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viléges du ministre ne sont pas lésés par l'invasion de son appartement et par la saisie forcée de ses meubles à l'effet de le contraindre à l'exécution d'un contrat. M. Ancillon appuie cette exception au principe de l'exterritorialité uniquement sur la nature du contrat de louage. Cette raison ne saurait être décisive : Les principes relatifs à l'exterritorialité sont établis par l'autorité des écrivains c'est dans leurs livres qu'il faut les rechercher 1. Aucun auteur n'a parlé de l'exception mise en avant par M. Ancillon. Loin de là, cette exception est formellement repoussée par plusieurs d'entre eux.

:

Il ne s'agit pas, dans l'espèce, d'examiner quels sont les droits accordés, par la loi civile de Prusse, au bailleur contre le preneur cette loi n'est applicable qu'entre deux sujets du même royaume. Il s'agit uniquement de savoir, quels sont les droits appartenant au bailleur prussien contre un locataire qui est ministre étranger. Entre deux sujets, la loi peut avoir accordé au bailleur un privilége sur les meubles du locataire placés dans la maison: mais il n'en est pas ainsi lorsque le locataire est un ministre étranger. Les meubles de ce dernier ne sont soumis ni aux lois du pays ni à la juridiction de ses tribunaux.

Dans les États où, comme en Prusse, le porteur d'une reconnaissance rédigée en forme de lettre de change, même quand cette reconnaissance serait causée « dépenses ordinaires >> peut contraindre par corps son débiteur non commerçant, le ministre étranger qui aurait signé un pareil engagement ne serait certainement point contraignable par corps.

Avec le raisonnement de M. Ancillon, le ministre public pourrait être dépouillé de tous ses priviléges. On n'aurait qu'à dire : « La loi » municipale du royaume établit tel droit au profit du créancier » qui se trouve dans telle condition (par exemple de bailleur) : » il faut donc appliquer ce droit, sans distinguer si le débiteur est >> sujet du roi ou ministre étranger. » Il est inutile de faire remarquer que par là s'évanouiraient l'indépendance et la sécurité qui sont indispensables à l'accomplissement des devoirs du

1 V. suprà, no 6. 2 V. suprà, no 5.

ministre envers son gouvernement. Si la sainteté de sa demeure peut être violée sous le prétexte des droits du bailleur, elle peut l'être pour tout autre objet, dès que la législation du pays autorise une semblable mesure entre deux sujets.

Grotius, s'explique dans les termes suivants : « Pour ce qui » est des biens meubles d'un ambassadeur, lesquels, par consé» quent, sont censés autant de dépendances de sa personne, on >> ne peut pas non plus le saisir, ni pour payement, ni pour » sûreté d'une dette (ad solutionem debiti aut pignoris causâ). » ... Car un ambassadeur, pour jouir d'une pleine sûreté, doit » être à l'abri de toute contrainte, et par rapport à sa personne, » et par rapport aux choses qui lui sont nécessaires; si donc il a >> contracté des dettes, et que, comme c'est l'ordinaire, il n'ait >> point de biens immeubles dans le pays, il faut lui dire honnê»tement de payer; et, s'il le refuse, on doit alors s'adresser à » son maître. >>

Bynkershoeck, en approuvant l'avis de Grotius, commente le décret des États généraux de 1679 (cité ci-dessus, au n° 7); il rapporte le passage de Mornac (également relaté au même numéro), et finit en ces termes : « Cela a été depuis observé con>> stamment par tous pays. » Bynkershoeck déclare du reste, qu'il n'applique l'expression effets, employée dans la déclaration de 1679, qu'aux effets mobiliers, c'est-à-dire à ceux qui servent pour l'usage des ambassadeurs (utensilia, comme s'exprime l'original). « C'est de ces sortes d'effets, » continue-t-il, « que » je dis qu'ils ne sont et n'ont jamais été, selon le droit des gens, >> une espèce de gage qu'on puisse retenir pour se payer de ce que >> doit un ambassadeur. »

