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à profusion un petit écrit où on lisait : « O confiance <<< en cet aventurier de carrefour (Napoléon III) cher«< chant d'abord à Londres sa pitance dans l'immonde <«<exécution des basses-œuvres policières, couvert de << boue à Boulogne et de sang à Paris; aussi perdu de <«< dettes que de crimes, et réduit à risquer Toulon << pour éviter Clichy... Sur ce siège souillé par Louis<< Napoléon, Henri de France ne pouvait plus s'asseoir, <«<et le tabouret d'Eugénie eût brûlé les pieds de << Marie-Thérèse. » L'organe le plus accrédité du royalisme, l'Union, s'exprimait ainsi : « L'état actuel << nous commande de parler au pays avec une entière << franchise, de ne pas l'égarer par des réticences et « des sous-entendus qui troublent sa conscience, de << ne lui point fournir un prétexte de confondre les << principes d'ordre social et de droit monarchique «avec les artifices et les mensonges des régimes d'aven<«<ture. » A ces aménités les bonapartistes répondaient en déclarant, par l'organe du Pays, qu' « à aucun prix <«< ils ne voteraient pour des royalistes. Si quelqu'un, << ajoutait ce journal, réclamait les voix de nos amis, <«< au nom de l'union conservatrice, pour de tels can<«<didats, qu'ils jettent à la figure de ce demandeur <<< audacieux le tabouret d'Eugénie qui eût brûlé les << pieds de Marie-Thérèse. »

Les élections sénatoriales eurent lieu le 5 janvier, sous l'œil impartial du ministère Dufaure-de Marcère qui s'était scrupuleusement abstenu de toute ingérence dans la lutte, mais dont les sympathies connues étaient pour les candidats républicains. Le scrutin fut pour ces derniers un triomphe.

Quarante-sept sénateurs conservateurs sur cinquantesix se représentaient; quatorze seulement furent réélus : MM. le général d'Andigné, baron Le Guay, Joubert, Lacave-Laplagne, Batbie, de Bondy, Clément, de La

reinty, général Espivent de la Villeboisnet, de la Vrignais, de Kerdrel, de la Monneraye, de Ravignan, de Gavardie.

Deux nouveaux sénateurs conservateurs furent élus ; MM. Halgan (Vendée) et Fresneau (Morbihan).

Seize sénateurs républicains sur dix-huit se représentaient. Ils furent réélus. C'était MM. Arbel, DuboysFresney, Bernard, Varroy, Tamisier, Thurel, général Pélissier, Robert-Dehault, Bozérian, Dauphinot, Dumesnil, Edmond de Lafayette, colonel d'Andlau, Lucet, Michal-Ladichère, Eymard-Duvernay.

Quatorze députés républicains sollicitaient les suffrages des électeurs sénatoriaux.

Treize furent élus. MM. de Rémusat (Haute-Garonne), de Lur-Saluces (Gironde), Roger-Marvaise (Ille-etVilaine), Guinot (Indre-et-Loire), Dufay (Loir-et-Cher), Chevassieu, Cherpin (Loire), Robert de Massy (Loiret), Dupouy (Gironde), Faye (Lot-et-Garonne), Roussel (Lozère), Leblond (Marne), Merlin (Nord).

De plus trente-six nouveaux sénateurs républicains (qui n'étaient pas auparavant députés) furent élus : MM. Hébrard, docteur Camparan (Haute-Garonne), Callen, Issartier (Gironde), Bazille, Combescure, Griffe (Hérault), Jouin de Bastard (Ille-et-Vilaine), Fournier (Indre-et-Loire), Ronjat (Isère), Vissaguet (HauteLoire). Roques, Delord (Lot), Pons (Lot-et-Garonne), de Rozières (Lozère), Dufresne, Labiche, Lenoël (Manche), Denis (Mayenne), Vivenot, Honoré (Meuse), Tenaille-Saligny, Massé (Nièvre), général Faidherbe, Dutilleul, Massiet du Biest, Fournier (Nord), Cuvinot, Célestin-Lagache (Oise), Laborde (Ariège), Barne (Bouches-du-Rhône), Gazagne (Gard), Guyot-Lavaline (Puy-de-Dôme), Demolle et Mathey (Saône-et-Loire).

En somme, soixante-six sénateurs républicains entraient au Sénat assurant aux gauches réunies une

majorité de quarante à cinquante voix '. Sur quatrevingt-deux élections, les partis de droite n'avaient obtenu que seize sièges. Les représentants les plus notables des idées monarchiques s'étaient vus évincés dans certains départements qui passaient pour les plus hostiles à la République. Le maréchal Canrobert, par exemple, avait échoué dans le Lot.

