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Bordeaux, Y. CADORET, impr., 17, rue Poquelin-Molière.

NOV 5 1920

AVERTISSEMENT

Ce n'est pas dans un pays de suffrage universel qu'il peut être besoin de démontrer l'utilité des études de droit public. Chacun participant à la puissance publique doit connaître le fondement et l'étendue des pouvoirs de l'Etat, le mécanisme des organes politiques. Ce livre s'adresse surtout aux étudiants des facultés de droit, mais aussi à tous ceux qui, soucieux de remplir leurs devoirs de citoyens en connaissance de cause, voudront étudier les principes de notre droit public. L'auteur espère en outre que ce Manuel pourra parfois être pour les maitres un commode instrument de travail.

Pour répondre à ces fins différentes, nous avons adopté une disposition typographique, qui, dans les savants ouvrages de M. Baudry-Lacantinerie et de M. Planiol sur le droit civil, a fait ses preuves. Les parties essentielles du Manuel sont imprimées en caractères plus gros; ceux qui voudront avoir de simples notions générales sur le droit constitutionnel pourront se contenter de cette lecture; elle représente le minimum de préparation pour les candidats au premier examen de droit. Tous les développements historiques, toutes les discussions théoriques et exégétiques, tous les renseignements bibliographiques sont imprimés en caractères plus

petits. Cette partie s'adresse aux candidats au doctorat politique, à tous ceux qui désireront approfondir les problèmes passionnants du droit public.

Le lecteur se demandera peut-être comment nous consacrons tout un chapitre (chap. I de la 1 partie) à l'exposé d'une théorie que nous avons combattue dans notre volume: L'Etat, le droit objectif et la loi positive (1901), la théorie de la personnalité et de la souveraineté de l'Etat. Ce n'est point que nous abandonnions les idées exposées autrefois; nous persistons à penser que cette conception de la souveraineté de l'Etat-personne est artificielle, contraire aux faits et par suite tout à fait antiscientifique, et l'on verra que dans l'exposé que nous en donnons nous n'avons point manqué d'en montrer les contradictions et les impossibilités. Mais dans un Manuel nous ne pouvions pas ne pas exposer une doctrine qui occupe une place encore prépondérante dans les théories françaises et étrangères du droit public moderne. Au surplus, il nous a semblé que le meilleur moyen de montrer le néant de cette doctrine était de l'exposer dans ses principes et ses conséquences.

Nous ne nous dissimulons point les imperfections de notre livre. Enseignant le droit public depuis 20 années, nous avons cru pouvoir tenter l'entreprise difficile d'un Manuel. Peut-être nous sommesnous trompé. En tous cas, nous serons profondément reconnaissant à tous ceux qui voudront bien nous signaler des lacunes ou des erreurs. Puisse notre effort rendre quelques services et inspirer à quelques-uns le goût du droit public!

Bordeaux, 11 septembre 1906.

INTRODUCTION

1. Le droit objectif et le droit subjectif. — Par le même mot droit, on désigne deux choses qui, sans doute, se pénètrent intimement, mais qui sont cependant tout à fait différentes, le droit objectif et le droit subjectif.

Le droit objectif ou la règle de droit est la règle de conduite qui s'impose aux individus vivant en société, règle dont le respect est considéré à un moment donné par une société comme la garantie de l'intérêt commun et dont la violation entraîne une réaction collective contre l'auteur de cette violation.

Le droit subjectif est un pouvoir de l'individu vivant en société. C'est le pouvoir pour l'individu d'obtenir la reconnaissance sociale du résultat qu'il veut, quand le motif qui détermine son acte de volonté est un but reconnu légitime par le droit objectif.

Ces expressions droit objectif et droit subjectif sont aujourd'hui courantes dans la terminologie juridique. Depuis longtemps déjà, elles sont communément employées par les jurisconsultes allemands, et, depuis quelques années, elles ont acquis droit de cité dans la littérature juridique de notre pays. D'aucuns le regrettent et critiquent ce qu'ils appellent dédaigneusement une importation germanique. Nous ne tenons pas aux expressions; mais nous tenons à la distinction qu'elles expriment et que les jurisconsultes français ont eu le tort pendant longtemps de ne pas faire nettement. A tout prendre, les expressions droit objectif et droit subjectif sont commodes, claires et précises, et, dès lors, l'emploi en est tout à fait légitime.

Sur la nature du droit objectif conçu comme règle de conduite sociale s'imposant à l'homme sous une sanction sociale, on est d'accord. Des divergences apparaissent relativement à la définition du droit subjectif; mais elles sont plus apparentes que réelles. A la

DUGUIT

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définition formulée précédemment, on oppose souvent celle donnée par Ihering : « Les droits sont des intérêts juridiquement protégés » (Esprit du droit romain, édit. française, 1878, IV, p. 326). L'opposition n'est qu'apparente; car le fondement du droit subjectif serait-il uniquement l'intérêt du titulaire de ce droit, la valeur sociale n'en apparaît qu'au moment où cet intérêt s'affirme à l'exté– rieur par une manifestation de volonté du titulaire du droit ou d'une autre personne, de telle sorte que socialement le droit subjectif se résume toujours en un pouvoir de vouloir. Cf. en ce sens Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, 2o éd., 1905, P. 44.

Certains auteurs distinguent les droits subjectifs et les réflexes du droit objectif; ils désignent par cette dernière expression les pouvoirs, qui résulteraient de la loi pour certaines volontés, mais dont la garantie ne serait pas socialement organisée. V. notamment Jellinek, System, p. 67-81. Il ne peut entrer dans le cadre d'un manuel de discuter à fond cette conception; il suffit de faire remarquer que l'impossibilité de fait, reconnue par M. Jellinek lui-même, de déterminer les cas où il existe un droit subjectif ou simplement un réflexe du droit objectif, constitue un grave préjugé contre cette doctrine et que, d'autre part, la notion du droit subjectif impliquant simplement la reconnaissance sociale d'un pouvoir-vouloir, il n'est point nécessaire pour qu'il y ait droit subjectif que la garantie du pouvoir-vouloir soit positivement organisée. Cf. Duguit, L'Etat, le droit objectif et la loi positive, 1901, p. 140 et suiv.

Pour bien poser et

2. Fondement du droit. bien comprendre la question, imaginons une société idéale où il n'y aurait pas d'autorité politique, pas de lois écrites. Dans une pareille société, existerait-il un droit et quel serait le fondement de ce droit?

Qu'il y ait un droit, cela nous paraît incontestable. Nous dirons même il faut qu'il y ait un droit. Nous savons bien que sous l'influence de Hegel et de lhering, tout une école, principalement en Allemagne, enseigne que le droit ne se conçoit que comme une création de l'Etat et n'a pu exister que du jour où un Etat constitué l'a formulé ou, tout au moins, l'a sanctionné. Il faut, à notre sens, énergiquement repousser une pareille conception. Ne pourrait-on pas établir le fondement du droit en dehors d'une création par l'Etat, il faudrait affirmer, comme postulat, l'existence d'un droit antérieur et supérieur à l'Etat. La conscience

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