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ADDITIONS

Séparation des églises et de l'Etat. Le ministère Clémenceau, constitué le 25 octobre 1906, s'est trouvé en face de graves difficultés nées de l'interdiction, faite aux catholiques par l'encyclique Gravissimo (10 août 1906), de former des associations cultuelles.

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Dans la déclaration lue aux chambres le 5 novembre 1906, il disait « Notre tâche immédiate sera d'assurer à tous les citoyens par le régime nouveau de la séparation des églises et de l'Etat, hautement ratifié par le pays aux dernières élections, le plein exercice de la liberté de conscience... En même temps que nous assurerons la liberté des cultes, nous appliquerons la loi dans toutes ses dispositions...» (J. off., 1906, chambre, p. 2386-87). Ainsi dès son arrivée au pouvoir, le nouveau ministère annonçait son intention d'assurer le libre exercice du culte et en même temps l'application de la loi de séparation malgré sa non-acceptation par le Saint-Siège. Répondant aux diverses interpellations sur les affaires religieuses, M. Briand, ministre de l'instruction publique et des cultes, dans un grand discours prononcé à la chambre le 9 novembre 1906, précisait les intentions du gouvernement. Après avoir très justement montré que la loi de décembre 1905 était essentiellement une loi de liberté, et que l'église était mal venue à repousser les associations cultuelles quand elle avait accepté la libre nomination des évêques et les pensions ecclésiastiques, le ministre annonçait que, conformément au principe de liberté inscrit dans l'art. 1 de la loi, le culte catholique pourrait pour le moment s'exercer librement dans les églises conformément à la loi du 30 juin 1881 sur les réunions publiques. Il ajoutait que des associations cultuelles pourraient encore se former avec vocation à la dévolution des biens jusqu'au 11 décembre 1907 et cela en vertu du règlement d'administration publique du 17 mars 1906 (art. 11), faisant corps avec la loi. Rapp. le second discours de M. Briand à la chambre, séance du 13 novembre 1906. Ces déclarations furent approuvées par un ordre du jour de confiance adopté par 416 voix contre 163 (séance du 13 novembre 1906).

Le 1er décembre 1906, le ministre de l'instruction publique et des cultes adressait aux préfets une circulaire « relative aux conditions d'exercice du culte public à défaut d'associations cultuelles ». L'esprit de liberté et de tolérance qui inspirait cet acte apparait nellement dans les premières lignes, où il est dit : « La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat est toute entière dominée par le principe de la liberté de conscience, d'où dérive le libre exercice du culte. Cette double liberté proclamée par l'art. 1er n'a pas d'autres limites que celles qui sont posées par la loi elle-même dans l'intérêt de l'ordre public. Dès lors si les adeptes d'une religion, membres du clergé et fidèles, renoncent à former des associations cultuelles..., ils ne sont pas pour cela privés du droit de pratiquer la religion. Indépendamment de la faculté qui leur appartient de recourir au culte privé, ils peuvent, sans s'unir par les liens d'un contrat d'association, subvenir à l'exercice public du culte par des réunions tenues sur initiatives individuelles, et bénéficier ainsi, à défaut de la liberté d'association dont ils ne veulent pas user..., de la liberté de réunion ». Le ministre rappelait en outre que le conseil d'Etat s'était prononcé en ce sens par un avis du 31 octobre 1906.

En conséquence, il était dit, dans la circulaire, que des réunions publiques cultuelles pourraient avoir lieu conformément à la loi du 30 juin 1881, qui devait toutefois recevoir « par la force des choses certains accommodements pour s'adapter aux cérémonies religieuses». Ainsi la constitution d'un bureau, exigé par l'art. 8 de la loi de 1881, ne sera point exigée pour les réunions cultuelles et, à défaut de ce bureau, les organisateurs seront responsables dans les termes de l'art. 8. D'autre part, la déclaration exigée par l'art. 2 de la loi de 1881 pour toute réunion publique devra être nécessairement faite; mais donnant une interprétation très large de cette disposition, le ministre décidait « qu'une seule déclaration suffirait pour toutes les cérémonies religieuses publiques, dont les jours et heures pourraient être facilement déterminés à l'avance ».

