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cution ne peut être que l'accomplissement d'un fait prescrit par cette loi ou une mesure ayant pour but d'empêcher des faits interdits par cette loi. Or la promulgation n'est point cela. Le président de la république ne fait point un acte prescrit par la loi qu'il promulgue, ou un acte destiné à empêcher un acte interdit par la loi. Il ordonne qu'on fasse ces actes; il ordonne qu'on exécute la loi; or ordonner qu'on exécute une loi, ce n'est point exécuter cette loi. Le président de la république doit promulguer la loi dans un certain délai (L. 16 juillet 1875, art. 7, § 1). En principe, il doit la promulguer dans le mois qui suit la transmission du texte au gouvernement par le président de la chambre qui l'a voté en dernier lieu. Cela ne soulève aucune difficulté. Mais il doit promulguer la loi dans les trois jours, quand par un vote exprès dans chacune des deux chambres, la promulgation a été déclarée urgente.

Il faut remarquer qu'il ne s'agit pas ici de la déclaration générale d'urgence. Y aurait-il eu déclaration générale d'urgence, le président de la république aurait néanmoins un mois pour promulguer la loi. Il faut qu'il y ait eu déclaration spéciale qu'il y a urgence à promulguer la loi. Cette déclaration spéciale d'urgence de la promulgation est prévue et réglementée par le règlement des chambres, sénat art. 94 et chambre art. 77. La proposition de déclaration spéciale d'urgence de la promulgation ne peut être faite, soit au sénat, soit à la chambre, qu'après le vote sur l'ensemble de la loi. L'assemblée est alors consultée sur le point de savoir si la loi sera promulguée d'urgence, dans les trois jours, aux termes de l'art. 7 de la loi const. du 16 juillet 1875 ». Ce délai de trois jours ne s'impose au président de la république que lorsque ce vote a été émis expressément dans l'une et l'autre chambre.

De la publication des lois. Il importe de ne pas confondre (ce que l'on fait cependant souvent, ce qu'a fait parfois même le législateur), la promulgation avec la publication. La promulgation est un acte juridique dont on vient de déterminer le caractère. La publication est le fait par lequel la loi est portée à la connaissance du public.

Aujourd'hui le mode de publication des lois est réglé par le décret du 5 novembre 1870. Elle résulte, en principe, de l'insertion du texte de la loi au Journal officiel de la république française (D. 5 novembre 1870, art. 1, § 1).

Le texte porte: « La promulgation des lois et décrets résultera de leur insertion au Journal officiel ». C'est évidemment une erreur; la promulgation est un acte juridique qui ne peut résulter que de la volonté de l'autorité chargée de le faire. Ce qui résulte de l'insertion au Journal officiel, c'est un des éléments, le principal, de la publication. En effet, pour qu'une loi, régulièrement votée et promulguée, soit portée à la connaissance du public, il faut qu'elle soit ou inscrite sur une affiche ou insérée dans une feuille publique. C'est ce dernier mode de publication qui est établi par le décret de 1871; et la feuille publique est le Journal officiel de la république française; la loi promulguée y est publiée. Dire que la loi y est promulguée, c'est dire une erreur.

La loi ne devient pas obligatoire immédiatement après l'apparition du Journal officiel. A Paris, les lois ne sont obligatoires qu'un jour franc après le jour de la publication du numéro du Journal officiel qui en contient le texte. Partout ailleurs, les lois ne sont obligatoires qu'un jour franc après que le numéro du Journal officiel qui en contient le texte est parvenu au chef-lieu de l'arrondissement (D. 3 novembre 1870, art. 2). D'après ce même décret (art. 3), les préfets et les sous-préfets doivent prendre les mesures nécessaires pour qu'en outre les actes législatifs soient imprimés et affichés partout où besoin est. A cet égard, ils donneront aux maires les ordres qu'ils jugeront convenables (L. 5 avril 1884, art. 92, no 1).

