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part de Rome. Bavardages que la conduite du pape fit évanouir en peu de temps. Pour ce qui est de son pouvoir temporel, il s'est montré très prudent, sensé et presque modéré, se bornant dans les premiers temps à proclamer la continuation des droits de l'Église; mais tout cela a été exprimé en justes termes, sans faire preuve d'exigence ni d'exagération. Cette méthode lui a immensément valu pour acquérir la sympathie des puissances qui, par leur manière de penser et par égard aux conditions de l'Europe, ne pouvaient pas désirer un pape ambitieux, remuant et batailleur, pour la raison qu'un pontife pareil aurait été un élément funeste, par lequel le danger d'une guerre ou tout au moins d'une grande crise se serait accentué. C'était assez des menaces des sectes révolutionnaires pour susciter des troubles et des périls sociaux, sans que ne vinssent s'ajouter des fermentations ou des excitations de guerre pour cause religieuse; la guerre, quelle qu'elle soit, n'est pas une chose que l'on souhaite, et les puissances font de leur mieux pour l'écarter.

Un pape qui, n'ayant pas compris l'idée des puissances, eût contrarié leur désir, aurait créé des embarras inutiles sans rien obtenir, s'aliénant en même temps l'esprit de ceux qui ont entre leurs mains la politique européenne. C'est pré

cisément de cette façon-là que s'y serait pris un pape étranger en 1878.

Il est vrai que la conduite de Léon XIII a été aussi une arme à deux tranchants, de sorte que par son rapprochement de toutes les puissances, il a fait mine de s'intéresser à la grande question sociale, les leurrant de promesses, tandis que le seul but qu'il a eu et qu'il a encore est de reconquérir, de quelque manière que ce soit, le pouvoir temporel, ainsi qu'en font témoignage depuis plusieurs années tous ses faits et gestes. Mais les puissances ne pensant qu'à utiliser ce qu'il y a d'avantageux dans cette conduite, le pontife se voit obligé apparemment à ne pas en franchir les bornes. Du reste, ce ne fut qu'après les démonstrations sauvages de la nuit du 13 juillet 1881, lors du transport de la dépouille de Pie IX, que Léon XIII, voyant dans l'offense au pape mort une menace au pape vivant, fut forcé de rompre le silence et de s'adresser aux puissances, leur expliquant ses sentiments en faveur du pouvoir temporel et leur démontrant la nécessité de la liberté du chef de l'Église. Si cette scène odieuse n'eût pas eu lieu, Léon XIII se serait tû, ou du moins aurait-il borné sa protestation à un simple acte de formalité.

Après tout, ce fut une simple formalité que cette protestation, inspirée par un juste ressen

timent et provoquée par de justes raisons, puisqu'elle n'eut aucun résultat; à l'instar de toutes les précédentes protestations de Pie IX, elle resta sans suite, on n'insista pas là-dessus, et l'ordre de prudence destiné à reconstituer les forces morales de l'Église, qui s'éleva grâce aux vertus du pape qui profita de toutes les occasions pour le bien du Christianisme, ne vint pas à être changé.

Dans la suite Léon XIII, fier de la bienveillance et du dévouement dont plusieurs puissances lui avaient été prodigues, changea de système; peu peu, d'abord par des congrès catholiques, ensuite par des actes plus ou moins voilés émanės de la secrétairerie d'État, il prit une attitude résolue, se mettant en vue sur un terrain politique pour rattraper le pouvoir temporel, ce qui lui aliéna les esprits des sphères politiques en Italie et mit le gouvernement dans la nécessité d'exercer une demi-surveillance.

En effet, la façon d'agir et les déclarations du Vatican contre la triple alliance, dans la crainte que l'Italie n'ait inclus dans les pactes que Rome appartienne comme partie intégrante au territoire italien, ne servirent qu'à rendre moins faciles les rapports entre le gouvernement italien et le Saint-Siège. Les puissances continuèrent à faire la sourde oreille à ses aspirations, et la

politique de Léon XIII resta plus accentuée, si l'on veut, mais sans aucun résultat, laissant seulement supposer que l'on préférait les intérêts temporels aux religieux.

Cette politique, qui paraît devoir nuire à l'Italie, lui est, par contre, utile, attendu que les puissances qui ont des rapports intimes avec le Vatican pour des raisons politiques cachées, ne s'alarment ni ne deviennent jalouses comme si le pape avait des préférences pour son propre pays.

Avec tout cela on ne dirait pas que la condition du pape doive s'en avantager, car ses visées n'ayant d'autre but que de reconquérir le pouvoir temporel, on regarde le pontife avec défiance, craignant qu'il ne s'empare de la première occasion pour créer des embarras à l'Italie.

Pendant longtemps la conduite de Léon XIII a été une série d'actions contradictoires. Si, par exemple, il accordait quelque faveur au parti qui protégeait l'intervention des catholiques aux élections politiques, immédiatement après il accomplissait un acte contraire pour ne pas alarmer les intransigeants qui ne voulaient pas en entendre parler.

Il a fait souvent comprendre qu'il ne désirait pas que les journaux cléricaux, du moins ceux de Rome, dirigeassent leurs attaques sur les personnes au pouvoir, mais seulement sur leurs

actions; mesure cependant qu'un acte qui accentuait le combat contre quelque disposition du gouvernement venait aussitôt modérer. S'il prononçait quelque discours trop violent ou trop doux, il faisait suivre ensuite un acte en opposition de son discours.

On aurait dit qu'il cherchait à équilibrer sa manière de dire avec celle qui le faisait agir. Il n'a jamais pris de disposition soudaine; se trouvant toujours irrésolu pour agir ou ne pas agir, il a été l'indécision personnifiée de la balançoire.

C'est justement ce qui s'est passé à l'égard du pouvoir temporel: au commencement, Léon XIII a considéré la question presque avec découragement, faisant croire qu'il aurait accepté les faits accomplis: ce n'était là que l'effet de l'hésitation, et son orgueil de grand pape, que des conseillers flatteurs et partant méchants alimentaient, se révolta en arborant le drapeau du pouvoir temporel dans un moment des plus mal choisis.

Le fait d'avoir été choisi comme arbitre entre deux puissances chose qui n'a été possible que parce qu'il était pape sans être roi - fit naître chez lui le besoin très puissant du pouvoir temporel, sans s'apercevoir que ce but une fois atteint, il aurait perdu le prestige qui l'avait porté à cet arbitrat, lui empêchant à l'avenir

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