La circulaire déterminait de plus en détail le sort des biens ecclésiastiques après le 11 décembre 1906. Pour les églises, le ministre déclarait que « jusqu'à décision contraire, elles conserveraient, avec les objets mobiliers les garnissant, leur affectation antérieure, qu'il résulte en effet de l'art. 13 que pour libérer les églises... appartenant à l'Etat et aux communes, de l'affectation dont elles sont grevées, un décret ou une loi, suivant les circonstances, est nécessaire ». Pour la situation qui devait être faite aux biens des fabriques, menses, chapitres et séminaires, et aux évéchés, presbytères et séminaires, cf. la suite de la circulaire insérée au J. off., 2 décembre 1906. Rapp. seconde circulaire du ministre de l'instruction publique et des cultes visant spécialement les séminaires, 7 décembre 1906, J. off., 10 décembre, circulaires du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre de l'instruc

tion publique et des cultes, relatives aux infractions commises à l'occasion de l'exercice public du culte, 10 décembre 1906, Le Temps, 11 décembre, une circulaire du ministre des finances aux préfets, relative à l'attribution ou mise sous séquestre des biens des établissements publics du culte supprimés et une circulaire du même ministre aux trésoriers payeurs généraux sur le même objet, 12 novembre 1906, J. off., 4 décembre 1906, et enfin un arrêté du ministre des finances suivi d'instructions relatives au sequestre des biens des établissements publics du culte supprimés, 1er décembre 1906, J. off., 7 décembre 1906.

L'esprit libéral et tolérant du gouvernement paraissait devoir assurer, au moins provisoirement, l'exercice paisible du culte catholique public. Plusieurs évêques avaient déjà prescrit à leurs prêtres de faire la déclaration de la loi de 1881 dans les conditions déterminées par la circulaire précitée du ministre des cultes. Le cardinal Lecot, archevêque de Bordeaux, notamment, dans une lettre-circulaire aux prêtres de son diocèse, écrivait : « La loi de 1905 étant condamnée par l'Encyclique et le Saint-Père nous ayant invités à recourir au droit commun pour sauvegarder les intérêts et les libertés de l'Eglise de France, nous chercherons dans la loi de 1881 nos droits et nos garanties. Or, cette loi demande que vous fassiez deux jours à l'avance une déclaration... Cette déclaration n'étant qu'une formalité administrative qui n'implique ni renonciation à aucun droit, ni l'intervention d'une ingérence étrangère dans l'exercice du culte, nous ne voyons aucun motif d'importance qui nous empêche de la signer » (l'Aquitaine, semaine religieuse de Bordeaux, 7 décembre 1906). Mais, à la surprise générale, le 7 décembre 1906, le cardinal Richard, archevêque de Paris, adressait à tous les membres de l'épiscopat français, la note-circulaire suivante: « A la question posée par plusieurs évêques à la suite de la récente circulaire ministérielle, le Saint-Père répond: Continuer le culte dans les églises; s'abstenir de toute déclaration. Communiqué par ordre de Sa Sainteté pour assurer l'uniformité des décisions de l'épiscopat » (Le Temps, 10 décembre 1906).

Il y avait là un acte d'hostilité caractérisé, que ne pouvaient évidemment ni justifier ni même expliquer les principes de la discipline ecclésiastique invoqués par le pape dans les encycliques Vehemenler nos et Gravissimo, un acte d'hostilité qui répondait mal aux intentions conciliantes, aux dispositions libérales du gouvernement et qui, parlant, ne pouvait le laisser indifférent. Dès le 10 décembre, M. Clémenceau, président du conseil, répondant à une question de M. Grousseau, disait à la chambre (2e séance) : « Nous vous offrons le droit de réunion, tel qu'il a été établi il y a déjà longtemps, avant qu'il fût question de la séparation. Si vous voulez vous conformer à une loi qui a été faite pour tous les Français et au respect de laquelle aucun Français ne peut se soustraire, la paix est possible; nous vous l'offrons loyalement dans ces conditions. Au

contraire, si vous voulez la guerre, vous l'aurez et si vous nous cherchez, vous nous trouverez ». En fait, dans beaucoup d'églises, le culte public a pu être exercé régulièrement grâce à des déclarations faites par de simples citoyens.

