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ment solennel et formel de concourir, soit comme signataires, soit comme accédantes, au maintien et à l'accomplissement de ce traité.

Le congrès ayant ainsi réglé le sort de Cracovie, confia la mise à exécution de ces stipulations aux trois puissances voisines du nouvel état, l'Autriche, la Prusse et la Russie, qui furent qualifiées hautes cours protectrices. La nature de ce titre, comme celui de la mission des trois cours implique de leur part les devoirs et la sollicitude de mandataires du congrès, et nullement l'attitude et l'omnipotence de législateurs.

L'idée de protection implique l'idée d'une garantie contre des dangers menaçants et supérieurs aux propres moyens du protégé ; mais protection n'a jamais été synonyme de tutelle, et un protecteur politique qui pourrait changer les institutions, destituer les autorités, et opposer son véto à tout ce qui lui déplairait de la part de son protégé, état réputé libre et indépendant, serait par là même tout simplement son souverain.

Sans insister davantage sur la signification et la portée du droit de protection, nous allons voir comment ce droit a été interprété et mis à profit par les puissances à l'égard de Cra

covie.

Les trois cours commencèrent par nommer, d'après la teneur de l'article viii du traité additionnel du 3 mai, une commission chargée d'introduire dans ce pays les nouvelles formes constitutionnelles, d'organiser, pour cette seule et unique fois, son administration, enfin, de prendre toutes les mesures que le bien public pourrait nécessiter. Pour s'acquitter dignement d'une pareille tâche, il aurait été indispensable de connaître et de peser la position, les ressources et les besoins du pays, comme aussi les mœurs, les habitudes et les vœux de ses habitants. L'œuvre de la Commission, achevée de 1815 à 1818, fut loin de répondre à ces conditions essentielles. En effet, et pour nous restreindre à l'examen des deux objets les plus essentiels à l'avenir et à la prospérité de Cracovie, savoir : 1°. ses relations

commerciales avec les puissances limitrophes, 2o. son Université; nous mettrons en parallèle ce que les justes exigences du pays auraient commandé sous ces deux rapports et ce que la commission de trois cours omit de faire ou organisa au plus grand détriment de la République.

RELATIONS COMMERCIALES.

L'état libre de Cracovie possède un sol fertile, de riches mines de charbon de terre et de zinc, de belles carrières de marbre, ainsi que beaucoup d'autres produits bruts qui ne demanderaient qu'à être exploités habilement, pour constituer des sources fécondes de richesse nationale. La ville de Cracovie, située sur un fleuve navigable, au point central de l'Europe, pourrait devenir aisément un entrepôt important pour le commerce intérieur et extérieur. L'article VIII du traité additionnel de Vienne, en défendant à la République d'établir aucun octroi ni droit de douane, l'a destinée à être un vaste port franc commercial, port franc qui, par son étendue de 19 milles ou 76 lieues carrées, par sa position géographique, plus rapprochée de l'est et du nord de l'Europe que les places de foires les plus renommées de l'Allemagne, par les priviléges enfin de sa constitution politique, aurait pu avec le temps rivaliser avec Leipsick et Francfort. Sous le rapport de ses propres produits manufacturés, l'avenir de Cracovie semblait encore plus avantageux. En effet, l'article x du traité additionnel de 1815 faisait participer les habitants de Cracovie à tous les avantages octroyés sous le rapport du commerce, de la navigation, de l'amnistie et des relations réciproques à ceux des sujets polonais de l'ancien duché de Varsovie qui passèrent sous la domination de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche, en vertu de deux traités séparés de la même date. Ces avantages, notamment sous le rapport du commerce, étaient spécifiés dans les

articles XXVIII et XXIX des deux traités. Il y est dit expressément: 1°. Que le commerce de transit aura liberté pleine et entière; 2°. Qu'une commission sera immédiatement nommée pour la révision du tarif des droits d'entrée et de sortie, et que ces droits ne pourront jamais être plus forts d'une part que de l'autre. Les relations commerciales, quant à la sortie et à l'entrée des produits indigènes de toutes les provinces de l'ancien duché de Varsovie, se trouvèrent donc basées sur une stricte réciprocité; or, les habitants de Cracovie, étant appelés à profiter de ces mêmes avantages, comme nous l'avons dit plus haut, et leur Gouvernement ne pouvant, aux termes formels du traité additionnel (art. vIII), imposer aucune espèce de droits sur les produits des puissances limitrophes importés sur son territoire, il en résultait, pour les Cracoviens, la même franchise à l'égard de leurs propres produits. Ces produits devaient être munis d'un certificat d'origine 3, et cette formalité accomplie, devaient trouver un franc débit dans toute l'étendue de la Prusse, de la Russie et de l'Autriche.

