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La difficulté qui nous occupe doit, selon nous, se décider effectivement par la nature même du contrat à la grosse. Nous avons vu à la section précédente que si l'intérêt de terre du principal courait de plein droit depuis la simple demeure, c'est que la somme prêtée, qui était dès lors un capital, n'était prêtée qu'à la condition d'un profit quelconque, pendant le tems des risques et jusqu'au moment du paiement; que ce profit était l'intérêt nautique tant que l'argent prêté était en risque, et qu'il se changeait ipso jure en intérêts de terre, par la cessation des risques; c'est pourquoi il n'était pas nécessaire d'une demande judiciaire pour le faire courir.

Ici le profit maritime, au moment du contrat, n'est point un capital qui ait une condition pour objet, puisqu'au contraire il est le résultat de la condition des risques à courir; il est le prix des risques, et ces risques finis, il devient alors capital lui-même, produisant des intérêts comme tous autres capitaux, à compter du jour de la demande judiciaire.

Alors même que l'on considérerait le profit maritime en lui-même comme un intérêt, ce que nous ne pouvons admettre, cet intérêt étant échu formerait capital, comme l'observe fort bien M. Locré, conformément à l'art. 1154 du Code civil, lequel capital serait susceptible de produire des intérêts.

En effet, il faut distinguer entre les intérêts et arrérages échus avant la demande et ceux échus

depuis la demande. Les intérêts et arrérages échus avant la demande forment de véritables capitaux, dit M. Merlin dans ses Questions de droit; et la loi 51, S1, D. de petitione hereditatis, prouve clairement qu'on doit les considérer comme tels, tandis que les intérêts échus depuis l'introduction de l'instance ne sont que des accessoires de la demande principale: Fructus post litem contestatam officio judicis restituendi sunt; priùs percepti, condicuntur. (L. 15, D. de usuris et fructibus.)

Cette distinction se trouve littéralement dans l'édit des présidiaux du mois d'août 1777, pour déterminer leur compétence de dernier ressort; elle a été consacrée par plusieurs arrêts de cassation, des 11 ventôse, 2 germinal an 9, et 3 pluviôse an 12, et qui ont décidé que les intérêts et arrérages échus avant la demande forment de véritables capitaux, et qu'on doit, dans tout tribunal de première instance, les joindre à la somme principale, pour déterminer s'il y a lieu ou non de juger en dernier ressort. (Voyez M. Merlin, Questions de droit, t. 3, p. 391, et t. 4, p. 652; voyez Sirey, an 12, p. 213.)

Ainsi donc, si les intérêts échus avant la demande sont de véritables capitaux, par conséquent susceptibles de produire des intérêts, le profit maritime, qui, dans l'hypothèse où nous raisonnons, serait aussi un véritable capital échu avant la demande, devrait également, sous ce rapport, produire des intérêts.

En résumé, l'ancienne jurisprudence avait consacré en principe que les intérêts de terre du capital prêté étaient dus ipso jure, depuis la cessation des risques, sans qu'il fût besoin de demande judiciaire ni de convention. La nouvelle jurisprudence a admis cette doctrine, puisée dans la nature même du contrat à la grosse.

L'ancienne jurisprudence avait même décidé que le profit maritime produisait aussi des intérêts de terre ipso jure, depuis la cessation des risques, c'est-à-dire depuis la simple demeure. Mais la nouvelle jurisprudence, rentrant dans les véritables principes qui découlent de la nature de ce contrat, a bien admis les intérêts de terre du profit maritime, mais elle ne les adjuge qu'à compter de la demande judiciaire, ou d'après une convention

expresse.

Il faut donc dire que le prix d'un risque n'étant point un intérêt, il est par conséquent impossible d'en considérer la perception comme un anatocisme; qu'ainsi le profit maritime peut produire intérêts, non pas ipso jure, de plein droit, mais soit par une convention, soit par une demande judiciaire. Il faut dire, en second lieu, que quand bien même on le considérerait comme un intérêt, ce serait un véritable capital échu avant la demande, et produisant lui-même des intérêts.

SECTION VI.

De la Négociabilité de l'acte de prêt à la grosse et de ses effets.

L'ORDONNANCE de la marine ne s'était point expliquée sur la question de savoir si l'acte de grosse était négociable; mais l'usage l'avait admis au nombre des papiers payables à l'ordre du donneur. L'intérêt du commerce demandait que cet usage fût adopté. C'était le vœu des écrivains les plus éclairés, observait l'orateur du Gouvernement à la séance du Corps législatif, du 8 septembre 1807, et cet usage a été converti en loi, sur la proposition de la Cour royale de Rennes, par le nouveau Code de commerce, art. 313, qui porte:

« Tout acte de prêt à la grosse peut être négocié › par la voie de l'endossement, s'il est à ordre. En ce cas, la négociation de cet acte a les mêmes > effets et produit les mêmes actions en garantie celles des autres effets de commerce. »

que

La Cour royale de Rennes, et, d'après elle, la commission, voulaient même que tout acte de prêt à la grosse fùt négociable de plein droit, s'il n'y avait convention contraire. On a préféré ne le déclarer négociable que quand il serait à ordre. (Voyez procès-verbal du 8 septembre 1807, Exposé

T. III.

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des motifs, no. 16, observations de la Cour royale de Rennes, t. 1, p. 347, et projet corrigé, art. 119.)

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« Le résultat est le même, observe fort judicieu»sement M. Locré, puisque, dans l'un et l'autre systêmes, c'est la volonté des parties qui déter» mine le caractère de l'acte; mais il est plus simple et plus sûr de faire dépendre ce caractère de » la forme extérieure, sur laquelle les parties ne > peuvent se tromper, que d'obliger les contrac> tans, pour empêcher l'acte de devenir négocia»ble, d'ajouter une convention formelle, qu'ils » peuvent oublier d'y insérer, et qui, si elle était » faite par un acte particulier, pourrait induire les (Voyez M. Locré, sur l'article 315 du Code de commerce.)

» tiers en erreur. »

Quand l'acte de grosse n'est pas à ordre, il ne saurait être considéré que comme une créance ordinaire, qui ne peut être cédée que dans la forme du transport, qui, d'après l'art. 1690 du Code civil, n'a d'effet, à l'égard du débiteur, que par la signification qu'on lui en fait, ou par son acceptation, qui ne soumet d'ailleurs le cédant qu'à garantir l'existence de la dette, conformément à l'article 1693 du même Code, et qui ne rend pas ce dernier responsable de la solvabilité du débiteur. (Art. 1694 ibid.) La compensation et autres exceptions peuvent être opposées au porteur d'un acte ou billet de grosse non conçu à ordre; le porteur n'est véritablement qu'un simple cessionnaire, qui n'a pas plus de droits que son cédant.

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