Néanmoins le gouvernement a saisi les chambres d'un projet de loi destiné à régler la situation d'une manière précise (lu à la 2o séance de la chambre, 15 décembre 1906). D'après ce projet, la loi de 1905 reste en vigueur dans toutes ses parties, sauf en ce qui concerne les biens dont les associations cultuelles qui pourraient se former ont désormais perdu le bénéfice. Mais les fidèles reçoivent le droit d'assurer l'exercice public du culte par d'autres moyens que l'association cultuelle ils peuvent pour cela se servir de l'association telle qu'elle est réglée par la loi du 1er juillet 1901, combinée avec celle de 1881 sur la liberté de réunion. L'art. 1 du projet est ainsi conçu : « Indépendamment des associations soumises aux prescriptions des art. 18 et suiv. de la loi du 9 décembre 1905, l'exercice public d'un culte peut être assuré tant au moyen d'associations régies par la loi du 1er juillet 1901, art. 1, 9 et 12, que par voie de réunions qni continueront à pouvoir être tenues sur initialive individuelle, en vertu de la loi du 30 juin 1881 et selon les prescriptions de l'art. 25 de la loi du 9 décembre 1905 ». En ce qui concerne les églises, le projet nouveau laisse subsister intactes les règles établies par la loi de 1905 (art. 13). Mais l'art. 2, §§ 1 el 2, porte que les édifices affectés à l'exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront à être laissés jusqu'à leur désaffectation régulière à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion, que la jouissance gratuile en pourra être accordée soit à des associations (formées suivant la loi de 1901), soit aux ministres du culte ». Pour la liquidation des biens des établissements ecclésiastiques, le projet nouveau, considérant que devant la prohibition du pape, il n'y a pas lieu de prévoir la formation d'associations cultuelles, supprime le délai d'un an fixé par l'art. 11 du règlement du 17 mars 1906. On ne saurait méconnaître que ce projet respecte entièrement le principe de la liberté religieuse, en assurant aux catholiques le libre exercice de leur culte, sous la garantie de la loi. Espérons que malgré l'intransigeance aveugle de Pie X, il donnera la paix religieuse à notre pays. Le projet a été voté par la chambre avec quelques légères modifications le 21 décembre.

On a prêté en outre (Le Temps, 15 décembre 1906) au gouvernement l'intention de demander aux chambres le vote d'une loi d'après laquelle les ecclésiastiques qui se conformeraient aux ordres du Saint-Siège seraient considérés comme ayant accepté des fonctions publiques d'un gouvernement étranger et perdraient de ce chef la qualité de Français, conformément à l'art. 17, no 3 du code civil. Si pareille loi était volée, elle serait assurément une atteinte directe à la liberté de conscience, une véritable loi de proscription et en

outre une flagrante contradiction. En effet, de deux choses l'une, ou le Saint-Siège est un gouvernement, et alors il faut négocier avec lui; ou au contraire il n'est pas un gouvernement, dès lors le citoyen français qui, en vertu de ce qu'il considère comme un devoir de conscience, obéit à ses injonctions, ne peut en aucune façon être traité comme un fonctionnaire étranger. Le gouvernement paraît d'ailleurs avoir renoncé à ce projet.

Sur les rapports de l'église catholique et de la troisième république, outre les ouvrages cités à la page 620, cons. Despagnet, La République et le Vatican (1870-1906), 1906, avec préface d'Hanotaux; Debidour, L'église catholique et l'Etat sous la troisième République (1870-1906), 1906; Odin et Reynaud, La loi du 9 décembre 1905, 1906.

Babouvisme.. Outre les ouvrages cités à la page 639, cons. Buonarroti, Conspiration pour l'égalité dite de Babeuf, Bruxelles, 1828; Advielle, Histoire de Graccus Babeuf et du Babouvisme, 1884; Deville, Thermidor et Directoire, tome V, de l'Histoire socialiste publiée sous la direction de M. Jaurès, p. 302-336.

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Responsabilité de l'Etat. Outre les arrêts du conseil d'Etat cités à la page 670, cf. cons. d'Etat, 30 mars 1906 (Rec., p. 277) et 6 avril 1906 (Rec., p. 339). Cons. aussi Tirard, La responsabilité de la puissance publique, 1906.

La question de la responsabilité de l'Etat législateur vient de se poser devant le sénat (4 décembre 1906) pendant la discussion du projet de loi tendant à interdire l'emploi de la céruse dans les travaux de peinture. Malgré l'opposition du gouvernement, le sénat a voté un art. 3, d'après lequel les fabricants dont l'industrie sera atteinte par la prohibition de la loi nouvelle auront droit à une indemnité fixée par le tribunal civil. Nous n'avons pas à rechercher s'il y avait des considérations de fait de nature à justifier cette indemnité, mais seulement à poser et à résoudre la question de savoir si l'Etat qui établit par la loi une prohibition entraînant un préjudice pour certaines personnes est obligé, par le droit supérieur à lui, de payer une indemnité à ces personnes. Nous répondons non sans hésiter. Nous avons montré (p. 660) que l'Etat ne doit pas d'indemnité, alors même que sa loi viole le droit objectif. A fortiori, n'en doit-il pas quand la loi qu'il fait a pour but d'interdire, dans l'intérêt de la société, l'emploi d'un produit nocif, quand, d'une manière générale, il formule une règle conforme certainement au droit objectif. Mais, ont dit au sénat MM. Pouthier de Chamaillard, Guillier, Prevet, l'Etat exproprie une propriété industrielle, il doit donc nécessairement une indemnité. Il y a là une erreur que M. Viviani, ministre du travail, a justement relevée; il n'y a expropriation que lorsque l'Etat, par une décision individuelle, porte atteinte à une situation juridique déterminée; il n'y a pas expropriation

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