En considérant cet immense marché, il est permis d'affirmer qu'aucun pays du monde n'eût vu son industrie placée dans des conditions plus favorables que Cracovie, si les clauses en question eussent été observées dans toute leur teneur. Mais, hélas ! la Commission organisatrice ne fit pas une seule démarche pour l'exécution de l'article x du traité additionnel dont nous venons

Les traités en question furent signés à Vienne le même jour, le 3 mai 1815; le premier entre l'Autriche et la Russie, le second entre la Russie et la Prusse.

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« Les droits à percevoir à cet égard, seront les plus modérés possibles, et tels qu'ils existent pour les marchands du pays ou les sujets les plus favorisés. » Article xxviii du traité séparé entre l'Autriche et la Russie.

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« Pour obvier à ce que des étrangers ne profitent des arrangements pris en faveur des provinces citées, il est arrêté que tous les articles, produits de ces derniers, qui passeront d'un gouvernement dans l'autre, seront accompagnés d'un certificat d'origine, sans quoi ils n'entreront pas. » Article xxvIII du traité séparé entre la Prusse et la Russie.

de dépeindre toute l'importance. Le Gouvernement de Cracovie ne fut même pas informé si, en vertu de l'article xxix de ce traité, une commission avait été nommée ou non pour la révision des tarifs réciproques et des règlements de douane. Les puissances limitrophes, au mépris des stipulations des traités, ne se sont jamais départies à l'égard de Cracovie du système prohibitif qu'elles observent sur leurs autres frontières. Le territoire de Cracovie a toujours été considéré par elles comme territoire étranger, et non-seulement l'exécution de l'article x fut refusée aux habitants de Cracovie par rapport à la sortic de leurs produits indigènes, mais on poussa plus loin encore le mépris des intentions qui l'avaient dicté. Il avait été stipulé expressément, que dans le but de faciliter la subsistance de la ville et de son territoire (dont les récoltes ne suffisent jamais à la consommation), les articles de première nécessité, tels que bois de chauffage, charbon, bétail, blé et légumes, pourraient entrer à Cracovie sans nulle entrave; cependant le Gouvernement autrichien n'a cessé de percevoir sur ces articles des droits de sortie fort élevés. Comme Cracovie tire son bétail et son bois de chauffage, pour la plus grande partie, de l'Autriche, la Chambre des Représentants, convoquée en février 1817, adressa à cet effet, mais vainement, ses réclamations aux monarques protecteurs. Ce fut à cette occasion que le commissaire autrichien comte de Sweerts-Spork communiqua aux autorités de Cracovie et à la Chambre des représentants une réponse de l'administration fiscale de la Gallicie, où on lit: «Que le Gouvernement autrichien croit se conformer aux clauses de l'art. x du traité en permettant à la République de Cracovie d'acheter à Wielitschka le sel nécessaire pour sa consommation, mais qu'il ne considère nullement le bétail, les légumes, le blé, etc., comme articles de première nécessité. » Tout cela se passait sous les yeux mêmes de la Commission organisatrice et pendant sa présence à Cracovie; et cependant il eût été de son devoir

de faire valoir et exécuter les stipulations du congrès de Vienne en faveur du pays!

A la vérité, l'instruction donnée à la Commission par les trois puissances protectrices est demeurée inconnue; mais le caractère des monarques au nom desquels elle était appelée à fonctionner, l'alliance si récemment conclue entre eux, et leur parole donnée en garantie à la face de l'Europe, ne permettent pas de supposer que cette instruction ait été si contraire à la teneur des actes officiels dont l'exécution leur fut confiée. Quoi qu'il en soit, la complète inexécution du traité additionnel en ce qui a rapport aux relations commerciales de Cracovie avec les puissances limitrophes, a été tellement préjudiciable aux droits et aux intérêts vitaux du nouvel état, que ce seul fait jette déjà un jour fâcheux sur les intentions des arbitres de sa destinée.

L'UNIVERSITÉ.

L'article xv du traité additionnel confirmait les priviléges et garantissait l'existence de l'Université de Cracovie; il lui conservait la propriété des biens fonds et capitaux qu'elle possédait à cette époque; il accordait en outre à cette institution le privilége d'être fréquentée par la jeunesse des provinces limitrophes, après qu'elle aurait été organisée conformément aux vues des trois Cours protectrices. Cette antique Université, monument de la munificence des Rois de Pologne, possédait, depuis sa fondation au XIVe siècle, de nombreux priviléges obtenus à diverses époques'. Ses propriétés, jadis énormes, étaient en-

'Les priviléges de l'Université de Cracovie étaient de trois sortes : 1o. priviléges de l'institution elle-même. 2o. Priviléges du recteur. 3°. Priviléges des étudiants. Les premiers étaient au nombre de 15; les seconds de 9; les troisièmes de 6. Aucun de ces priviléges conservés à l'Université par le traité de Vienne ne fut maintenu lors de la rédaction du nouveau statut de l'Université, excepté un seul qui lui confère le titre d'Université Jagellonienne.

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