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caractérisa tous les procédés de son Gouvernement, et l'on peut affirmer très-positivement que le mouvement populaire qui éclata durant cette époque, et l'arrestation du président du Sénat qui en fut la conséquence, furent en quelque sorte provoqués par la conduite des résidents des trois Cours eux-mêmes. En effet, ils avaient à peine reçu la nouvelle de l'insurrection de Varsovie, que pour adoucir sans doute l'irritation de l'esprit public, suite des événements de 1828, ils ordonnèrent au Sénat de réintégrer dans leurs places tous les fonctionnaires destitués à cette dernière époque. En reconnaissant ainsi qu'ils avaient abusé de leur pouvoir quand ils en avaient eu les moyens, ils trahirent maladroitement leur faiblesse, et rappelèrent pour ainsi dire au peuple ce qu'il avait laissé accomplir contre ses droits les plus évidents. L'arrestation du président du Sénat et sa résignation forcée furent donc la conséquence de la conduite des résidents, et non de la révolution polonaise. Les habitants de Cracovie n'en furent pas moins reconnus plus tard complices de cette révolution, et au mois de septembre 1831, leur ville et leur territoire furent occupés violemment par les troupes russes, sous les ordres du général Rudiger. Aucune nécessité, dictée par les besoins de la guerre, ne justifiait cette agression. Quelques soldats du corps polonais du général Rozycki s'étaient à la vérité réfugiés sur le territoire de la République, mais ils y avaient aussitôt déposé leurs armes en déclarant qu'ils traverseraient seulement le pays pour chercher un asile dans la Gallicie autrichienne. L'occupation de Cracovie fut donc dictée par quelque autre motif ou intention. Elle cessa trois mois après sur les instances de l'Autriche: toutefois, cette première violation de la neutralité du territoire de Cracovie eut pour la République des conséquences très-fâcheuses. Les troupes russes commirent des déprédations qui n'eussent pas pu être justifiées, quand même elles eussent été en guerre avec lui. Le trésor public dut en outre leur fournir,

pendant deux mois, tout ce dont elles avaient besoin, et une contribution forcée, accompagnée de toutes sortes d'exactions, fut levée sur le territoire de la République. Après l'évacuation, le Gouvernement de Cracovie réclama de la Russie des frais et dommages s'élevant à la somme de 300,000 florins; mais le résident de l'empereur Nicolas répondit, par sa note du 28 mai 1832, << que son souverain regardait les dommages essuyés << par les habitants de Cracovie, de la part des troupes russes, <«< comme une juste punition de leur complicité dans la révo<«<lution polonaise. » Ce fut là tout le paiement que Cracovie obtint1. Ainsi, outre tant d'autres droits que les trois Cours se sont arrogés à l'égard de la République de Cracovie, sans que les traités de Vienne en fissent mention, elles jouissent encore, à ce qu'il semble, de celui de lui imposer des amendes, de les lever de vive force, et cela sans même avoir préalablement promulgué l'arrêt qu'il leur plaît de porter dans leur propre

cause.

Mais il est temps d'aborder enfin l'époque la plus importante de l'histoire de la République de Cracovie, celle de sa réorga– nisation, annoncée en 1828, et effectuée en 1833. Le droit d'intervention, usurpé par les trois Cours protectrices, reçut alors par le fait la sanction la plus solennelle. Elles imposèrent, en 1833, une nouvelle Charte à la République; puis elles confièrent à leurs propres commissaires la tâche de la mettre en pratique et de la développer, c'est-à-dire de réorganiser Cracovie. Nous ignorons si, pour en agir ainsi, les trois Cours ont obtenu l'assentiment des autres puissances européennes ; mais, en supposant même que ces puissances eussent approuvé les modifications faites à la Charte en 1833, il nous semble hors de doute qu'elles ignorent la manière dont cette Charte se trouve développée et exécutée jusqu'à ce jour.

* Pièces justificatives, n° XI.

La Charte de 1815 subit, à cette époque, deux sortes de modifications; les unes tournèrent au profit du pays, les autres profit du à son préjudice. Il faut compter parmi les premières : 1o. l'établissement d'une cour des comptes, dont le pays avait effectivement besoin pour le contrôle des dépenses publiques; 2°. l'interdiction de la députation à la Chambre des représentants, à tous les fonctionnaires rétribués. Parmi les secondes, il faut ranger principalement : 1o. l'art. II de la nouvelle Charte, qui, en expliquant la manière dont la neutralité de la république de Cracovie doit être désormais entendue, restreint évidemment le sens de l'art. vi du traité de Vienne; 2o. une nouvelle condition ajoutée à l'éligibilité du président du Sénat, savoir: l'approbation des trois Cours protectrices; 3°. le terme de trois ans prescrit pour la convocation de l'Assemblée législative, convoquée auparavant tous les ans; 4°. une réduction du nombre des représentants; 5o. la privation pour l'Université de son droit à être représentée dans le Sénat; 6°. l'omission de l'article de l'ancienne Charte sur la liberté de la presse; 7°. une omission semblable de l'article qui garantissait au pays l'institution du jury. Ces modifications exceptées, la nouvelle Charte demeurait conforme aux principes de celle de 1815; aussi, malgré ses inconvénients, causa-t-elle aux habitants de Cracovie une surprise agréable, puisqu'ils avaient cru leurs libertés à jamais perdues. Mais leurs illusions, sous ce rapport, furent bientôt dissipées; ils ne tardèrent pas à se convaincre que mieux eût valu peut-être pour eux, et du moins pour leurs intérêts matériels, d'avoir vu leurs institutions franchement abrogées, d'avoir vu même leur pays incorporé dans un des états limitrophes, que de conserver en apparence quelques droits qu'ils ne devaient jamais exercer, et qui bientôt, par leur interprétation, devaient donner lieu à un ordre de choses dont l'histoire moderne ne présente aucun autre exemple.

