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ne peuvent être l'objet d'une sanction directe par la force matérielle. Il y a d'abord à cela une raison d'ordre psychologique, mais qui n'en est pas moins puissante. Les dispositions impératives de la loi s'adressent à une volonté. C'est la volonté du législateur qui veut s'imposer aux volontés des gouvernés; la loi tend à obliger une volonté, à vouloir telle chose. Or, il n'y a pas de puissance au monde qui puisse contraindre directement une volonté à vouloir ou à ne pas vouloir une certaine chose. Donc, en réalité, il n'y a jamais de force contraignante susceptible d'assurer directement l'application de la loi. Ce n'est point à dire que la contrainte n'intervienne pas; mais elle intervient tout à fait indirectement. Elle intervient quand la loi a été violée pour assurer une répression, une réparation, ou l'annulation de l'acte fait en violation de la loi. Elle intervient quand un acte a été fait conformément à la loi pour assurer la réalisation de l'effet légalement voulu.

Lois pénales. Ce sont celles qui paraissent le plus directement sanctionnées par la contrainte. Et cependant, même pour ces lois, on ne peut pas dire que la contrainte soit employée pour en assurer directement l'application. Sans doute, les mesures matérielles de police qui sont prises au nom de l'Etat et des communes pour assurer la tranquillité et la sûreté publiques, constituent un mode de sanction préventif matériel de la loi pénale. Mais ces mesures de police, tant qu'il n'y a pas eu violation de la loi, constituent-elles véritablement un emploi de la contrainte matérielle? Elles ne sont dirigées contre aucune personne déterminée. Elles sont une démonstration de la force publique, une sorte d'avertissement à tous ceux qui seraient tentés de violer la loi que la force est là pour assurer la répression s'il y a violation. La contrainte matérielle n'intervient réellement que lorsque la loi est violée. Un agent est spécialement compétent pour ordonner l'arrestation du présumé coupable; certains

agents peuvent procéder à cette arrestation; une juridiction déterminée est compétente pour apprécier si l'infraction a été commise et pour prononcer une certaine peine contre celui qui est convaincu d'en être l'auteur. La peine prononcée, mort, travaux forcés, réclusion, emprisonnement, sera matériellement exécutée contre le condamné. Voilà la contrainte matérielle. Elle n'apparaît que pour permettre d'exécuter la condamnation; car l'arrestation préventive ellemème n'a pas d'autre but que de permettre d'exécuter la condamnation. La contrainte matérielle est donc employée non pas précisément pour assurer l'exécution de la loi, mais l'exécution d'un jugement rendu conformément à la loi. Il est vrai que cette condamnation est destinée aussi à agir par voie préventive, par intimidation à l'égard de ceux qui seront tentés de commettre la même infraction. Mais on reconnaîtra qu'il y a là une sanction matérielle de la loi tout à fait indirecte.

Lois prohibitives non pénales. Il paraît tout à fait évident qu'elles ne sont pas, qu'elles ne peuvent pas être sanctionnées directement par la force. Leur sanction est une réparation pécuniaire ou une nullité, qui n'intervient naturellement que lorsqu'il y a eu violation de la loi. Si le fait défendu est un fait matériel, la force n'interviendra que lorsque l'agent compétent a constaté le fait et ordonné l'accomplissement d'une réparation; c'est cette décision juridictionnelle qui sera exécutée par la force, et non point la loi.

Si la manifestation de volonté interdite par la loi a eu lieu en vue de produire un effet de droit, la sanction est habituellement la nullité de l'acte. Mais il n'y a pas forcément nullité, et une disposition par voie. générale qui défendrait certains actes juridiques sans établir la sanction de la nullité, serait néanmoins une loi matérielle; la lex imperfecta est encore une loi. Cela résulte de tout ce qui précède: la nullité, comme la répression, la réparation n'est qu'un moyen imaginé

pour arriver indirectement à une sanction de la loi. Ces moyens peuvent être plus ou moins énergiques, plus ou moins incomplets; ils peuvent manquer même. La disposition restera quand même une loi, quand elle est générale et impérative, parce que sa vraie sanction se trouve dans son caractère de règle sociale. Aujourd'hui la lex imperfecta est extrêmement rare, et on peut dire que toute manifestation de volonté, faite avec l'intention de produire un effet de droit, est en règle frappée de nullité quand elle est contraire à un texte de loi. Cette nullité est prononcée ou constatée par un agent compétent, et c'est encore ici la décision de l'agent qui sera exécutée, si besoin est, par l'emploi de la contrainte matérielle. Il faut observer d'ailleurs que la nullité d'un acte fait en violation de la loi étant prononcée, il ne sera pas toujours possible, même par l'emploi de la force, de remettre les choses en l'état, et la nullité est un moyen quelque peu imparfait de sanction des lois.

