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reproches. Il éveille le garçon qui luy donnoit la AN. 484. main, il va en diligence à la bafilique de Faufte, & aprés avoir prié avec beaucoup de larmes, il s'adresfe à un foûdiacre nommé Peregrin, le priant d'avertir l'évêque, qu'il avoit un fecret à lui dire. L'évêque dit qu'on le fit entrer. Le peuple chantoit déja par toute l'églife les prieres nocturnes. L'aveugle déclare à l'évêque sa vision, & lui dit : Je ne vous quitterai point, que vous ne m'ayez rendu la vûë, comme le Seigneur vous l'a ordonné. Eugene lui dit : Retirezvous, mon frere, je fuis un pecheur & le dernier des hommes, puifque Dieu m'a refervé à ces malheureux tems. L'aveugle lui tenant les genoux, repetoit la même priere. Eugene voyant fa foi, & proffé par l'heure de l'Office, marche avec lui vers les fonts accompagné de fon clergé. C'étoit la coûtume d'Afrique, comme de quelques autres églifes, de donner à l'Epiphanie le baptême folemnel, comme à Pâques & à la Pentecôte.

L'évêque Eugene étant arrivé aux fonts, fe mit à genoux, & avec de gands gemiffemens fit la benediction de l'eau,& ayant achevé la priere, il fe leva,&dit à l'aveugle: Je vous ai déja dit, mon frere Felix, que je fuis un homme pecheur, mais je prie le Seigneur,qui a daigné vous vifiter, de vous donner felon vôtre foi, & de vous ouvrir les yeux. En même tems il fit fur fes yeux le figne de la croix, & l'aveugle recouvra la vûë. L'évêque le retint auprés de lui, jufques à ce que tous fuffent baptifez, de peur que le peuple ne l'écrafât en s'empreffant pour le voir ; enfuite on fit connoître le miracle à toute l'églife. Felix accompagna l'évêque, marchant à l'autel, & fit fon offrande en action de

VI. Conference

rompuë.

3.17.

AN. 484. graces. L'évêque l'ayant reçûë la mit sur l'autel, & le peuple témoigna la joye par de grands cris. Auffitôt on en porta la nouvelle au roi, qui fit prendre Felix pour fçavoir de lui la verité de la chofe. Il raconta tout comme il s'étoit paffé. Les évêques des Ariens dfoient, qu'Eugene l'avoit fait par malefice : & s'ils avoient pû, ils auroient fait mourir Felix: car il étoit fi connu, qu'on ne pouvoit cacher le miracle. Le premier de Février, jour marqué pour la conference, étant proche, les évêques vinrent non feulement de toute l'Afrique, mais des îles sujettes aux Vandales. Ils étoient accablez de douleur. On garda le filence pendant plufieurs jours, jufqu'à ce qu'Huneric cût feparé les plus habiles, pour les faire mourir fur des calomnies. Il fit brûler un des plus fçavans nommé Letus, aprés l'avoir tenu long-tems en prifon: penfant intimider les autres par fon exemple. Enfin, on vint à la conference, dans le lieu marqué par les Ariens ; les catholiques choifirent dix d'entre eux, qui devoient repondre pour tous: afin d'ôter aux Ariens le pretexte de dire, qu'ils les avoient accablez par leur multitude. Cyrile étoit affis avec les fiens, en un lieu élevé fur un trône magnifique : au licu que les catholiques étoient debout. Ils dirent : On doit garder l'égalité dans une conference, & il doit y avoir des commiffaires pour examiner la verité. Qui fera icy cette fonction? Un notaire du roi répondit: Le patriarche Cyrile a dit...Les Catholiques l'interrompirent, & demanderent par quelle autorité Cyrile prenoit ce titre. Alors les Ariens commen. cerent à faire du bruit, & à calomnier les Catholiques; & parce qu'ils avoient demandé, que s'il n'y

avoit point de commiffaires, du moins les plus fages AN. 484. du peuple fuffent fpectateurs : on ordonna de donner cent coups de bâton à tous les Catholiques qui étoient préfens. Alors l'évêque Eugene s'écria: Que Dieu voye la violence qu'on nous fait, & la perfecu tion que nous fouffrons. Les évêques Catholiques dirent à Cyrile: Faites vôtre propofition. Il répondit: Jene fçai pas le latin. Son pretexte étoit que les Vandales, comme les autres barbares parloient la langue Tudefque. Les Evêques Catholiques répondirent: Nous fçavons certainement, que vous avez toûjours parlé latin: ainfi vous ne devez pas apporter cette excufe: vu principalement que c'est vous qui avez allumé ce feu. Comme il vit les évêques Catholiques mieux preparez au combat qu'il ne penfoit: il employa diverfes chicanes, voulant absolument éviter la conference. Les Catholiques l'avoient bien prevû; & avoient écrit une profeffion de foi, qu'ils firent lire publiquement.

