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tition une croyance aveugle erronée on excessive, qui tient presque uniquement à la manière dont nous sommes affectés, et que nous réduisons, par un sentiment quelconque de respect ou de crainte', en règle de conduite ou en principe de mœurs.

Avec une imagination vive, avec une âme foible, ou avec un esprit peu éclairé, on peut être superstitieux dans les choses naturelles comme dans les choses religieuses. Il n'est pas contradictoire d'être à-la-fois impie et superstitieux; nous en prenons à témoin les incrédules du moyen âge et quelques athées de nos jours.

D'autre part, toute opinion quelconque religieuse, politique, philosophique, peut faire des enthousiastes et des fanatiques. De simples questions de grammaire nous ont fait courir le risque d'une guerre civile. On s'est quelquefois battu pour le choix d'un histrion.

D'après le mot d'un célèbre ministre, la dernière guerre, dans laquelle la France a si glorieusement soutenu le poids de l'univers, a-t-elle été autre chose que la guerre des opinions armées, et y a-t-il une guerre religieuse qui ait fait répandre plus de sang?

On ne sauroit donc imputer exclusivement à la religion des maux qui ont existé et qui existeroient encore sans elle.

Loin que la superstition soit née de l'établissement des religions positives, on peut affirmer que sans le frein des doctrines et

des institutions religieuses, il n'y auroit plus de terme à la crédulité, à la superstition, à l'imposture. Les hommes, en général, ont besoin d'être croyans, pour n'être pas cré'dules; ils ont besoin d'un culte, pour n'être pas superstitieux.

En effet, comme il faut un code de lois pour régler les intérêts, il faut un dépôt de doctrine pour fixer les opinions. Sans cela, suivant l'expression de Montaigne, il n'y a plus rien de certain que l'incertitude méme.

La religion positive est une digue, une barrière qui seule peut nous rassurer contre ce torrent d'opinions fausses et plus ou moins dangereuses, que le délire de la raison humaine peut, inventer.

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Craindroit-on de ne remédier à rien, remplaçant les faux systèmes de philosophie par de faux systèmes de religion?

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La question sur la vérité ou sur la fausseté de telle ou telle autre religion positive, n'est qu'une pure question théologique qui nous est étrangère. Les religions, même fausses, ont au moins l'avantage de mettre obstacle à l'introduction des doctrines arbitraires; les individus ont un centre de croyance; les gouvernemens sont rassurés sur des dogmes, une fois connus, qui ne changent pas; la superstition est, pour ainsi dire, régularisée, circonscrite et resserrée dans des bornes qu'elle ne peut ou qu'elle n'ose franchir.

Il n'y a point à balancer entre de faux

systèmes de philosophie et de faux systèmes de religion. Les faux systèmes de philosophie rendent l'esprit contentieux et laissent le coeur froid: les faux systèmes de religion ont au moins l'effet de rallier les hommes. à quelques idées communes, et de les disposer à quelques vertus. Si les faux systèmes、 de religion nous façonnent à la crédulité, les. faux systèmes de philosophie nous conduisent au scepticisme: or, les hommes en général, plus faits pour agir que pour méditer, ont plus besoin, dans toutes les choses pratiques, de motifs déterminans que de subtilités et de doutes. Le philosophe lui-même a besoin, autant que la multitude, du courage, d'igno-rer et de la sagesse de croire; car il ne peut ni tout connoître, ni tout comprendre..

Ne craignons pas le retour du fanatisme:: nos mœurs, nos lumières, empêchent ce re-tour. Honorons les lettres, cultivons les sciences, en respectant la religion, et nous serons philosophes sans impiété, et religieux sans fa- -natisme.

Ce qui est inconcevable, c'est que dans le · moment même où l'on annonce que la protec tion donnée aux institutions religieuses pourroit nous replonger dans des superstitions fanatiques, on prétend, d'un autre côté, que l'on fait un trop grand bruit de la religion, et 'qu'elle n'a plus aucune sorte de prise sur les hommes.

Il faut pourtant s'accorder: si les institutions

religieuses peuvent inspirer du fanatisme, c'est par le ressort prodigieux qu'elles donnent à l'âme ; et dès-lors il faut convenir qu'elles ont une grande influence, et qu'un gouvernement seroit peu sage de les mépriser ou de les négliger.

Avancer que la religion n'arrête aucun désordre dans les pays où elle est le plus en honneur, puisqu'elle n'empêche pas les crimes et les scandales dont nous sommes les témoins, c'est proposer une objection qui frappe contre la morale et les lois elles-mêmes, puisque la morale et les lois n'ont pas la force de prévenir tous les crimes et tous les scandales.

A la vérité, dans les siècles même les plus religieux, il est des hommes qui ne croient point à la religion, d'autres qui y croient foiblement, ou qui ne s'en occupent pas. Entre les plus fermes croyans, peu agissent conformément à leur foi: mais aussi ceux qui croient à la religion, la pratiquent quelquefois, s'ils ne la pratiquent pas toujours ; ils peuvent s'égarer, mais ils reviennent plus facilement. Les impressions de l'enfance et de l'éducation ne s'éteignent jamais entièrement chez les incrédules même. Tous ceux qui paroissent incrédules ne le sont pas; il se forme autour d'eux une sorte d'esprit général qui les entraîne malgré eux-mêmes, et qui règle, jusqu'à un certain point, sans qu'ils s'en doutent, leurs actions et leurs pensées. Si l'orgueil de leur raison les rend sceptiques, leurs sens et leur

coeur déjouent plus d'une fois les sophismes de leur raison.

La multitude est d'ailleurs plus accessible à la religion qu'au scepticisme; conséquemment les idées religieuses ont toujours une grande influence sur les hommes en masse, sur les corps de nation, sur la société générale du genre humain.

Nous voyons les crimes que la religion n'em-.. pêche pas; mais voyons-nous ceux qu'elle arrête? Pouvons-nous scruter les consciences et y voir tous les noirs projets que la Religion y étouffe, et toutes les salutaires pensées qu'elle y fait naître? D'où vient que les hommes, qui nous paroissent si mauvais en détail, sont en masse de si honnêtes gens? ne seroit-ce point parce que les inspirations, les remords aux-quels des méchans déterminés résistent, et auxquels les bons ne cèdent pas toujours, suffisent pour régir le général des hommes dans le plus grand nombre de cas, et pour garantir, dans le cours ordinaire de la vie, cette direction uniforme et universelle sans laquelle toute société durable seroit impossible?.

D'ailleurs, on se trompe si en contemplant la société humaine, on imagine que cette grande machine pourroit aller avec un seul des ressorts qui la font mouvoir; cette er-reur est aussi évidente que dangereuse. L'homme n'est point un être simple; la société, qui est l'union des hommes, est nécessairement le plus compliqué de tous les mécanismes. Que

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