Cet auteur admet qu'en règle générale, les biens meubles et immeubles de l'ambassadeur peuvent être saisis pour le payement de ses dettes, lorsqu'ils ne sont pas attachés à sa personne, et il place au nombre des biens qui se trouvent dans cette dernière catégorie,... les meubles, l'or, la toilette, les ornements, les tapis ou tapisseries, et toutes les autres choses qui peuvent être com

1 Liv. 2, chap. 18, § 9 (traduction de Barbeyrac).

2 Dans l'ouvrage cité, chap. 9, SS 9 et 10.

prises, en style du droit romain, dans le legs d'un fonds '. Vattel s'explique dans le même sens; il n'admet qu'une seule exception: c'est lorsque le ministre s'engage dans des spéculations commerciales. Mais il reconnaît deux restrictions à cette thèse : 1° quand il y a lieu de douter si une chose est véritablement destinée à l'usage du ministre ou de sa maison, ou si elle appartient à son commerce, il faut juger à l'avantage du ministre; 2o si on peut admettre la saisie des effets du ministre, qui n'ont aucun rapport à son caractère, cela doit s'entendre que ce ne soit point pour des affaires que le ministre peut avoir en cette qualité, c'est-à-dire pour fournitures faites à sa maison, ou pour loyer de son hôtel.

19. M. le baron de Werther, dans sa note du 19 mai, soutint que la question dont il s'agit, n'est et ne peut être que celle de savoir quels droits ont été établis entre M. Wheaton et le propriétaire de la maison, par le contrat de bail du 12 octobre 1836 ? Pour résoudre cette question (c'est toujours M. le baron de Werther qui parle), il n'existe d'autre règle que le droit civil du pays, où ledit contrat a été exécuté, c'est-à-dire, le Code général de Prusse; or, ce Code, part. I, tit. 21, § 395, établit, au profit du bailleur, les droits d'un créancier gagiste (Pfandglaeubiger), à raison du loyer et d'autres créances, sur les choses et effets apportés par le locataire ou fermier, et qui se trouvent encore dans la maison ou la ferme au moment où finit

le bail. Le même Code, part. I, tit. 20, § 1, déclare qu'on appelle droit de gage (Unterpfands-Recht), le droit réel qu'une personne obtient, pour sûreté de sa créance, sur une chose appartenant à autrui, et « par suite duquel elle peut exiger son payement

1 Quæ nomine..... legati instructi et cum instrumento comprehendi possunt, porte l'original. V. chap. 16, SS 3 et 4.

Liv. 4, chap. 8, § 113.

3 Ceci nous semble une erreur. Ce n'est pas ce contrat, mais le principe de l'exterritorialité consacré par le droit des gens, qui fait la loi des parties (V. suprà, nos 5, 7, 10, 11 et 12). Le ministre, en consentant le contrat de bail, ne pouvait pas renoncer à son droit d'exterritorialité (V. no 14). On peut ajouter à ceci l'observation faite par M. Legaré (V. infrà, no 24, p. 48), que le sujet prussien qui contracte avec un ministre étranger sait, ou est censé savoir, que lui-même renonce, par ce contrat, aux droits ordinaires qui lui appartiendraient s'il contractait avec un autre sujet.

» sur la substance même de cette chose. » Ainsi, continue M. le baron de Werther, le Code prussien, en accordant au bailleur, sur les effets qui garnissent la maison louée, des droits analogues à ceux d'un créancier gagiste, pour les réclamations qu'il peut former, non-seulement à raison du loyer, mais encore à raison de tout ce qui concerne l'exécution du bail, confère au bailleur un droit réel sur lesdits effets, au moyen duquel il peut les retenir, à titre de garantie de ses prétentions dérivant du contrat de louage. Ainsi, le contrat du 12 octobre 1836 constitue légalement, d'après M. le baron de Werther, pour le propriétaire, le droit réel qu'il alléguait pour retenir les effets de M. Wheaton; et c'est de ce même droit réel que le propriétaire se verrait privé, si, comme le demande M. Wheaton, il était obligé purement et simplement à la restitution des effets. Le gouvernement n'a aucun moyen légal de prendre de fait une pareille mesure; le ministre des affaires étrangères ne peut, dans de semblables circonstances, que recourir à des moyens de conciliation 1.

