que les assureurs prouvent qu'on leur a dissimulé quelque » circonstance essentielle, le contrat doit être › cassé, etc. » (Voyez Émérigon, t. 1o, p. 69; voyez aussi Pothier, Traité des assurances, n°. 196.)

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En effet, il fallait ici s'élever à ces considérations majeures, qui sont la sauve-garde du commerce maritime. Ces règles salutaires étaient indispensables pour s'interposer entre l'astuce, qui trompe, et la loyauté, qui se confie. Si, par des assertions ou des promesses fallacieuses, il avait été permis de décevoir la confiance de l'assureur, la partie des assurances n'aurait bientôt plus été qu'un jeu, qu'un brigandage coupable.

Mais pour aider à saisir l'esprit de l'art. 548, et empêcher, autant que possible, les discussions judiciaires et les fausses interprétations, nous croyons nécessaire de rappeler ce que disait l'orateur du Gouvernement, à la séance du Corps législatif : « L'expérience a prouvé que cet article, par la dis» position sur-tout de son second paragraphe, pou» vait prévenir des discussions spécieuses qui ont quelquefois retenti dans les tribunaux de com

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> L'assureur a le droit de connaître toute l'éten» due du risque dont on lui propose de se charger. » Lui dissimuler quelque circonstance qui pourrait changer le sujet de ce risque, ou en diminuer » l'opinion, ce serait lui faire supporter des chan» ces dont il ne voulait peut-être pas se charger, ou > dont il ne se chargerait qu'à des conditions diffé»rentes; ce serait, en un mot, le tromper.

» Dès lors, le consentement réciproque, qui seul » peut animer un contrat, viendrait à manquer. » Le consentement de l'assuré se porterait sur un

, objel, et celui de l'assureur sur un autre; les deux , volontés, marchant dans un sens divergent, ne » se rencontreraient pas ; et il n'y a cependant que » la réunion de ces volontés qui puisse constituer » le contrat.

» La seconde partie de la disposition découle né> cessairement de ces principes.

» Le contrat n'ayant pas existé, aucune consé» quence, aucun effet n'en ont pu résulter. Dès lors » il est indifférent, à l'égard de l'assureur, que le › navire périsse ou ne périsse pas, ou qu'il périsse » par une chance sur laquelle la réticence ou la fausse déclaration n'auraient pas influé : l'assureur serait toujours autorisé à répondre qu'il a » assuré un tel risque, et que ce risque n'a pas » existé. » —(Voyez M. Corvetto, Exposé des motifs, à la séance du 8 septembre 1807.)

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Ces observations font sans doute connaître assez ce que la loi a voulu établir. C'est celui qui oppose la fraude qui est chargé d'en administrer la preuve; mais pour l'application de ces règles, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il y a eu intention de frauder, il suffit qu'il y ait dolus re ipsâ. Si l'assuré n'a point fait connaître quelque circonstance essentielle qu'il ne doit pas ignorer, que ce soit par dol, oubli ou négligence, il n'est pas moins dans son tort, et il devait en supporter la peine par l'annulation du contrat, à son préjudice.

La fausse déclaration rendrait l'assurance nulle, quand même cette déclaration roulerait sur des

choses que l'assuré n'était pas obligé de déclarer, si toutefois elles ont pu déterminer l'opinion de l'assureur. Ainsi on n'exige pas, en général, dans les polices, l'énonciation du nombre d'hommes et de canons; mais si l'énonciation a eu lieu, et qu'elle soit fausse, l'assurance est nulle dans l'intérêt de l'assureur.

« C'est par suite de ces principes, comme l'observe M. Pardessus, que si les marchandises de l'assuré ont été de son consentement chargées sur le tillac, l'assureur doit en être instruit, puisqu'en cas de jet, elles ne lui sont pas payées; et que d'ailleurs elles sont plus exposées aux dangers de la navigation. (Voyez M. Pardessus, nouvelle édit.,

t. 3, p. 330.)

Suivant l'art. 332 du Code de commerce, la police d'assurance doit énoncer la qualité de propriétaire ou de commissionnaire de celui qui fait assurer. Mais si, en tems de guerre entre l'Espagne et l'Angleterre, un Français fait assurer des marchandises, et ne dit pas qu'il agit comme commissionnaire d'un Espagnol? C'est alors une réticence de nature à faire annuler l'assurance en faveur de l'assureur, parce que la déclaration que la marchandise était une propriété espagnole avait nécessairement une influence sur l'opinion du risque. Si l'assureur avait été instruit que les marchandises appartenaient à un sujet d'une puissance belligérante, il n'aurait peut-être pas assuré, ou il aurait assuré à de plus fortes conditions.

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