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Ne voyez-vous donc pas, monseigneur, que la pire des solutions serait précisément l'intervention étrangère? Je vous autorise, au contraire, chaque fois que l'occasion s'en présentera, à combattre cette idée. Mieux vaut rester tels que nous

sommes.

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Cela dit, il eut un geste très expressif qui démontrait chez lui la plus grande répugnance pour de semblables théories. Ensuite, s'adressant à moi: Veuillez dire aux membres du gouverne ment, ajouta-t-il, que nous ne sommes pas des fauteurs d'une intervention étrangère; de leur côté, qu'ils pensent à faire ce que les étrangers seraient tout disposés à accomplir si nous faisions appel à leur secours.

La politique de Napoléon III n'était seulement pas réprouvée par Pie IX, elle en était absolulument honnie. Preuve en soit que l'annonce des premiéres victoires des Allemands en 1870 fut accueillie joyeusement au Vatican. Les faits, d'ailleurs, sont si récents, qu'il ne faut pas trop y insister pour en démontrer la vérité. Est-ce que la France nourrissait de meilleurs sentiments à l'égard du pape et du Saint-Siège? Non, assurément. Cependant on a toujours vu la France et le Vatican se rapprocher l'un de l'autre et s'entr'aider dans tous leurs besoins. Nulle période de cette alliance n'est aussi digne d'attention que

la période présente, bien qu'elle ait beaucoup d'analogie avec le passé.

Dès les premières années de son existence, la troisième république, tout en déclarant vouloir rester fidèle au concordat, a fait des lois odieuses contre l'Église et indirectement contre le pape. La laïcisation des écoles, les corporations religieuses non reconnues par le concordat expulsées, les évêques rappelés, et tant d'autres décisions odieuses également, ont fait croire que la séparation de l'État et de l'Église se serait accomplie en France en même temps que le rappel de l'ambassadeur près le Vatican. Mais le pape, qui n'avait pas hésité à provoquer la rupture de ses rapports avec la Belgique pour une question fort moins importante que les moindres arrivées en France, se montra très soumis à l'égard de la république, tâchant d'écarter tout prétexte de querelle. Je tiens de quelques prélats très bien renseignés, que lorsque les lois hostiles à l'Église et au clergé furent présentées au Parlement français, les notes expédiées par le Vatican étaient on ne peut plus humbles, et les expressions tant soit peu accentuées furent atte nuées verbalement de peur que le gouvernement républicain ne se fâchât.

Comme je viens de le dire, ce qu'il importe d'examiner ce sont les points de contact qui cons

tituent les accords actuels ayant une si grande influence sur la papauté et qui en auront aussi dans le Conclave futur pour l'élection du successeur de Léon XIII, tout en possédant une très haute signification politique. Mainte fois le Vatican, s'apercevant que de ce côté-là il ne pouvait s'attendre qu'à des humiliations et à des chagrins, aurait volontiers envoyé la république et son gouvernement se promener, s'il n'eût réfléchi à la gravité des conséquences d'une rupture.

Les rapports entre la France et le Saint-Siège sont le thermomètre sur lequel se règlent les autres puissances. Sous ce rapport, on ne doit pas oublier que si elles tiennent les ambassades. près la cour pontificale, le pape le doit uniquement à la république française et surtout à son ambassadeur actuel, M. le comte Lefebvre de Béhaine, auteur d'un livre d'une certaine valeur à son point de vue, sur la nécessité de garder les représentants diplomatiques auprès du pape, bien que celui-ci ne soit plus en possession du pouvoir temporel. Certes, la France n'a pas agi de la sorte en vue de protéger les intérêts du Vatican; mais, de toute façon, le fait profite au Saint-Siège, et cela suffit.

Dans une pareille situation, une rupture avec la France exposerait le pape au risque de voir rappeler aussi les ambassadeurs des autres puis

sances. D'ailleurs, la république, à laquelle on ne pourrait vraiment pas reprocher de trop grandes sympathies pour les cléricaux, n'est nullement disposée à perdre l'influence qu'elle exerce au Vatican et dont elle s'avantage en France et au dehors. Les intérêts de l'accord sont donc réciproques. Si le pape a pris parti pour la république, ç'a été simplement parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Abandonné par la France, le Vatican n'aurait plus aucune raison d'être considéré comme la résidence d'un souverain, ce qui serait bien autrement grave que la perte même du pouvoir temporel.

Plus encore que le cardinal secrétaire d'État, c'est l'ambassadeur de France qui dirige la politique du Saint-Siège. Pour lui, en effet, les portes du Vatican sont toujours grandes ouvertes, et si des questions importantes viennent à être mises sur le tapis, elles sont traitées directement entre le pape et l'ambassadeur. Il me souvient à ce propos qu'en 1887, lorsque le pape eut quelques velléités de conciliation avec l'Italie, l'ambassadeur français lui adressa la parole avec une roideur si outrée, que le cardinal secrétaire ne put pas pour longtemps se rendre compte de tant d'autorité. Je ne dis pas que la France berce le pape en lui faisant miroiter la possibilité de reconquérir le pouvoir temporel; je pourrais

même citer des documents qui s'expriment dans un sens contraire; mais j'affirme que jusqu'au jour où de bons rapports existeront entre le Vatican et la France, le pape ne cessera pas de réclamer hautement la restitution de la principauté civile. S'il n'en était pas ainsi, quelle signification donner à la concession accordée à la France de diriger la politique du Vatican, de s'immiscer des affaires de la papauté? N'est-ce pas à cet octroi d'autorité qu'on attache l'espérance de regagner le pouvoir temporel? Qui pourrait nier que si les relations de la France avec le Saint-Siège étaient restées là où restèrent celles entre le Vatican et l'Autriche, l'Espagne, le Portugal et d'autres États, la question papale n'aurait pas eu une suite aussi sérieuse, et le pape se serait trouvé dans l'impossibilité de soutenir la lutte contre l'Italie?

De certains documents conservés au Vatican il résulte que nul autre gouvernement n'a encouragé le pape dans cette lutte, et que l'Autriche, par l'entremise spécialement de l'empereur François-Joseph, a tout mis en œuvre pour concilier entre eux le pape et l'Italie. Si elle n'y a pas réussi, la faute en est à la France, non parce que celle-ci ait été empêchée par les faits ouvertement et résolument accomplis, mais parce que sa politique et ses intérêts exigeaient et

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