Page images
PDF
EPUB

Une suite de fautes, accompagnées elles-mêmes d'autant de crises, avait amené la suspension de la royauté. Il n'existait plus aucune autorité légale. Tous les citoyens frémissaient encore à l'image des crimes qu'une politique de sang avait ordonnés à la faveur de l'interrègne des lois. Ce fut du milieu de ce désordre que sortit la Convention. Il fallait quelque courage pour accepter, dans ces redoutables circonstances, la mission de sauver la patrie de ses périls intérieurs et de l'invasion de l'Europe coalisée. Il fallait du dévouement pour exposer sa tête aux orages d'une assemblée qui, née dans le trouble, devait porter l'empreinte de son origine, et dont les passions enflammées devaient reproduire celles mêmes des partis, violemment intervenus dans sa composition.

Une chambre élective qui, dans un ordre de choses régulier, sort du concours libre et paisible des citoyens, n'exerce que des droits nécessairement limités par la loi. Il n'en put être ainsi de la Convention. Puissance extraordinaire élevée sur la ruine de toute autorité, apparaissant au milieu d'une conflagration générale, la Convention dut être, par la nature même des choses, investie d'un pouvoir sans limites. Elle trouvait la société en poussière, et devait la recréer sur des bases nouvelles; il fallait surtout vaincre l'Europe; et, avant de songer à la liberté intérieure, fonder l'indépendance même du pays. Son ensemble repré

a.

sentait l'unité de pouvoir. C'était pour la France, menacée de périr, une véritable dictature.

Ce n'est pas sans dessein que nous plaçons ici cette réflexion, qui résulte de l'origine même des pouvoirs de l'assemblée, et de la force des choses'. Elle fait apprécier la faible logique des historiens qui entreprennent d'appliquer à la Convention nationale les mêmes règles qu'ils appliquent à toute autre assemblée délibérante. Elle indique le point de vue où doit se placer le publiciste qui prétend au mérite de comprendre et d'apprécier ses actes. Peut-être même y trouvera-t-on, sinon la justification, car il est dans l'histoire des peuples des choses qu'il ne faut point essayer de justifier, du moins l'explication de ses mesures les plus désespérées. La Convention nationale succéda à l'assemblée législative, mais avec des attributions tout autrement étendues. L'une n'était qu'une des branches du pouvoir constitutionnel, l'autre était le pouvoir tout entier, et le plus terrible de tous, puisqu'il était sans bornes et sans contre-poids.

Ce sénat véritablement souverain n'était point homogène; comment aurait-il pu l'être? Il offrait

ll

• « L'intérêt public exigeait que le peuple manifestât sa volonté par le vœu d'une Convention nationale investie par lui de pouvoirs illimités. » (Exposé des motifs d'après lesquels l'Assemblée législative a proclamé la convocation d'une Convention nationale; rédigé par Condorcet.)

dans ses diverses sections l'image de la France. Tandis que les départements que leur éloignement du centre des agitations avait laissés plus calmes, se choisissaient des mandataires éclairés, fermes, mais ennemis des excès, Paris et les départements qui l'avoisinent, s'étaient donné pour représentants les chefs des partis les plus extrêmes. La terreur inspirée par les massacres de septembre ouvrit à plusieurs des artisans de ces massacres les portes de l'assemblée. Ce fut sous la triple influence de la société des Jacobins, gouvernée par Robespierre, de celle des Cordeliers, soumise aux ordres de Danton et de Marat, et de la Commune, née de l'insurrection du 10 août, que s'accomplirent les opérations électorales de Paris. Ainsi la Convention nationale dut ajouter ses propres discordes à celles qui déchiraient la patrie, et ses propres dangers aux dangers qu'elle était appelée à conjurer.

La première lutte qui s'éleva entre les divers partis dont elle était composée, fut celie des systèmes à établir pour sauver l'état. Élue sous deux influences distinctes, l'assemblée présenta nécessairement deux grandes divisions. Elle se partagea entre le parti de la Gironde', qui représentait l'o

'Ainsi nommé, parceque ses principaux chefs faisaient partie de la députation de Bordeaux, département de la Gironde.

pinion de la majorité des départements, et qui offrait parmi ses membres de grands talents et de grandes vertus; et le parti de la Montagne', livré aux doctrines de la société des Jacobins. Ce second parti, en majorité dans la députation de Paris, comptait pour autant de chefs les hommes nouveaux dont l'audace avait renversé le trône au 10 août. Il n'offrait pas moins de talents que ses adversaires, avec plus de résolution, mais aussi plus de machiavélisme et de violence.

Toutefois la Gironde, organe d'une population plus nombreuse, devait réunir la grande majorité des députés. Les hommes qui la dirigeaient, tels que Brissot, Pétion, Vergniaux, Rabaut-SaintÉtienne, Guadet et Gensonné, avaient gouverné constamment l'assemblée législative. Un ministère sorti de leurs rangs s'était acquis par ses résistances contre le trône, et par la disgrâce qu'il avait éprouvée, une popularité très étendue. La plupart des fonctions publiques appartenaient à leurs partisans; enfin ce peu qui restait encore de pouvoir et de gouvernement, ils l'exploitaient en maîtres.

Mais si leurs antagonistes n'avaient point encore la puissance du nombre, ils possédaient au dehors une autorité qui balançait au moins celle de leurs

Ce nom fut donné aux députés qui occupaient la partie la plus élevée de la salle.

adversaires. Le club des Jacobins, soumis à Robespierre, leur appartenait; Danton et Marat leur assuraient la coopération de celui des Cordeliers. La Commune de Paris leur était également dévouée. Chefs depuis trois années des sociétés populaires, connus des meneurs des faubourgs et même de la multitude qui les avait trouvés dans toutes ses émeutes, dont ils avaient partagé à la fois les passions et les dangers, ils étaient chéris du peuple auquel plaisait leur audace, et qui sympathisait avec eux. C'est ainsi qu'ils retrouvaient au dehors la puissance qui leur échappait dans l'intérieur de la Convention. Et si l'on réfléchit que leurs appuis étaient près d'eux, environnaient la salle de leurs délibérations, tandis que les soutiens du parti girondin se trouvaient dispersés dans l'éloignement, on concevra à la fois toute la force de la minorité soutenue d'une masse immense de citoyens, et la faiblesse réelle de la majorité isolée de ses mandataires, dans lesquels elle ne pouvait trouver à l'instant des défenseurs.

Le système de chacun de ces partis était conforme aux passions différentes qui les avait créés

Les Girondins, qui avaient contribué de tous leurs efforts à détruire les anciennes formes monarchiques, étaient arrivés après le 10 août au même point où se trouvèrent les Lameth et Barnave, après le retour de Varennes. Ils pensaient dès lors qu'on avait fassez détruit, et qu'il était

« PreviousContinue »