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un pareil projet, mais en le faisant je sortirais de la voie que je me suis tracée. Je tiens cependant à déclarer que je ne songe nullement à une action odieuse contre le pape. Il ne s'agit que de faire cesser une situation insupportable de part et d'autre. L'État ne doit pas tolérer qu'on discute incessamment sur une question touchant à son existence; ni le pape ne doit continuer à vivre dans la condition qu'il s'est créée depuis 1870.

Jusqu'ici j'ai parlé du pape, mais je n'ai pas encore touché à ce qui a trait en général au Saint-Siège; je n'ai rien dit à l'égard des cardinaux, dont la condition est pire encore que celle du pape.

Dès 1870, le train de vie des cardinaux est empreint à une misanthropie forcée. Puisque le pape ne se montre plus en public, eux, les princes de l'Église, ne peuvent pas en agir différemment. Ils aimeraient bien à se promener librement dans Rome, à pied ou en voiture découverte, s'arrêtant à leur gré, à visiter solennellement quelques églises, à assister aux cérémonies religieuses sans être liés à ces restrictions qui se réduisent à une sorte d'esclavage. A l'état de choses présent, s'ils se faisaient voir en pompe dans les rues de Rome, plus que les honneurs dûs aux princes du sang et que la loi leur accorde, ils s'exposeraient à es

suyer des offenses brutales. Quand les cardinaux veulent respirer un peu d'air, ils sont obligés de traverser la ville, blottis dans de grandes voitures couvertes à l'aspect sombre et d'aller hors les murs de la ville. Les promenades qu'ils préfèrent sont la via Nomentana hors de la porte Pia et la via Appia Nuova hors de la porte Saint-Jean. Lå, ils descendent de leur voiture, et après s'être promenés quelque peu sans être connus par tous les passants, ils font retour à leur habitation.

Mais qui les empêche, dira-t-on, de faire leur entière volonté? - Voilà une sotte objection, que celui-là seul qui ne connaît pas la réalité des faits et qui ignore ce que c'est que l'institution de la papauté peut avancer. Personne ne pourrait supposer que les cardinaux ne désirent jouir de la liberté, de l'indépendance à laquelle ils ont droit. Mais par la force des choses, par la condition faite au pape, ainsi que par la politique qu'il a inaugurée ils se trouvent dans une fausse position. L'irritation provoquée par une semblable position a engendré une guerre sourde, mais non de propos délibérẻ, contre l'État italien. Or, une guerre dans le sens et dans les limites que nous venons d'exposer ne saurait être blâmée: c'est une réaction toute naturelle.

Si la position est fausse d'un côté, elle ne l'est pas moins de l'autre, et de la façon dont on s'y

est pris, on a créé une atmosphère malsaine. Le Vatican crie qu'on ne peut pas durer ainsi et il met en œuvre tous les moyens que les temps lui permettent d'employer afin de changer sa condition.

Le pape s'est adressé d'abord aux puissances pour les amener à intervenir en sa faveur, obligeant l'Italie à abandonner Rome. Celles-ci, tout en berçant le pape par de bonnes espérances, se sont bien gardées de faire des démarches qui eussent pu être considérées come une offense à l'Italie. Toutes les tentatives faites par le pape auprès des différentes puissances n'ont abouti qu'à mettre de plus en plus en relief sa position anormale, sans toutefois y rien changer. Les prétentions du pouvoir temporel se sont bornées au point que le pape serait satisfait s'il pouvait régner sur la ville de Rome. C'est sur ce point qu'est engagée la lutte que Léon XIII a accentuée au plus haut degré. Rome: voilà le nœud de la question.

Je ne veux pas entrer à discuter si le pape pourrait se maintenir dans Rome moyennant ses seules forces; il suffit à mon but d'en poser la question. Est-ce qu'une pareille solution pourrait avoir des chances de succès? Au point où nous en sommes, je suis forcé de répondre négativement. Mais tant dans la vie des nations que dans celle

des hommes il est des moments psychologiques où ce qui semblait impossible devient possible. C'est un de ces moments qu'attend la papauté, qui tire profit de toute occasion pour mettre en avant ses prétentions.

Tous les États s'étant trouvés dans quelques difficultés au sujet de leur politique, par un prétexte quelconque le pape s'est empressé à leur offrir son influence morale pour soigner leur malaise. Il a chargé ses adeptes, le clergé, les évêques, de dire aux puissances: par notre force morale nous pouvons vous aider à écarter vos entraves; notre influence est entièrement à vous, à la condition, bien entendu, que vous nous secondiez à regagner le pouvoir temporel. De cette manière le pape a réussi à entourer l'Italie de petites défiances et même de quelques embarras. On n'a pas provoqué une conflagration parce qu'on ne le pouvait pas et aussi, je pense, parce que nul État ne se serait aventuré jusque-là; le fait demeure pourtant qu'on a espéré et qu'on espère encore au Vatican dans une guerre pour arriver au but. Ce n'est qu'un pape italien qui puisse se porter à une pareille extrémité. Un pape étranger n'aurait été appuyé pas même par le gouvernement de son pays.

L'action de la papauté contre l'Italie a été constante, s'accentuant plus ou moins d'un jour

à l'autre, suivant les circonstances, c'est-à-dire selon que le gouvernement italien s'est trouvé dans des conditions plus ou moins prospères. Depuis que l'Italie s'agite dans les étreintes de sa déplorable situation économique et politique, l'attitude du pape a acquis plus de fierté et plus d'acharnement et les cris de revendication s'élèvent toujours davantage.

On s'est demandé à plusieurs reprises pourquoi le Saint-Siège est si opiniâtrément contraire à l'intervention des catholiques aux élections politiques, du moment que grâce à leur concours il pourrait réaliser des avantages considérables, moraux surtout, car maintes lois contre l'Église n'auraient pas été sanctionnées. En outre, par ce moyen n'aurait-il pas vu s'aplanir le chemin sur lequel il s'est mis pour effectuer son idéal? Ce à quoi on a toujours répondu que de très hautes considérations défendaient de recourir à cette mesure.

Des cardinaux très autorisés m'ont expliqué plusieurs fois quelles sont ces considérations. Le jour où les catholiques, même en forte majorité, vinssent à faire partie du Parlement italien avec le consentement du pape, la question du pouvoir temporel serait à jamais ensevelie, car le Vatican aurait ainsi reconnu les faits accomplis. Cette décision du pape a causé et cause encore un dommage énorme aux catholiques, qui doivent

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