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Au cardinal Franchi succéda le cardinal Nina, homme droit et trop loyal pour être ce qu'il fallait à cette place; mais le choix était fait pour suivre une politique de tranquillité et de paix, étant connu que le cardinal Nina nourrissait des sentiments libéraux, dans le sens qu'il voyait la nécessité que, vis à vis des faits accomplis, la papauté prît une voie possible afin que nul dommage n'eût échoué à l'Église et à la religion en Italie.

Moi qui connaissais de ce cardinal, doué d'un caractère simple, mais d'une âme élevée, toutes sès pensées les plus intimes, et duquel je conserve beaucoup d'écrits qui peignent l'homme, je sais par quelles amertumes il a dû passer à cause des hésitations du pape et plus spécialement encore à la suite des intrigues que formėrent autour de Sa Sainteté ceux qui, s'étant aperçus de son âme timide et flottante, mirent tout en œuvre pour le détourner du chemin où il s'était placé.

En effet, le cardinal Nina se vit obligé d'abandonner la secrétairerie d'État, et par la nomination préparée d'avance à cette place du cardinal Jacobini on croyait que Léon XIII eût l'intention de suivre la ligne de politique déjà initiée. Ce n'était que de l'apparence. A cet égard, je me rappelle l'épisode suivant.

Un soir je me rendis chez le cardinal avec un de mes amis. Après une longue et affectueuse conversation, nous lui demandâmes:

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Devons-nous donc nous préparer à une conciliation et travailler dans ce sens?

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Mais que me parlez-vous de conciliation! s'écria-t-il en colère - quelle conciliation! Qu'ils s'en aillent (faisant allusion au gouvernement italien et à la Cour). Alors elle sera possible; différemment, non.

La politique du pape se révélait déjà en contradiction dès ses débuts; un autre élément l'emportait dans son esprit. Le gouvernement des cardinaux disparaissait pour faire place à la seule autorité papale, qui prit par la suite ses délibérations sans recourir aux conseils du Sacré Collège.

Si dans le choix des nouveaux cardinaux Léon XIII ne put pas éviter quelques noms, il y fit toutefois entrer des éléments qui ne pussent donner ombrage à son autorité, faisant toujours preuve d'incertitude et de perplexité.

Dans le gouvernement de l'Église le pape a voulu rehausser le prestige du clergé au moyen de l'étude, mais son noble but - c'est au sujet de l'Italie que je parle ne fut pas atteint. Son action dirigée sur de vastes horizons politiques ne lui a pas laissé voir que le clergé va en

diminuant d'une manière visible, de sorte que dans plusieurs endroits il y a défaut de prêtres pour accomplir les fonctions religieuses. Afin de pouvoir suppléer aux besoins, les évêques sont obligés de consacrer des jeunes gens quels qu'ils soient, privés d'instruction et quelquefois de vocation. De là une véritable décadence qu'il serait nécessaire de soigner.

Revenant au principal argument sur la politique de Léon XIII, on est obligé de constater qu'elle a des inspirations sublimes, lorsque son esprit plane dans cette sphère douce et sereine en dehors des intérêts humains, ne visant qu'au bien de l'humanité; par contre, sa splendeur s'affaiblit quand la passion politique se mêle à ses idéaux. J'ignore si l'état de choses actuel soit le meilleur pour le pape et pour le SaintSiège. La question est ardue. Je dirai seulement qu'une solution est nécessaire; si les hommes ne s'en chargeront pas, elle sera effectuée par le temps, juge suprême qui vient à bout de tous différends, s'il ne les supprime entièrement. Ce qu'il y a de certain, c'est que la situation présente ne peut pas se prolonger beaucoup et qu'elle doit avoir un terme. Comment et quand elle l'aura, personne ne peut le dire.

L'emprisonnement du pape est volontaire, mais, volontaire ou non, la captivité existe. C'est un

fait évident qu'on ne peut cacher, ni rendre moins sérieux. Si le Sacré Collège a décidé ce système d'emprisonnement, il aura eu de bonnes raisons, soutenues par des calculs et par des espérances bien réfléchies. On comprend toutefois qu'un tel régime de clausure rigide et sévère doit tôt ou tard cesser.

De toute façon, ce système représente une exception très dure, qui se résout en une torture infligée à la personne du pape. Je ne saurais dire de quel moyen de solution on puisse faire usage, mais je répète que le temps se chargera de le trouver.

Enfin, si l'on rapproche la politique de Léon XIII de l'origine italienne des papes, on s'aperçoit que cette politique, à part les grands mérites du pontife, qui sont évidents, n'aurait pas pu être suivie par un pape non italien, qui eût poussé si en avant la question politique et mis sur le drapeau la question romaine, réclamant par tant de moyens différents le pouvoir temporel; se fût-il même montrẻ hostile à la triple alliance, on ne l'aurait pas toléré. Les premières réclamations ne seraient pas venues de l'Italie, mais des autres puissances qui auraient vu dans la conduite du pape une perturbation et un danger pour ellesmêmes. Mais avec cela on ne prétend pas d'affirmer qu'un pontife étranger n'eût pas su faire

usage de prudence et de tact à l'égal de Léon XIII; cependant le seul soupçon que le pape eût pu céder aux pressions de la nation à laquelle il appartenait, aurait suffi pour soulever de sérieux conflits et pour mettre le Saint-Siège à de dures épreuves.

Donc un pape italien se trouve plus libre, non seulement dans l'accomplissement de son ministère, mais encore dans ces aspirations temporelles dont le pape actuel s'est fait le vaillant défenseur.

Lorsqu'on élit un cardinal, on dit qu'il cesse d'être étranger et qu'il devient prêtre de l'Église romaine. Cela est vrai idéalement, non dans la réalité.

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