En fait, la Charte de 1833 ne fut jamais exécutée. En la

violant ouvertement les premiers, les commissaires réorganisateurs en autorisèrent d'avance toutes les violations subséquentes. Ils s'éloignèrent de Cracovie, au mois d'octobre 1833, après un séjour de sept mois. Un acte avait témoigné cependant de leur sollicitude pour les relations commerciales de la République avec les pays limitrophes. Par une note qu'ils adressèrent au Sénat1, ils lui apprirent qu'au mépris de l'art. 111 du traité additionnel de Vienne, les Cours protectrices avaient décidé que désormais la ville de Podgorze cesserait d'user du privilége de ville libre de commerce: c'était là un dernier coup porté au commerce de la ville de Cracovie.

Quant à l'organisation du gouvernement du pays, la première mesure des commissaires fut de chasser de leurs siéges, sans nul égard, tous les sénateurs qu'ils avaient trouvés en place. L'expression « chasser » est strictement vraie; car, le 21 mars 1833, un simple commis du résident autrichien vint dans la salle du Sénat, pour intimer aux membres de ce corps l'ordre de se séparer, et de faire place, sans plus de formalités, aux magistrats nouvellement nommés par les commissaires. Le statut organique dont le nouveau Sénat fut doté se trouva aussi défectueux que l'ancien; le même esprit dirigea toutes les réformes. Nul respect pour les droits acquis, nul égard pour le bien public; l'intérêt de quelques individus, assez heureux pour gagner l'appui des nouveaux organisateurs, telle fut la règle de toutes leurs décisions.

Quant à l'Université, ses droits, non plus que l'interdiction qui pesait sur elle, ne semblèrent pas avoir occupé les commissaires organisateurs. Et quant à ses biens, situés sur le territoire des trois Cours, biens dont la propriété lui était jusque-là seulement contestée, le silence des nouveaux commissaires semble les lui avoir définitivement fait perdre. Un plan d'études inva

Pièces justificatives, n° XII.

riable fut adopté pour l'Université de Cracovie; sans égard pour le progrès des sciences, les professeurs y sont aujourd'hui astreints à enseigner d'après des ouvrages prescrits une fois pour toujours, et ces ouvrages sont d'une nature qui suffirait à elle seule pour éloigner de l'Université la jeunesse des pays limitrophes, quand même il lui serait permis de la fréquenter. Nous aurons suffisamment caractérisé ce plan d'études, quand nous dirons, par exemple, que la chaire de la littérature polonaise et celle de l'histoire de Pologne ont été abolies, dans un pays dont la Constitution de 1833 prescrit (article XXIII) l'usage exclusif de la langue polonaise dans toutes les affaires publiques, et dans cette dernière Université polonaise, restée debout encore. A la tête d'une institution ainsi organisée, on a placé un soi-disant commissaire du Gouvernement, qui cependant ne relève pas du Gouvernement de la ville libre, c'est-à-dire du Sénat, et n'est pas nommé par lui. Les commissaires organisateurs ont confié cette place à un fonctionnaire russe.

La question de la dotation de l'Université de Cracovie n'ayant depuis subi aucune modification, nous croyons nécessaire de revenir sur ce sujet avec plus d'étendue. Nous avons indiqué plus haut les démarches faites par le Sénat, pendant les trois premières années de l'existence de la République, pour revendiquer les biens de l'Université situés dans le domaine des trois puissances protectrices. Le 6 juin 1818, le commissaire plénipotentiaire russe avait déclaré en séance de la Commission organisatrice que l'Empereur, son maître, était prêt à restituer à l'Université de Cracovie les terres et les capitaux qu'elle avait possédés dans le royaume de Pologne, pourvu que les cours d'Autriche et de Prusse en fissent autant. Cette déclaration, quoique conditionnelle, autorisait à espérer que l'Université

' Voir les procès-verbaux de la Commission organisatrice, et nommément la déclaration de M. Mionczynski, commissaire 'russe, basée sur la décision de l'Empereur, du, avril 1818.

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