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Lorsque les délais qu'on vient d'indiquer sont expirés, nul n'est censé ignorer la loi. C'est le vieux principe toujours vrai et qu'il est indispensable de maintenir énergiquement. Cependant l'art. 4 du décret du 5 novembre 1870 permet aux tribunaux d'accueillir sous certaines conditions l'exception d'ignorance de la loi. Il est dit en effet à l'art. 4 de ce décret : Les tribunaux et les autorités administratives et militaires pourront selon les circonstances accueillir l'exception d'ignorance alléguée par les contrevenants, si la contravention a eu lieu dans le délai de trois jours francs à partir de la promulgation ». Encore ici le rédacteur du décret a écrit promulgation au lieu de publication. Ce délai de trois jours francs, pendant lequel l'exception d'ignorance de la loi peut être admise part en effet du jour de l'apparition du numéro du Journal officiel contenant le texte de la loi.

La date de la promulgation est le jour où le président de la république appose sa signature au-dessous de la formule de la promulgation. Le jour de l'insertion au Journal officiel peut être sensiblement postérieur. Le gouvernement cependant est-il sur ce point

soumis à une règle? Nous croyons qu'il peut faire ce qu'il veut, à la condition toutefois que la publication au Journal officiel ait lieg dans les délais d'un mois ou de trois jours fixés par l'art. 7, § 1 de la loi const. du 16 juillet 1875. Assurément ce texte ne parle que de la promulgation; mais il nous paraît impliquer en même temps que la loi promulguée soit publiée dans ces délais. Evidemment le gouvernement violerait, sinon le texte, du moins la pensée évidente du législateur constituant, si, la loi ayant été promulguée dans le mois ou les trois jours, il en empêchait l'application dans ces délais en ne la publiant que postérieurement à leur expiration.

Le décret du 5 novembre 1870 (art. 1, § 2) porte en outre : « Le Bulletin des lois continuera à être publié et l'insertion qui y sera faite des actes non insérés au Journal officiel en opèrera promulgation ». Ce texte appelle toujours la même observation : l'insertion au Bulletin des lois n'entraîne pas promulgation, mais bien publication de la loi. La pensée du rédacteur du décret du 5 novembre 1870 était donc que la publication des lois par l'insertion au Journal officiel était simplement facultative, que toutes les lois seraient insérées comme auparavant au Bulletin des lois, et que pour celles qui ne seraient pas insérées au Journal officiel, leur publication résulterait de leur insertion au Bulletin des lois. En fait aujourd'hui toutes les lois sont publiées à l'Officiel. Cependant le Bulletin des lois est toujours publié et forme un recueil général des lois françaises.

Pour les lois qui sont insérées à la fois au Journal officiel et au Bulletin des lois, au cas, plus fréquent qu'on pourrait le croire, de divergence de texte, le texte qui s'impose est celui donné par l» Journal officiel. En effet, il résulte de l'art. 1 du décret du 5 novembre 1870 que pour les lois insérées et publiées à l'Officiel el au Bulletin des lois, celui-ci ne vaut que comme publication privée.

Si le texte d'une loi n'était pas aujourd'hui inséré dans le Journal officiel, sa publication résulterait de son insertion au Bulletin des lois et il faudrait appliquer l'art. 1 du code civil complété par l'ordonnance du 27 novembre 1816. La loi serait réputée connue à Paris un jour après que le numéro du Bulletin des lois contenant le texte de la loi sera parvenu au ministère de la justice, et dans les départements après l'expiration du même délai augmenté d'autant de jours qu'il y a de fois dix myriamètres entre la ville où la promulgation aura été faite et le chef-lieu de chaque département. Il est évident qu'un pareil système n'est plus du tout en harmonie avec la rapidité actuelle des communications (Ord. 27 novembre 1816; cf. Ord. 18 janvier 1817).

Du veto suspensif du président de la république. Le président de la république doit promulguer les lois dans les délais fixés par l'art. 7 de la loi const. du 16 juillet 1875. C'est pour lui incontestablement une

obligation et s'il ne le faisait pas il violerait la constitution. Le refus ou le retard de la promulgation peuvent évidemment engager la responsabilité ministérielle. Mais le législateur n'a organisé et ne pouvait organiser aucun moyen pour contraindre directement le président de la république à faire la promulgation de la loi et à la faire dans les délais prescrits. Il n'a organisé non plus aucun moyen de suppléer à la promulgation présidentielle de la loi. Ainsi par son abstention le président de la république pourrait empêcher indéfiniment l'application d'une loi. Encore un cas où la loi constitutionnelle n'a d'autre sanction que la loyauté des hommes qui l'appliquent, particulièrement du président de la république.

