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venir toute surprise. Ainsi, non seulement on arrive à protéger les intérêts particuliers, mais ceux aussi de la triple alliance. Les cardinaux italiens se trouveront donc pris entre deux courants étrangers.

J'ai parlé de l'Allemagne dans ses rapports avec le Vatican; je ne dois pas taire de l'Autriche, dont les relations avec le Saint-Siège ont une tout autre nature et diffèrent de celles des autres puissances. L'Autriche-Hongrie est étroitement liée au Vatican, surtout à cause des nationalités variées dont l'empire se compose. Le gouvernement de ce pays est une sorte de gouvernement féodal presque entièrement au pouvoir du clergé et de l'aristocratie cléricale. L'entente cordiale entre l'Autriche-Hongrie et la papauté est, par conséquent, nécessaire et toute naturelle. Si des raisons d'État impérieuses et de conservation ont rendu possible l'alliance avec l'Italie, on ne doit pas oublier qu'un tel fait a été accepté bien à contre-cœur et qu'il est souvent exposé aux attaques des cercles de la Cour et des aristocrates.

La question de la visite non rendue au roi d'Italie ne doit pas être attribuée à la volonté de François-Joseph, mais à l'opposition de la famille impériale tout entière, imbue de préjugés et obéissant aveuglément au cardinal archevêque de Vienne. Cela ressort clairement des lettres que

l'empereur écrivit au roi pour s'excuser de n'avoir pas rempli un devoir si élémentaire, ainsi que de celles qu'il adressa au pape, lui assurant qu'en allant à Rome rendre visite au roi Humbert il ne croyait, ni n'entendait nullement porter offense non moins au pontife qu'à ses droits.

Le pape a toujours fermement répondu qu'il ne pouvait approuver d'aucune façon un tel voyage, et que si cela eût eu lieu, l'empereur aurait trouvé fermées les portes du Vatican. Un jour arriva pourtant où François-Joseph, pressé par la Cour de Berlin, fut sur le point de partir malgré la défense papale. Le Vatican ayant eu vent de la chose, on télégraphia sur-le-champ au nonce à Vienne d'aller prendre congé chez l'empereur. L'heure insolite où le nonce se présenta et son insistance pour être reçu de S. M. firent un grand bruit au palais impérial.

Mais de hauts personnages s'interposèrent dans cette affaire et François-Joseph fut obligé de renoncer à son voyage. L'empereur n'ignore point d'être à la merci du parti clérical et par lå de la papauté, mais il ne peut rien faire pour changer une situation qu'il juge déplorable, non seulement au point de vue de la chose en elle-même, mais aussi parce qu'il se trouve souvent à cause de cela en dissension avec sa famille.

L'empereur d'Autriche-Hongrie désire ardem

ment voir se composer le différend existant entre le pape et l'Italie. Aussitôt après 1870, FrançoisJoseph a compris, et il l'a répété à maintes reprises, que sans une conciliation les puissances se seraient toujours trouvé une question papale sur les bras, l'Autriche la toute première, qui, dominée par le clergé, n'aurait pas manqué de voir son gouvernement dans de très graves embarras.

On a poussé les hauts cris en Italie, et non sans quelque raison, parce que lors d'une réunion tenue par la confrérie de Saint-Michel à Vienne, le 12 février 1893, pour fêter le jubilė épiscopal du pape, et à laquelle prirent part deux ministres autrichiens, des discours furent prononcés en faveur du pouvoir temporel du pape. Certes, le fait de la présence, dans une assemblée hostile à l'Italie, de deux ministres d'un État non seulement ami, mais allié de cette nation, n'était pas de nature à ne pas constituer un événement d'une certaine gravité.

Rappelons en quelques mots le caractère de la réunion viennoise.

Comme s'il disait la chose la plus naturelle du monde, le cardinal archevêque de Vienne s'exprima à peu près ainsi : « Le pape n'est pas entièrement libre, et il faut qu'il le soit. Notre réjouissance n'est pas encore complète; elle ne

pourra l'être que le jour où le Saint-Père recouvrera toute sa liberté : ce sera pour nous un jour sacré que celui-là ». Deux autres orateurs renchérirent sur cette même pensée. Le comte ClaryAldringen dit: « Le pape ne jouit pas de la complète liberté qui doit lui venir de Dieu et de son droit ». Et c'est ainsi que le baron Berger termina son discours: « Avec le pape, nous demandons une pleine liberté pour notre Sainte Église et pour son chef ». Et les deux ministres d'applaudir comme tout le monde.

L'auditoire de la confrérie de Saint-Michel se composait de plus que mille individus appartenant à l'aristocratie, ainsi que de beaucoup de personnalités de la Cour, y compris une princesse impériale, et, à l'égal de tous les autres, lės ministres Schönborn et Falkenkyrn avaient reçu l'invitation d'intervenir à l'assemblée, dans une forme à faire songer qu'il s'agissait d'une conspiration. Eh bien! Ce qui parut énorme en Italie, ne sembla guère sortir à Vienne de la sphère des choses ordinaires. En effet, à la demande si, sous le prétexte de fêter le pape, on n'avait peutêtre pas voulu organiser une manifestation politique, un document officiel s'empressa de répondre qu'une pareille supposition devait absolument être écartée. Ce qui précède ne nous offre qu'un pâle reflet de ce que c'est que l'Autriche

Hongrie par rapport à son éducation politique et religieuse, qui forme la condition normale de l'empire; cela suffit toutefois pour nous mettre à même de comprendre quelles sont les relations existant entre le Vatican et l'empire austrohongrois. S'il y a quelque atténuation, c'est que, tout en bénéficiant de tels privilèges, le clergé trouve convenable le plus souvent de se ranger du côté de l'État que de celui du pape. Si le Vatican est tout-puissant dans l'empire, cela dépend de ce que ses ordres ne se trouvent pas en opposition avec les intérêts du haut clergé.

Depuis quelques années déjà les efforts du pape sont dirigés à établir un lien plus étroit entre les évêques et lui et à créer une situation moins dangereuse pour l'unité de l'Église: ainsi, entre les évêques et le Vatican l'État reste absorbé. Des hommes d'État autorisés ont tenté de donner une direction différente à l'opinion publique, mais ils n'y ont pas réussi, et ce n'est que difficilement que M. Vakerle pourra y réussir en Hongrie. L'empire est formé de plusieurs parties si peu homogènes entre elles, que ce serait en hâter la dissolution que de vouloir déraciner certaines tendances.

Telle est la condition de l'Autriche vis-à-vis de la papauté. Sans l'influence de l'Allemagne, son alliance avec l'Italie n'aurait pas été possible,

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