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socialistes Fritzshe et Hasselman étaient de ceux auxquels, en vertu de la loi récemment votée, le séjour de Berlin était interdit. Ils ne s'étaient pas moins rendus dans cette ville pour assister à la reprise des travaux du Reichstag. Une demande en autorisation de poursuites contre eux fut présentée à l'Assemblée qui la refusa en déclarant : « n'avoir pas attaché à l'ar«<ticle 28 de la loi contre les socialistes le sens qu'un « de ses membres pût être empêché par ordonnance << de police de prendre part à ses délibérations. >>

Un projet de loi plus restrictif encore des libertés parlementaires avait été soumis par M. de Bismark au Conseil fédéral de l'Empire. Ce projet entendait conférer à une Commission composée du président et des vice-présidents du Reichstag et d'un certain nombre de députés, le droit de prononcer des peines disciplinaires contre les membres qui se seraient rendus coupables de discours jugés séditieux. Cette commission aurait pu, en outre, supprimer dans le compte rendu des discours des passages répréhensibles ou dangereux. C'eût été là, non pas une simple commission de discipline, mais, une commission de censure; son action, destinée en vertu même de la force des choses, à s'exercer toujours après les séances, se fût fait sentir hors de l'enceinte parlementaire en atteignant la publicité des débats. Ce projet, baptisé du nom de loi-muselière, provoqua dans tous les états confédérés de vives protestations. Les Landtags de Bavière, de Wurtemberg, de Prusse exprimèrent successivement, par des ordres du jour motivés, la confiance que le Parlement de l'Empire saurait défendre, lorsque la loi lui serait soumise, la liberté de la tribune et les droits constitutionnels mis en péril par ce projet. La loi-muselière fut en effet enterrée par le Reichstag dès la première délibération. Une autre discussion, curieuse en ce qu'elle jetait un

certain jour sur les sentiments de l'Allemagne à l'égard de l'Alsace-Lorraine et sur ceux des provinces annexées elles-mêmes, s'était déroulée devant le Reichstag; M. Schneegans, député autonomiste de Saverne, avait déposé une motion ainsi conçue :

<< Plaise au Reichstag d'inviter le chancelier de l'em<< pire à faire en sorte que l'Alsace-Lorraine reçoive << un gouvernement autonome résidant dans le pays

*«<< même. >>

• M. Schneegans, au nom des députés autonomistes, << se plaçait sincèrement sur le terrain du traité de « Francfort qui devait être le point de départ, accepté << sans arrière-pensée, du développement normal de « l'Alsace-Lorraine. » En réponse à ces avances, M.de Bismark déclarait que le discours du député de Saverne avait fait sur lui «< une bonne impression. »>

Je n'éprouve plus, dit le chancelier, le même amour juvénile pour l'Alsace-Lorraine qu'en 1870; je ne nourris plus à son égard les mêmes espérances. La première nielle qui soit tombée sur ces espérances, ç'a été la première élection faite dans la province, et la protestation qui a été, à la suite de cette élection, lue à la tribune du Reichstag par M. Teutsch. Cette protestation était inspirée par des sentiments qui continuent à se manifester dans les discours des représentants ecclésiastiques de la province.

Néanmoins, il ne faut pas faire un crime aux Alsaciens de propos qu'ils ont tenus peut-être il y a huit ans. Quand il s'agit de faits pareils dans un pays qui, pendant deux cents ans et plus a appartenu à une autre domination, je les envisage de la même façon que j'envisage la situation d'un officier hanovrien qui s'est bravement battu à Langenzalza. Je l'estime pour cela, et je suis fort peu disposé à lui rappeler que ce fait est inconciliable avec sa position actuelle. Il faut simplement se borner à souhaiter que ces propos, nés de l'excitation d'une période passée, ne se reproduisent pas dans une période subséquente, comme cela a eu lieu lors des dernières élections en Alsace.

« Je suis convaincu que notre bonne volonté, bien que j'aie perdu la confiance que j'avais en 1871, parviendra à nous amener de plus en plus la population jusqu'ici récalcitrante. Je suis convaincu qu'il ne faut pas trop peser sur elle ni par le moyen de notre bureaucratie ni par le moyen de nos corps délibérants. Le germe allemand, quoique couvert par le brillant et séculaire vernis français, existe encore; et il se développera si nous réussissons à nous guérir de notre défaut de vouloir trop gouverner, si nous laissons pousser la plante, au lieu de la couper et de la modeler suivant nos désirs.