Elle est fort ample, & contient d'abord l'explication Victor. lib.3. de l'unité de fubftance en Dieu avec la Trinité de perfonnés. La neceffité d'employer le mot grec homooufios. Enfuite on prouve par l'écriture,que le fils eft de même fubftance que le pere, qu'ils font égaux,qu'il y a deux natures en J. C. comment fa generation eft inexpliquable, comment le pere non engendré, & le fils engendré font de même fubftance, comment la substance de Dieu eft indivisible. Que le faint Efprit est consubstanciel au pere & au fils, & que fous le feul nom de Dieu les trois perfonnes font comprises. Les évêques s'étendent particulierement fur la divinité du faint Esprit, & concluent en ces mots: Telle

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eft nôtre foi appuyée fur l'autorité des évangeliftes & des apôtres, & fondée fur la focieté de toutes les églifes Catholiques du monde : dans laquelle par la grace de Dieu tout-puiffant, nous efperons perfeverer jufques à la fin de cette vie. Ce memoire a été envoyé le douzième des calendes de May par Janvier de Zattare & Villatique de Cafes-moyenes, évêques de Numidie, Boniface de Foratiane & Boniface de Gratiane, évêques de la province Byzacene. La date répond au vingtiéme d'Avril 484.

A la lecture de cette confeffion de foi, les Ariens s'écrierent, se plaignant que leurs adverfaires priffent le nom de Catholiques; & auffi-tôt ils rapporterent au roi, qu'ils avoient fait du bruit,pour éviter la conference. Alors il envoya fecretement par toutes les provinces un decret, qu'il tenoit tout prêt: en vertu duquel, tandis que les évêques étoient à Carthage, il fit fermer en un jour toutes les églifes d'Afrique, & donna à fes évêques tous les biens des églifes & des évêques Catholiques: appliquant aux Catholiques les peines portées contre les heretiques,par les loix des empereurs : Dans cet édit Huneric dit : que les évêques Homooufiens étant arrivez à Carthage pour la conference, aprés y avoir demeuré du tems, ont encore obtenu un délai de quelques jours. Quand ils ont dit, ajoûte t il, qu'ils étoient prêts au combat, nos évêques leur ont propofé qu'ils prouvaffent par l'écriture l'Homoodfion : ou du moins qu'ils condamnaffent, ce que plus de mille évêques affemblez aux conciles de Rimini & de Seleucie, ont condamné: ils n'en ont voulu rien faire, tournant tout en fedition, par le moïen du peuple qu'ils avoient

excité; en forte qu'on n'a pû en venir à la difpute. AN. 484. Enfuite il leur donne un délai pour meriter le meriter le pardon, jufques au premier de Juin de la même année huitiéme de son regne ; c'est-à-dire, 484. l'édit est daté du vingt-cinquième de Février.

VII. Evêques chaf

n. z.

Aprés avoir envoyé cet édit, Huneric commanda de chaffer hors de Carthage tous les évêques qui y fez. étoient assemblez, fans leur laiffer ni cheval, ni efclave, ni habit à changer: mais les dépouillans de tout, aprés leur avoir pris ce qu'ils avoient chez eux. Il y avoit même défense de les loger ni leur fournir des vivres:fous peine aux contrevenans d'être brûlez avec toute leur maison. Les évêques ainsi chassez, resolurent de ne point s'éloigner, de peur qu'on ne dît qu'ils avoient fui la conference: auffi-bien n'avoient-ils plus ni églifes ni maisons. Comme ils étoient ainfi gemiffans, & exposez à l'air autour des murailles de la ville: le roi fortit par hazard, & ils vinrent tous à lui, en difant : Quel mal avons-nous fait pour être traitez ainfi Si nous fommes affemblez pour unc conference, pourquoi nous depoüiller, nous chaf fer, nous faire mourir de faim & de froid? Le roi les regardant de travers, avant que d'avoir oui leur remontrance, fit courir fur eux des cavaliers, qui en blefferent plufieurs, principalement des plus vieux & des plus foibles.

On leur donna ordre de fe trouver en un lieu nommé le temple de Memoire. Là on leur montra un papier roulé, & on leur dit : Le roi, quoi qu'irrité de vôtre désobéïffance, veut toutefois vous bien traiter. Si vous jurez de faire ce qui eft contenu dans ce papier, il vous renvoyera à vos églifes, & à vos

n.4.

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