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magne aussi bien que l'Italie ne se préoccupént de l'élection du futur pontife. J'ajoute, que s'il n'en était pas ainsi, la chose serait fort étrange. Les faits pourtant démontrent le contraire, bien que l'action des trois puissances ne soit pas toujours uniforme, ce qui du reste s'explique aisément. Les trois États ont des intérêts généraux communs sur lesquels ils tombent parfaitement d'accord. Mais chacun d'eux a aussi des intérêts particuliers et au sujet de ceux-ci chaque gouvernement suit une politique à part.

Que l'Italie désire un pape non perturbateur, qui la laisse tranquille à l'intérieur tout en respectant son unité, on le conçoit sans peinc: elle a même demandé et obtenu que parmi les territoires dont le traité d'alliance garantit l'intégrité, Rome fût aussi comprise. Si cette clause, inutile, suivant mon avis, a été insérée, cela signifie que le gouvernement italien se soucie du pape et particulièrement de la personne qui sera élue à la dignité pontificale, attendu qu'elle pourrait bien lui créer des embarras. A cet égard donc, en plus de se prémunir à l'intérieur, l'Italie a dû prendre ses précautions se concertant avec ses alliés, non seulement en vue d'établir l'intégrité de son territoire, mais aussi pour tout ce qui a trait au choix du pape futur. A défaut de quoi, les accords pris pour la garantie terri

toriale n'auraient aucune valeur. En vérité, pourquoi l'Italie a-t-elle demandé la clause relative å Rome? Pour la simple raison que le pape a cherché, cherche et cherchera toujours de soulever une question romaine. Cette question sera agitée avec plus ou moins d'aigreur, suivant le caractère du pape et surtout suivant les influences auxquelles il devra ou voudra obéir.

Ce n'est assurément pas une affaire de peu d'importance pour les trois puissances alliées que le choix du pape, car si Léon XIII, quoique forcé de se livrer à la France, a su néanmoins se montrer bienveillant et pacifique envers les autres nations, son successeur pourrait bien ne pas avoir la force de résister aux pressions qu'on ne manquera pas d'exercer sur lui, ou s'adonner de parti pris à une politique partisane provoquant des conflits. Dans cette affaire le gouvernement italien est certainement le plus intėressé, et quoiqu'il fasse parade d'indifférence, il ne pourrait pas à cœur léger se tenir à l'écart. D'ailleurs, si l'Italie est la plus intéressée des puissances à l'élection du pape futur, l'Autriche et l'Allemagne font preuve d'une activité fort supérieure à la sienne en vue de s'assurer dans le Conclave un certain degré d'influence.

Jusqu'au moment où la France montra de ne pas s'occuper du Vatican, l'Allemagne n'hésita

point à déclarer au pape et à l'Église la plus rude des guerres qui se prolongea pendant plusieurs années sous le nom de Kulturkampf. Les procès et les confiscations contre les évêques et le clergé tout entier de ce pays ne peuvent pas s'être effacés de la mémoire du lecteur, neuf ans s'étant à peine écoulés depuis la date de ces poursuites. Mais lorsque le prince de Bismarck eut compris que la papauté ne vit pas exclusivement d'intérêts religieux et que les relations du pape avec la France pouvaient prendre d'un moment à l'autre une allure dangereuse, il changea tellement de politique envers le Vatican, que les cléricaux purent se flatter de l'espérance de voir l'Allemagne soutenir efficacement les droits du Saint-Siège.

On a dit que M. de Bismarck s'est servi d'une tactique pareille pour amener une rupture entre la France et l'Italie et pour arriver ainsi à la réalisation de son idéal, la triple alliance, dont l'Italie seule a fait les frais. Ce qui est certain, c'est que l'Allemagne retira petit à petit les lois de mai afin de regagner l'amitié du pape. Si telle n'était pas son intention, les rapports entre l'empereur et le Saint-Siège ne se seraient pas améliorés de jour en jour, jusqu'au point de voir le pape recommander aux députés allemands l'approbation du septennat militaire. Encore. Si les

conditions des députés du centre et les relations actuelles entre le Vatican et la France ne l'avaient pas empêché, on aurait aussi vu Léon XIII contribuer à l'adoption des autres lois militaires allemandes. Le cabinet de Berlin et l'empereur se sont empressés de donner à l'Italie toutes les explications désirables sur leur politique à l'ẻgard du Vatican dans le but de trancher avec le soupçon que l'Allemagne eût pu manquer à ses devoirs d'alliée.

La première fois que l'empereur se rendit å Rome on aurait dit que les bons rapports entre l'empire allemand et le Saint-Siège étaient près de se relâcher. A cette occasion l'empereur ne se conduisit vraiment pas d'une manière fort sẻrieuse, car, après avoir rapporté en termes peu corrects sa conversation avec le pape et le stratagème de faire entrer son frère dans la salle d'audience au moment où l'entretien venait à peine de commencer, il lui adressa de Berlin sinon des excuses, pour sûr des déclarations dans l'intention évidente d'atténuer la mauvaise impression de cette visite. Aussi, en montrant les expressions que Guillaume II lui avait adressées, Léon XIII fit-il observer que l'empereur était encore fort jeune, mais qu'avec le temps il se serait corrigé.

Il y a eu et il y a assurément des raisons

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d'ordre intérieur qui conseillèrent et qui conseillent au gouvernement allemand de se tenir en bons rapports avec le pape. L'amitié du clergé et des catholiques, assez nombreux en Allemagne, n'a pas si peu de poids que le gouvernement puisse la négliger sans péril. Le socialisme aussi y représente une force imposante dont l'empereur se montre fort préoccupé. Les questions qui se rattachent au malaise public troublent l'esprit des hommes d'État, mais celles qui l'emportent ce sont les questions relatives à la politique étrangère. Pour ce qui est du pape, on est entièrement convaincu qu'il ne doit pas être à la merci d'aucune nation, moins encore de la France.

Cette conviction a une part considérable dans le programme politique du cabinet de Berlin. A l'époque où la guerre de revanche pouvait s'allumer d'un moment à l'autre, on n'a pas manqué de tenir compte de l'influence morale dont on pouvait disposer. L'Alsace et la Lorraine, provinces catholiques, pouvaient bien exercer dans la lutte une action morale.

La conduite de l'Allemagne est une arme à deux tranchants. Tenant compte des exigences de la politique intérieure, qui dans un État de foi protestante ne sont pas nombreuses, ainsi que de l'invasion du socialisme, dont un État fort

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