« Je désire que le Reichstag examine de plus près les idées que je viens d'énoncer et qui sont encore bien incomplètes. Moi, de mon côté, je suis prêt à les développer et à les expliquer. >>

La motion Schneegans ne reçut d'ailleurs aucune solution nette et resta à l'état de vœu platonique, de question à l'étude.

L'ex-roi de Hanovre étant mort à Paris, son fils le duc de Cumberland, avait, dans une lettre adressée aux souverains, réservé ses droits au trône hanovrien. De plus, ce prince ayant épousé la fille du roi de Danemark, une députation de seigneurs hanovriens s'était rendue à Copenhague, porteurs d'une adresse où ils affirmaient que la nouvelle du mariage du duc de Cumberland << était venue frapper le cœur oppressé du peuple hanovrien comme un rayon de soleil perçant les sombres nuées de l'orage. » Ils ajoutaient que « durant cette période de séparation violente, le peuple restait plus attaché que jamais au représentant et au descendant de la maison souveraine de Hanovre. >> Ils saluaient l'uion du prince royal avec la princesse danoise << comme le symbole et le présage de temps meilleurs. » Cette députation hanovrienne avait été reçue par la cour de Danemark avec toutes les marques de la plus vive sympathie.

Toutes ces manifestations avaient naturellement irrité le gouvernement de Berlin. Aussi ne fut-on guère étonné d'apprendre que, d'un commun accord entre l'Allemagne et l'Autriche, l'article 5 du traité de Prague, cet article illusoire et inexécuté depuis 13 ans, qui réservait aux populations du Schleswig le droit de se prononcer par voie plébiscitaire sur leur annexion à l'empire germanique, que cet article 5 disons-nous, était définitivement abrogé. Cette suppression, à laquelle l'Autriche avait consenti, sans doute par suite d'engagements secrets pris au Congrès de Berlin, était une réponse aux manifestations danoises et hanovriennes.

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En Belgique, le nouveau ministère libéral inaugurait la campagne parlementaire par le dépôt d'un projet de loi sur l'instruction primaire destinée à remplacer la loi de 1842. Le point capital du projet était la solution qu'il proposait quant à la question religieuse. Le gouvernement se trouvait en présence de deux systèmes absolus l'établissement de l'école laïque, avec exclusion, dans l'école, de tout enseignement religieux; le maintien du régime existant, qui donnait au clergé catholique la haute main sur l'école communale. Il se plaçait entre les deux. L'enseignement religieux serait donné dans les écoles, mais il serait «< laissé aux soins des familles et des ministres des divers cultes; un local, dans l'école, serait mis à la disposition des ministres des cultes pour y donner, soit avant, soit après l'heure des classes, l'enseignement religieux aux enfants fréquentant l'école. » En même temps, l'inspection ecclésiastique était supprimée pour les écoles communales, et le contrôle des livres d'enseignement confié exclusivement à un conseil de perfectionnement, dont les décisions devraient, pour être exécutoires, être revêtues de l'approbation du gouvernement. Enfin, l'autorisation « d'adopter» des écoles était retirée,

pour l'avenir, aux administrations communales. Le projet et la politique tout entière du cabinet libéral étaient attaqués avec la dernière violence par la presse religieuse et par le clergé belge, à la tête duquel se trouvaient les prélats connus comme les plus fougueux champions de l'ultramontanisme en Europe. C'étaient assurément ces virulents assauts qui engageaient le cabinet de Bruxelles à soutenir devant les Chambres le maintien provisoire de la légation belge près du Saint-Siège. La situation du parti libéral était délicate sur ce point. Tant que le parti libéral avait été dans l'opposition, il avait réclamé, M. Frère Orban en tête, la suppression de cette légation; et maintenant M. Frère Orban, devenu ministre des affaires étrangères, demandait au contraire à la majorité libérale le maintien du statu quo. Il posait en principe que la séparation de l'Etat et des Églises étant établie par la Constitution, l'État belge ne pouvait conclure aucun traité, signer aucun concordat, avec l'une quelconque de ces Églises. Il n'y avait donc pas lieu à négociations diplomatiques formelles avec le chef de l'Église catholique. Mais des pourparlers, des échanges de vues ayant eu lieu entre les deux cours, le ministre des affaires étrangères était d'avis qu'il y avait intérêt pour la Belgique à les continuer. L'exacte vérité était que le parti libéral cherchait au Vatican un appui contre les prétentions exagérées de l'épiscopat belge. S'il était arrivé aux affaires, sous le pontificat de Pie IX, il n'aurait probablement pas hésité à supprimer la légation; mais il augurait mieux de l'esprit conciliant de Léon XIII.

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