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contre un règlement de police; toute personne à laquelle on veut en faire l'application peut opposer l'exception d'illégalité (C. pén., art. 471, no 15).

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Conclusions. On voit par tout ce qui précède que le domaine du pouvoir réglementaire est très vaste et en même temps très complexe; que ce pouvoir s'exerce dans des conditions très diverses et ne repose point sur un principe unique. Les nombreuses controverses qu'il soulève tiennent surtout à ce que ces distinctions n'ont pas été faites. Le domaine du pouvoir réglementaire va s'accroissant chaque jour. L'activité de l'Etat devenant de plus en plus grande, le parlement ne peut plus suffire à sa tâche et se décharge volontiers, dans les conditions précédemment expliquées, sur le gouvernement, d'une bonne part de sa fonction législative. Cela n'est point sans présenter quelques graves inconvénients. Les gouvernés sont, en effet, par là privés souvent des garanties que leur assure la discussion coutradictoire et publique de la loi; et le gouvernement se trouve investi de pouvoirs qui ne dedevraient point lui appartenir dans un pays libre.

Décrets-lois. On désigne ainsi les décrets rendus par un gouvernement régulier en dehors du domaine légal du pouvoir réglementaire, et aussi les décrets rendus par des gouvernements de fait sur des matières qui en régime normal eussent dù faire l'objet d'une loi.

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De nombreux décrets ont été portés par Napoléon fer sur des matières certainement d'ordre législatif, par exemple le décret du 14 novembre 1806 sur les tribunaux maritimes, le décret du 14 mars 1812 sur le port des armes, etc... - Sous la Restauration se présenta la question de savoir si ces décrets s'imposaient à l'application par les tribunaux. La cour de cassation, dans plusieurs arrêts, a répondu affirmativement, se fondant sur ce fait que la constitution de l'an VIII établissait une procédure spéciale pour déférer au sénat les actes inconstitutionnels, que ces actes, n'ayant point été déférés au sénat et partant n'ayant point été déclarés inconstitutionnels, avaient par là même force légale. Cf. notamment Cass., 27 mai 1819, S., VI, 1re part., p. 79; 3 octobre 1822, S., VII, 1re part., p. 141.

Les décrets-lois portés par le gouvernement provisoire de 1848 étaient par la force des choses de véritables lois, notamment le décret du 5 mars 1848 établissant le suffrage universel.

Les décrets réglant des matières législatives, rendus pendant la période dictatoriale du 2 décembre 1851 au 29 mars 1852, on

élé ratifiés par l'art. 58, § 2 de la constitution de 1852. C'est ainsi que le décret organique du 2 février 1852 sur les élections est une loi véritable et ne peut être modifié que par une loi formelle. Il est bien entendu que cela n'est vrai que pour les décrets portant sur des matières législatives, et que les décrets portant sur des matières non législatives restent ce qu'ils auraient été sous un gouvernement régulier. Par exemple, le décret réglementaire sur les élections du 2 février 1852 pourrait être modifié par un simple règlement.

Le gouvernement de la Défense nationale de 1870-71 du 4 septembre 1870 au 12 février 1871) a fait un certain nombre de décrets sur des matières législatives. Le 23 juin 1871, l'Assemblée nationale nomma une commission pour rechercher ceux des décrets législatifs du gouvernement de la Défense nationale qui devaient être maintenus. Le rapporteur, M. Taillefer, pour reconnaître les décrets législatifs, n'eut pas d'autre criterium que le point de savoir si un décret abrogeait ou modifiait une loi formelle (Ann. As, nat.. 1871, VIII, annexes, p. 312). Finalement, la force légale de certains décrets législatifs du gouvernement de la Défense nationale a été en fait unanimement reconnue, par exemple celle du décret du 19 septembre 1870 abrogeant l'art. 75 de la constitution de l'an VIII, toujours maintenu comme loi ordinaire depuis 1814.

142. Attributions diplomatiques du président de la république. Le président de la république personnifiant le gouvernement et représentant le pays, c'est auprès de lui que sont accrédités les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères L. const. 25 février 1875, art. 3, § 5). De même, c'est le président de la république qui signe les lettres de créance qui accréditent les envoyés et les ambassadeurs français auprès des chefs d'Etat étrangers.

Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères doivent d'abord communiquer leurs lettres de créance au ministre des affaires étrangères, qui s'assure qu'elles peuvent être présentées au chef de l'Etat. Il faut noter que les simples chargés d'affaires ne reçoivent leurs lettres de créances que du ministre des affaires étrangères de leur pays et les remettent à celui du pays où ils sont envoyés.

Cf. sur ces points les traités de droit international public et notamment Despagnet, Droit international public, 3e édit., 1905, p. 245.

Le président de la république étant le représentant du pays a naturellement compétence pour négocier et ratifier les traités. Mais le gouvernement agissant toujours sous le contrôle du parlement, celui-ci doit

évidemment être associé à l'exercice de la fonction diplomatique. Les pouvoirs respectifs du président de la république et du parlement ont été déterminés par l'art. 8 de la loi const. du 16 juillet 1875 : « Le président de la république ratifie et négocie les traités. Il en donne connaissance aux chambres aussitôt que l'intérêt et la sécurité de l'Etat le permettent. Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi ». Ce texte, on le voit, distingue deux choses qui doivent en effet être distinguées : la négociation et la ratification des traités.