20. M. Wheaton a répondu, le 23 mai 1839, qu'en admettant le droit de gage établi, dans l'hypothèse, par le Code prussien, ce droit ne pourrait être exercé au préjudice d'un ministre étranger, tant d'après le passage cité de Grotius, que parce que l'entrée du propriétaire dans la demeure du ministre, sans autorisation de ce dernier, constituerait une atteinte à l'inviolabilité de la demeure du ministre.

21. M. le baron de Werther, persistant dans l'opinion par lui émise le 19 mai, manifesta le désir de connaître l'avis du gouvernement des États-Unis sur le point en controverse; et il posa la question en ces termes :

<< Si un agent diplomatique étranger, accrédité auprès du gou» vernement des États-Unis, passe un contrat avec un citoyen >> américain, de son plein gré et dans les formes prescrites; si, >> par suite de ce contrat, les lois du pays constituent à ce citoyen.

En effet, M. le baron de Werther s'est entremis, et a obtenu que le propriétaire de l'appartement loué renonçât à son opposition. Les objets ont été laissés à la disposition de M. Wheaton, qui s'est réservé ses droits; et la correspondance diplomatique (et polémique) a continué. On doit savoir gré à M. Wheaton d'avoir agi de la sorte; il a contribué ainsi à répandre une vive lumière sur une question intéressante du droit des gens, qui est de nature à se présenter fréquemment.

» américain, dans des cas donnés, un droit réel sur les biens mo»biliers appartenant audit agent, le gouvernement s'adjugera»t-il, le cas échéant, le droit de priver ce citoyen américain de » son droit réel, sur la simple demande de l'agent diplomatique » qui s'appuie sur son exterritorialité ? »

22. Le 6 juin 1839, M. Wheaton, en déclarant à M. le baron de Werther qu'il avait déjà communiqué à son gouvernement toutes les pièces relatives à la contestation, fit remarquer que la question devrait être formulée de la manière suivante :

« Si un ministre public étranger, accrédité auprès du gou» vernement des États-Unis, passe un contrat avec un citoyen >> américain, de son plein gré et dans les formes prescrites; si, » par suite de ce contrat, les lois du pays constituent à ce ci>>toyen américain, dans des cas donnés, un droit réel sur les » biens mobiliers appartenant audit ministre, ce droit peut-il >> être mis à exécution, en entrant dans la maison du ministre » sans son consentement, pour saisir les biens mobiliers restés » en sa possession? >>

23. M. le baron de Werther n'admit point cette rédaction : il soutint que dans l'espèce il n'a pas été question:

« D'entrer dans la maison du ministre sans son consentement, » pour saisir ses biens mobiliers. >>

Mais « que le bailleur, au moment où l'agent diplomatique, » son locataire, a voulu quitter pour toujours la maison du bail>> leur et faire emporter tous ses biens mobiliers, n'a pas consenti » à ce qu'on emportât de sa maison ceux desdits biens mobiliers » sur lesquels il prétendait avoir acquis éventuellement un droit » réel dès le moment où l'agent diplomatique les y avait fait >> transporter. »

24. M. Legaré, procureur général des États-Unis, chargé par intérim du portefeuille des affaires étrangères, a fourni sa réponse par un dépêche adressée à M. Wheaton le 9 juin 1843.

Il pense qu'il est inutile de discuter sur la position de la question, et qu'on peut se borner à entrer dans l'examen de celle posée par M. le baron de Werther.

Il distingue entre le cas où (comme dans l'espèce) la loi du pays établit un droit tacite de gage sur les meubles du locataire, et celui

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