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à l'autorité du gouvernement du czar ils auraient évité de plus grands maux. Ceux d'entre eux qui ne partageaient pas l'avis du pontife furent chassés de leurs diocèses. Le gouvernement a voulu. introduire la langue russe dans les églises de la Pologne pour la partie non liturgique, et le pape l'a aidé à effectuer son dessein. Le gouvernement a voulu sacrifier les évêques et les prêtres hostiles à la Russie, et le pape s'y est prêté de la meilleure grâce.

Or, les avantages obtenus par le Saint-Siège ont-ils été à la hauteur de ces sacrifices? En répondant à une pareille question je m'écarterais de mon sujet. Je dirai seulement qu'un courant d'intérêts s'est assurément établi, en vertu duquel le pape peut compter en certaines circonstances sur la Russie, tandis que le gouvernement moscovite se délivre par ce moyen des embarras que les catholiques, peuplant en nombre assez grand la partie européenne de l'empire, pourraient bien lui créer.

La Russie est donc intéressée, au moins jusqu'à un certain degré, à soutenir le Saint-Siège, et dans l'élection du pape futur, quoiqu'elle ne puisse pas y avoir une action directe, elle appuiera le triomphe du candidat qui répondra le mieux à ses visées. Les moyens d'exercer cette influence lui feront d'autant moins défaut, si le

grand empire du nord sera encore en rapports d'étroite amitié avec la France.

Un point noir pourrait surgir à propos de l'unification de l'Église en Orient, dans le cas où le pape confierait à la France la protection des Missions et des catholiques et lui donnerait le droit de s'ingérer de leurs affaires. Mais ceux qui redoutent ce péril, démontrent ne pas avoir une idée claire de la force qu'a dans ces contrées l'empire moscovite. L'avenir de l'Orient ne peut être qu'au bénéfice de la Russie, et au premier signal d'une conflagration européenne elle fera le grand pas. L'unité de l'Église ne peut rien. changer aux délibérations russes; elle ne peut que les aider. Sous ce rapport aucun différend n'est donc à craindre de nature à troubler les relations entre le gouvernement russe et le Vatican.

Après la Russie, la puissance que le Vatican a cherché avec le plus grand soin d'atteler à son char, c'est l'Angleterre. Le gouvernement anglais avait sur les bras la question de l'Irlande, dont l'agitation était alimentée par les fenians et les autres Irlandais réfugiés en Amérique. La question irlandaise a cela de spécial, qu'elle est menée exclusivement par les catholiques et que le clergé en est le principal moteur. Le Saint-Siège a été dans le temps presque entièrement favorable aux Irlandais, qu'il considérait comme des victimes

de la tyrannie anglaise, et l'Angleterre lui rendait la pareille n'y allant pas de main morte dans la répression.

Après l'inauguration de sa politique de transaction, il fallait au pape un moyen pour calmer l'irritation du gouvernement anglais. On chargea le cardinal Manning de faire comprendre au cabinet de Saint-James qu'on pouvait, dans l'intérêt commun, améliorer les relations entre le SaintSiège et l'Angleterre, le pape étant disposé à intervenir dans la question irlandaise pour apaiser les adversaires du gouvernement. Ce projet ne déplut point aux ministres de la reine Victoria, en considération des grands avantages que le Royaume-Uni pouvait en tirer. Sous le prétexte de traiter la question de la hiérarchie catholique dans l'Inde anglaise (où, disons-le en passant, les missions des jésuites se sont développées à merveille), le gouvernement anglais envoya à Rome M. Errington, chargé d'une mission spéciale qui dura longtemps.

Les propositions pour améliorer les conditions de l'Irlande étaient nombreuses, mais elles n'étaient pas toutes également acceptables par le clergé, ni par les catholiques. En vue de démontrer à la fois sa volonté et son pouvoir, le pape provoqua une réunion à Propaganda Fide de tous les évêques irlandais auxquels on posa des questions

importantes en matière de morale et de foi touchant à l'action exercée par la Ligue irlandaise et par d'autres associations, et tout d'abord par celle du boycottage.

Cette mesure n'ayant pas suffi à faire renoncer les catholiques irlandais, le clergé sourtout, å leur lutte contre le gouvernement anglais, le pape envoya en mission dans les endroits les plus agités de l'Irlande Mgr. Ignazio Persico, capucin, maintenant cardinal, à l'effet de persuader à ces fiers insulaires que leur système d'opposition était contraire aux préceptes de l'Église catholique. Cette tentative n'ayant pas abouti non plus, le pape eut recours à la Congregation du Saint-Office, dont il est préfet, provoquant un décret par lequel on excommuniait certains actes de la Ligue, actes qui furent ensuite la vraie cause de la division du parti irlandais et de la fin de la lutte parnelliste.

Le Vatican affronta ainsi le péril d'allumer une révolte des catholiques irlandais, mais s'apercevant qu'une partie de l'épiscopat de l'île refusait énergiquement de seconder les prescriptions du pontife, dont le but n'était que celui de réprimer et d'étouffer la cause patriotique du peuple irlandais, il se vit obligé de surseoir à ses poursuites. Ces efforts méritaient bien quelques considérations de part de l'Angleterre. En effet,

on fut sur le point d'établir une légation ou une ambassade anglaise près le Vatican, rêve ambitionné par Léon XIII qui espérait ainsi pouvoir relever la puissance morale de la papauté. Deux raisons pourtant s'opposèrent principalement à la réalisation de ce projet. En établissant des rapports officiels entre l'Angleterre et le Vatican on aurait signifié avoir l'intention de traiter les questions politiques et religieuses touchant à l'Irlande par l'entremise du gouvernement anglais; dans ce cas le pape aurait dû nommer un once à Londres ou un agent ecclésiastique chargé de le représenter. Or, la nomination d'un nonce près une cour protestante n'était pas compatible. Il aurait fallu envoyer le représentant pontifical à Dublin, mais cela aussi n'aurait pas mieux valu.

Ce n'est pas tout. L'épiscopat irlandais jouit d'une autonomie à l'usage américain et correspond avec le pape au moyen de la Propaganda Fide, dont le chef émane les actes juridictionnels. Si les rapports directs s'étaient établis entre le Vatican et le Royaume-Uni, l'autonomie de l'épiscopat aurait disparu et les évêques se seraient vus sous la juridiction d'un nonce, ou d'un internonce, servant d'intermédiaire entre eux et le pape. De cette façon on aurait soustrait l'Église irlandaise à la dépendance de la Propagande. Pour

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