La négociation des traités. Elle appartient entièrement au président de la république ou plus exactement au gouvernement, qui doit exercer ces pouvoirs de négociation avec une pleine et entière liberté, avec le concours de ses ambassadeurs ou envoyés extraordinaires. Les chambres ne peuvent limiter d'aucune manière, par voie préventive, les pouvoirs de négociation du gouvernement. Sans doute elles peuvent inviter le gouvernement à négocier; elles peuvent même l'inviter à négocier sur telle ou telle base; mais elles ne pourraient pas lui interdire d'avance de conclure. tel ou tel traité, d'accepter telle ou telle clause. En le faisant les chambres porteraient atteinte au droit constitutionnel du gouvernement de négocier les traités.

Dans la séance du 23 janvier 1880, M. Keller, ayant présenté à la chambre une proposition ainsi conçue « Aucun traité ou convention ne pourra abaisser les droits au-dessous du tarif général... », dut le retirer devant l'observation très juste qu'elle était inconstitutionnelle. Dans la séance du 4 juin 1880 à propos d'une proposition de M. Guichard, qui tendait à limiter le droit du gouvernement dans la conclusion des traités de commerce, le président de la chambre Gambetta dit très justement : « Je ne puis pas laisser mettre en

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discussion l'intégrité du droit du gouvernement de traiter dans la pleine liberté de sa puissance ». En 1890 et 1891, au moment da vote des tarifs douaniers, la question se posa devant la chambre et devant le sénat de savoir si l'établissement par le parlement d'un tarif minimum n'était pas une atteinte au droit du gouvernement de négocier. Il fut reconnu que l'établissement de ce tarif minimum ne pouvait pas lier le gouvernement, qui resterait toujours libre de conclure, sauf ratification des chambres, un traité abaissant les droits au-dessous du tarif minimum, qu'il y avait là seulement une invitation adressée au gouvernement de se conformer à ce tarif minimum dans la négociation qu'il engagerait. M. de Freycinet, président du conseil, disait à la séance de la chambre du 22 mars 1891 : « Les deux tarifs... le tarif maximum et le tarif minimum sont considérés par le gouvernement comme la base des rapports commerciaux qui vont être établis entre la France et les puissances étrangères... Si maintenant on veut que nous allions plus loin, que nous prenions l'engagement d'abandonner des prérogatives constitutionnelles, je répète que nous ne le ferons pas et que nous ne pouvons pas le faire ». Et M. Méline, au nom de la commission des douanes, disait : « J'ai reconnu que la constitution à la main le gouvernement pourrait en droit strict modifier par un traité un des chiffres du tarif minimum ». M. Dauphin faisait la même déclaration dans son rapport au sénat. Le 20 mai 1904, la chambre discutait une interpellation concernant le régime douanier de la Tunisie, pays de protectorat; MM. Debussy et Plichon ayant déposé un ordre du jour impératif qui paraissait lier le gouvernement, M. le président Brisson fit observer « que peut-être le caraetère impératif de cet ordre du jour blesserait le droit constitutionnel du gouvernement de négocier en celle matière ». L'ordre du jour fut renvoyé à la commission et ne fut point soumis au vole. Rapp. l'observation dans le même sens de M. le vice-président Lockroy (séance du 12 novembre 1904) relativement à une motion présentée par MM. Delafosse et Paul Deschanel, invitant le gouvernement à négocier avec l'Angleterre en un sens déterminé. Cf. sur tous ces points, Pierre, Droit polit. et parlem., 2o édit., 1902, p. 634 et suiv.; Supplément, p. 265.

Ratification des traités. Le traité une fois conclu par les représentants des deux puissances contractantes, il faut le ratifier. En principe le pouvoir de ratifier les traités appartient au président de la république. La ratification a lieu en principe par un décret signé du président de la république et contresigné par le ministre des affaires étrangères, et cela sans aucune intervention des chambres. La constitution invite seulement le gouvernement à en donner communica

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tion aux chambres « aussitôt que l'intérêt et la sécurité de l'Etat le permettent ». C'est le gouvernement qui apprécie le moment où il fera cette communication. La ratification comme la négociation engage évidemment la responsabilité du ministère. Mais il est certain en même temps qu'un traité ayant été négocié et ratifié par le président de la république, le parlement par un vote ne pourrait pas déclarer que le président de la république a eu tort de ratifier un pareil traité et qu'il n'engage pas le pays.

Dans la séance de la chambre du 4 novembre 1890, M. de La Ferronnays ayant signalé comme contraire à la loi constitutionnelle la ratification donnée par le président de la république à un arrangement conclu avec la Grande-Bretagne, M. Ribot, ministre des affaires étrangères, constata que « le traité ayant été ratifié par le président de la république, personne ne demandait que la signature du président de la république fût mise en question ». Dans la séance de la chambre du 21 novembre 1901, M. Sembat ayant annoncé son intention d'inviter le gouvernement à soumettre à la chambre un traité déjà ratifié par le président de la république, M. le président Deschanel fit observer très justement qu'il ne serait pas constitutionnel de réclamer un vote de celte nature et M. Sembat n'insista pas.

Si en principe le président de la république a pouvoir de ratifier les traités, l'art. 8 de la loi const. du 16 juillet 1875 indique une série de traités qui doivent être votés par les deux chambres. Ce sont naturellement les traités qui ont été considérés par le législateur comme étant de nature à engager le plus gravement le pays et aussi comme pouvant être sans danger soumis à la publicité. Ces traités sont énumérés limitativement par l'art. 8. Ce sont les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, les traités. importante cession, échange ou adjonction de territoire.

On a dit parfois que cette liste est si étendue qu'en réalité le droit de ratification du président de la république est réduit à néant, qu'on ne peut pas trouver

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