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le pape sera italien; au cas contraire, l'édifice ecclésiastique s'écroulerait, car un pape étranger ne pourrait jamais jouer le rôle de prétendant au pouvoir temporel.

Comme je ne voulais publier ces paroles sans être parfaitement sûr qu'elles correspondaient aux faits, j'interpellai à ce sujet un savant cardinal. Il me répondit: C'est la vérité.

Telle est la situation créée par les divers ministres italiens, grâce à leur politique, ou mieux, grâce à l'absence de leur politique ecclésiastique.

On a parlé souvent de conciliation; eh bien, je crois que peu de personnes ont examiné à fond la question afin d'être en mesure de dire de quelle manière et dans quelles circonstances cette conciliation pourrait se faire. Pour traiter la conciliation, il faudrait remonter à la source des faits; mais de la façon dont se sont développés les événements, ni l'une ni l'autre des deux parties ne peut reconnaître l'état naturel des choses.

Une conciliation entre le pape et l'Italie est désirée par un grand nombre de personnes aussi bien dans les hautes sphères que dans le clergé et dans le peuple: les premières, parce qu'elles croient qu'une fois la querelle vidée, il sera possible d'obtenir la paix des consciences à l'intérieur et une plus grande sécurité à l'étranger; les autres, parce qu'elles sont convaincues que, grâce

à la paix religieuse, l'économie publique en Italie en profitera. Mais la conciliation ainsi comprise, complète et absolue, n'est autre chose qu'une utopie. Les idées du Vatican ne sont point conciliables avec celles de l'Italie, qui partent d'un point diamétralement opposé.

Qu'est-ce qui gouverne le monde depuis un quart de siècle? C'est l'opportunisme. Or, ainsi que ce mot le dit, les gouvernements ne marchent pas à présent sur une voie déterminée, tandis que le pape ne peut pas s'éloigner des lignes générales qui dirigent le Saint-Siège. La papauté est une institution fondée sur des principes fixes desquels la violence seule peut la faire remuer. C'est un fait dont l'histoire ancienne et moderne en fait le plus ample témoignage. Napoléon Ier, qui ne perdait pas son temps å discuter, disait: Je veux ceci, je veux cela, et bien qu'à contre-coeur, les papes ont tout accepté, tout, jusqu'au renoncement du pouvoir temporel! Le gouvernement de la république française actuel en a agi de la même façon, et, après tout, il n'en reste pas moins le meilleur ami du Vatican.

Je traiterai séparément des relations du SaintSiège avec les gouvernements. En attendant, je crois bon, afin d'en conclure sur ma thèse de l'opportunisme, d'en donner ici un aperçu général.

Jamais comme dès 1870 on a vu tant d'incons

tances et de balancements politiques, de rapprochements et de répulsions entre le Vatican et les puissances, à commencer par la Russie. Quand ils ont trouvé dans leur intérêt de s'approcher du pape, tous les gouvernements l'ont fait, sans nullement se soucier si jusqu'alors ils n'avaient pas été en bons rapports avec lui. Personne n'ignore l'histoire toute récente du Kulturkampf en Allemagne. Ce qui règle les rapports entre la France et le Saint-Siège c'est l'opportunisme. En Autriche s'agite une question brûlante d'actualité. Il en est de même dans la Belgique et au Portugal. L'Angleterre elle-même, qu'on regarde comme le modèle de la constitutionnalité, a tenu et tient envers le Vatican une attitude variable suivant les circonstances.

Cette variabilité, d'ailleurs, est toute naturelle. Si leurs intérêts l'exigent, les États violent les concordats arrêtés sans se faire aucun scrupule. Il n'est pas possible de gouverner par des principes immuables. En face de ces procédés, que fait le Vatican? Il se résigne.

De ce qui précède il résulte clairement que nul gouvernement ne saurait offrir au Saint-Siège des garanties suffisantes pour un état de choses. durable au sujet de sa position normale. Or, estce que l'Italie pourrait donner ces mêmes garanties afin d'arriver à une vraie et définitive con

ciliation? Il est des gens qui pensent que cela soit possible. Quant à moi, vu la situation présente, je n'y vois qu'une utopie.

La loi des garanties pontificales a été une erreur politique. Une fois Rome occupée, la rẻsolution de la question papale s'imposait. Au lieu de la loi des garanties, il fallait savoir établir un concordat équitable soussigné par les deux parties. Reconnaître d'abord la souveraineté du pape et lui imposer ensuite une loi faite sans son consentement, c'est tomber dans l'absurde. Qu'est-ce que cette loi que le gouvernement italien lui-même n'observe pas? En outre, cette loi demeure encore incomplète. Or, si on ne savait pas de quelle manière l'accomplir, n'aurait-il mieux valu ne pas l'avoir sanctionnée?

D'autre part, maints incidents ont fait ressortir jusqu'à l'évidence que, même avec les meilleures intentions du monde, les divers Ministères qui se sont succédé en Italie ont manqué d'autorité pour pouvoir s'opposer à ceux qui considèrent la loi des garanties comme une diminution de la souveraineté nationale. Articles de journaux, brochures et publications de tout genre, faits par des hommes autorisés autant par leur position sociale que politique, n'ont abouti à aucun résultat pratique. Dans le champ clérical les tentatives d'une conciliation furent nombreuses.

On compte souvent sur la qualité du pape, sans réfléchir que la question ne change pas de nature pour cela. On dit qu'avec un pape américain il serait bien plus facile de résoudre la question romaine. Les États-Unis étant le pays où la liberté religieuse est le plus largement accordée, on en tire la conséquence qu'un pape originaire de là-bas vivrait en vrai pontife, accomplissant ses fonctions sans se préoccuper ni peu ni prou du gouvernement italien. Admettons cela. Mais est-ce que les difficultés ne viendraient pas alors d'un autre côté? Les cardinaux, la Curie se résigneraient-ils à ce nouveau programme de politique ecclésiastique?

J'ai dit plus haut que dans la situation que nous avons traversée il n'aurait pas été possible å un pape non italien de se maintenir. A plus forte raison doit-on en dire autant pour la période actuelle, qui ne serait aucunement favorable à una conciliation. Mais celle-ci n'est qu'une des faces de la question que j'ai pris à traiter. Je ne puis pas cependant m'abstenir d'avancer une observation. Il est bien connu que le Vatican, dans ces derniers temps surtout, a fait tous ses efforts pour créer des embarras et pour entretenir de la mauvaise humeur entre l'Italie et les autres puissances, et ce n'est point un mystère que, du moins en partie, on doit à l'action du

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