Le scrutin présentait, en outre, ceci de particulier que, plus que toutes les autres manifestations élec torales antérieures, il attestait l'effondrement du parti bonapartiste. Les légitimistes avaient obtenu un succès relatif. Sur les seize candidatures que la coalition des droites était parvenue à faire accepter par les électeurs, quatorze environ étaient des candidatures royalistes.

Si la nouvelle majorité sénatoriale était nettement républicaine, elle était aussi modérée. La presse de droite le reconnaissait elle-même. « Les hommes

qui composent la nouvelle majorité, écrivait le Mo« niteur Universel, ne sont pas des sectaires. Un grand << nombre d'entre eux ont servi les gouvernements an<«<térieurs. Ce sont des républicains de raison, des ré<< publicains du lendemain, beaucoup plus que des ré«< publicains de parti pris. Nous ne croyons donc pas «<< que les intérêts conservateurs aient lieu de s'alar<«<< mer du résultat des élections sénatoriales. »

Le nouveau Sénat donnait bientôt d'ailleurs une preuve de ses sentiments de modération en choisissant pour son président M. Martel, à la place de M. d'Audiffret-Pasquier. La réunion plénière des sénateurs de gauche applaudissait unanimement un discours de M. Calmon qui parlait en termes des plus sympathiques

1. Nous donnons aux Pièces justificatives, pièce A, le tableau des élections et la liste complète du Sénat renouvelé.

du ministère Dufaure et déclarait que ce gouvernement n'ayant plus devant lui une majorité malveillante, ayant conquis la liberté de ses allures, pourrait désormais avoir « cette fermeté de direction et d'ac«<tion qui doivent être le propre d'un cabinet solidaire <«<et responsable. » L'homogénéité du ministère semblait d'ailleurs s'affirmer par la démission du général Borel, ministre de la guerre, qui était aussitôt remplacé par le général Gresley. Bref, le pays semblait heureux et confiant, délivré qu'il était de la menace des conflits parlementaires qui avaient si souvent troublé les dernières années; et l'on devait croire que la France allait suivre sans hésitation les avis de la plupart des journaux anglais qui, tout en félicitant le parti républicain de son triomphe, lui recommandaient la modération dans la victoire, et semblaient un peu craindre de voir compromettre par des mesures hâtives l'universelle impression d'apaisement.

Pourtant, il le faut reconnaître, la Chambre des députés, délivrée de l'hostilité d'un Sénat inféodé aux idées illibérales, ne parut pas vouloir inaugurer d'emblée ce programme de sagesse. Quoique les élections sénatoriales eussent été une conséquence et une approbation de la politique de M. Dufaure, c'est avec une froideur voisine de la défiance que les gauches impatientes attendaient une déclaration ministérielle relative aux modifications qui devaient naturellement. être apportées à la situation politique générale. L'extrême gauche, voulant s'appliquer le bénéfice de la victoire, prétendait même que l'initiative de ces modifications appartenait à l'assemblée et non au gouvernement. Ces vues trouvaient des partisans dans les rangs même de la gauche modérée. Sans mauvaise volonté, par simple ignorance et inexpérience, et parce que dix-huit années d'empire avaient oblitéré chez

nous les traditions de la liberté, un grand nombre se faisaient du gouvernement une idée séduisante par sa simplicité, mais absolument fausse et funeste. Obéissant à leur insu aux instincts géométriques qui sont propres à notre nation, et aux traditions révolutionnaires que nous a léguées le siècle dernier, ils concevaient la Chambre des députés comme une Convention, et le ministère comme un directoire exécutif n'ayant d'autre fonction que de mettre en vigueur les lois faites et les mesures arrêtées par le corps souverain. La plupart admettaient toutefois que le programme nouveau devait être élaboré de concert avec le cabinet; et les délégués des gauches furent chargés d'aller conférer avec M. Dufaure et de lui porter l'opinion des divers groupes sur les questions à l'ordre du jour et en particulier sur les modifications à apporter dans le personnel administratif et judiciaire et sur l'amnistie réclamée par un grand nombre de députés républicains pour les condamnés de la Commune.

Le 16 janvier M. Dufaure au Sénat, M. de Marcère à la Chambre donnèrent lecture de la longue déclaration ministérielle dont voici le texte.

Messieurs les députés, depuis la clôture de votre dernière session, un grand acte national s'est accompli : le Sénat a été partiellement renouvelé à l'époque et dans les conditions réglées par les lois constitutionnelles. Cette élection, qui devait être une libre manifestation des sentiments actuels du pays et qui pouvait modifier l'esprit politique de l'un des pouvoirs publics, s'est faite dans le plus grand calme, par le concours empressé de la presque unanimité des électeurs appelés par la loi, et avec la liberté de vote la plus absolue; elle a été une nouvelle et éclatante adhésion à la Constitution républicaine en vertu de laquelle le corps électoral s'est réuni.

Les noms des sénateurs élus, leurs antécédents et les professions de foi qu'ils ont livrées à l'appréciation réflé

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