Lois impératives. Ce sont celles qui imposent directement à certaines personnes l'obligation d'accomplir une certaine prestation, un certain agissement, comme les lois d'impôts ou encore les lois récentes sur les congrégations religieuses (L. 1er juillet 1901, art. 18 et L. 7 juillet 1904) ou sur la séparation des Eglises et de l'Etat (L. 9 décembre 1905). Pour les lois de ce genre, il n'y a pas non plus un mode de sanction directe par la force. La question de sanction ne se pose évidemment que lorsque la prestation ou l'agissement ordonnés par la loi ne sont pas effectués. En pareil cas, un acte juridique individuel doit intervenir, acte juridique proprement dit, acte administratif ou acte juridictionnel (le point importe peu), un acte qui fait naître une obligation pour un individu déterminé; et c'est cet acte individuel qui sera ramené à exécution par la force. Ce n'est point la loi, à vrai dire, qui est exécutée, c'est un acte de volonté individuelle émanant d'un agent de l'Etat et qui, fait con

formément à la loi, produit un effet dont la réalisation ou l'équivalent sont garantis par l'emploi de la con

trainte.

En résumé, on dit une chose peu exacte quand on définit la loi une règle obligatoire sanctionnée par la force. L'emploi de la force n'est pas étranger complèment à la sanction de la loi; mais il n'intervient jamais que tout à fait indirectement, pour assurer la réalisation d'un effet de droit voulu conformément à la loi, ou pour garantir une répression, une réparation ou une annulation au cas où un acte est fait contrairement à la loi. Pour certaines lois, l'emploi de la contrainte est impossible même indirectement. Tout ce qu'on peut dire dans une définition générale de la loi, c'est qu'elle est une règle édictée sous une sanction sociale. La formule est un peu vague, mais elle est seule exacte.

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B. La fonction administrative.

38. La fonction administrative et l'acte administratif. Il faut déterminer le caractère de la fonction administrative, comme nous l'avons fait pour la fonction législative, au point de vue purement matériel, c'est-à-dire au point de vue de la nature juridique interne de l'acte administratif, sans considérer le caractère de l'organe ou de l'agent qui fait l'acte. Au point de vue formel, la fonction administrative comprend tous les actes qui émanent d'organes ou d'agents auxquels la loi du pays considéré attribue le caractère administratif. Assurément cette conception formelle est commode, parce qu'elle dispense dans la pratique de faire une analyse juridique qui souvent est délicate. Mais cette conception, par cela même qu'elle est formelle, est artificielle; elle n'est pas adéquale à la réalité des faits. On a déjà dit que souvent des organes ou des agents, n'ayant certainement pas le caractère administratif, faisaient des actes certai

nement juridictionnels ou législatifs. A l'inverse des organes qui n'ont pas le caractère administratif, font parfois des actes qui sont intrinsèquement des actes administratifs, par exemple le parlement. Une théorie qui ne déterminerait pas le caractère interne de l'acte, indépendamment du caractère attribué à l'organe ou à l'agent qui l'a fait, serait incontestablement incomplète et artificielle. Cependant, il faut faire observer que le point de vue formel n'est pas sans intérêt pratique. La question de la recevabilité des recours contre un acte ne peut souvent être résolue que par la détermination du caractère appartenant à l'organe ou à l'agent qui l'a fait. Parfois tel acte, qui est certainement administratif, est insusceptible de recours parce qu'il émane d'un organe, le parlement par exemple, contre les décisions duquel les lois du pays considéré n'admettent pas de recours. A l'inverse, certains actes, qui ne sont pas administratifs de leur nature, sont cependant susceptibles d'un recours administratif, parce qu'ils émanent d'une autorité administrative. Mais ces questions se rattachent à la théorie des organes de l'Etat et non point à la théorie des fonctions, qui doit se suffire elle-même.

De même que nous avons déterminé la nature de la fonction législative par le caractère interne de l'acte législatif et sa répercussion dans le monde du droit, de même nous déterminerons à l'aide de ces éléments la nature de la fonction administrative. Si par la fonction législative l'Etat intervient dans le domaine du droit objectif, il est à présumer que par la fonction administrative i intervient dans un autre domaine juridique, qui ne peut être naturellement que le domaine du droit subjectif. En faisant la loi l'Etat formule une règle abstraite, sans considération d'espèce ni de personne. Il est à présumer qu'il n'en est pas ainsi quand l'Etat fait un acte administratif, et qu'alors l'Etat, en vue d'une situation particulière, entre en relation avec une personne déterminée. Enfin la loi est

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