Aux termes de l'art. 59 de la constitution de 1848, à défaut de promulgation par le président de la république dans les délais prescrits par la constitution, il devait y être pourvu par le président de l'assemblée nationale. Il n'y a point de disposition analogue dans les lois constitutionnelles de 1875.

Outre ce pouvoir de fait, et d'ailleurs inconstitutionnel, de retarder par son abstention indéfiniment l'application de la loi, le président de la république possède un pouvoir légal de veto suspensif, qui est établi par l'art. 7, § 2 de la loi du 16 juillet 1875: «Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la république peut, par un message motivé, demander aux deux chambres une seconde délibération qui ne peut être refusée ». De ce texte, il faut rapprocher les art. 77 du règlement du sénat et 33 de la chambre rédigés en termes identiques : « Lorsque, en vertu de l'art. 7 de la loi const. du 16 juillet 1875, le président de la république demande une nouvelle délibération de la chambre, le message motivé est distribué. La chambre se réunit dans ses bureaux et nomme une commission, sur le rapport de laquelle il est procédé à la nouvelle délibération ». L'art. 7, § 2 de la loi du 16 juillet 1875 établit au profit du président de la république un véritable droit de veto suspensif.

Le veto suspensif du président de la république se rattache his

toriquement au droit de sanction royale, au veto royal suspensif de la constitution de 1791 et au velo suspensif présidentiel de la constitution de 1848. Il doit être rapproché du veto suspensif donné au président par la constitution américaine.

Théoriquement, il y a une différence capitale entre la sanction royale et le velo même absolu. La sanction royale implique que la loi n'est faite que par le concours des volontés de l'assemblée et du roi. Tant qu'il n'y a pas le concours de ces deux volontés, il n'y a pas de loi. L'assemblée établit le dispositif de la loi; le monarque lui donne force obligatoire. La sanction ainsi comprise existait dans le vieux droit constitutionnel anglais, d'après lequel le roi fait partie intégrante du parlement, et d'après lequel la loi est voulue par le roi en son parlement; théoriquement, la loi résulte du concours des volontés des chambres et du roi. On sait que depuis longtemps ce droit de sanction est tombé en désuétude, el que, en fait, le parlement anglais fait seul la loi.

Le droit de sanction royale ainsi compris a été très nellement consacré en France par les art. 14, 15 et 22 de la Charte de 1814: « Le roi est le chef suprême de l'Etat... La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la chambre des pairs et la chambre des députés des départements. Le roi seul sanctionne et promulgue les lois ». Même disposition dans les art. 14 et 18 de la Charte de 1830. D'après ces textes, le roi n'a pas seulement un droit de veto; mais il a le droit de faire la loi avec les chambres, et le dispositif voté par la chambre n'est une loi que lorsqu'il lui a donné la force législative par sa sanction. C'est aussi le droit de sanction ainsi compris que la constitution de 1852 (art. 4 et 10) donnait au président de la république et à l'empereur.

C'est enfin ainsi que les auteurs allemands comprennent le droit de sanction de l'empereur allemand et des monarques allemands en général. M. Laband écrit que dans toute loi il y a deux choses, une disposition qui établit une règle de droit, et un ordre qui contient l'injonction de se soumettre à la disposition de droit que contient la loi. La disposition est volée par le parlement; l'ordre de se soumettre à la loi, c'est la sanction; elle émane du chef de de l'Etat, et tant qu'elle n'est pas intervenue, il n'y a pas loi parce qu'il manque un des éléments essentiels de la loi, l'ordre législatif (Laband, Droit public, édit. franç., 1901, II, p. 263 et 273).

Le veto, même absolu, est théoriquement différent; el même, comme le fait observer M. Bompard, il est l'opposé, le contraire de la sanction (R. Bompard, Le veto du président de la république et la sanction royale, 1906, p. 88). En effet le veto suppose que la loi est faite et vaut comme loi par la décision du parlement; mais le chef de l'Etat a le pouvoir de s'opposer, d'une manière absolue ou pour un certain temps, à la promulgation de la loi et par voie de conséquence à son exécution. Suivant les expressions de Montesquieu, avec la sanction le chef de l'Etat a la faculté de statuer;

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