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blic et contenues dans un règlement, se trouvent, comme cela arrive souvent, transférées dans une loi formelle. personne n'hésite à y voir désormais des dispositions ayant le caractère législatif matériel; cependant si elles n'avaient pas ce caractère avant, elles ne peuvent pas l'avoir après.

D'autre part enfin, il est impossible de dire, avec MM. Hauriou et Laband, que ces règlements d'organisation « se bornent à organiser ce qui est public, ne sortent pas de l'appareil administratif, ne réagissent pas sur les particuliers ». Sans doute ils ont pour but essentiel l'organisation intérieure des services publics: mais ils réagissent toujours plus ou moins sur les particuliers. On s'en convaincra aisément en parcourant les principaux règlements d'organisation. Est-ce que par exemple les nombreux règlements sur l'instruction publique n'atteignent pas tous les particuliers qui, sous une forme ou sous une autre, veulent profiter de l'enseignement public? Est-ce que les innombrables règlements sur l'armée ne touchent pas tous les Francais qui, avec le service militaire obligatoire, appartiennent, sauf quelques rares exceptions, à l'armée depuis l'âge de 20 ans jusqu'à celui de 45 ans? Est-ce que même les règlements, qui répartissent les affaires dans chaque département ministériel entre les directions, les divisions, les bureaux ne s'adressent pas aussi bien aux administrés intéressés qui doivent aller à tel ou tel bureau qu'aux employés du ministère qui doivent s'occuper de telle ou telle affaire? Ce qui montre bien que nous sommes dans le vrai, c'est l'embarras des auteurs que nous combattons, quand ils se trouvent en face d'une organisation, l'organisation d'un ministère par exemple, qui est régie en même temps par une loi et par un règlement. Le contenu de la loi et du règlement est alors exactement le même ; si l'on veut être logique, il faut dire que la loi et le règlement sont des actes administratifs. Or on n'ose pas dire que cette loi n'est pas une loi matérielle;

donc ce règlement, qui a le même contenu, est aussi, au point de vue matériel, un acte législatif.

Au reste, on a montré § 37) qu'on pouvait soutenir que toutes les lois s'adressaient exclusivement aux agents de l'Etat, que l'impératif de la loi ne s'adressait point aux particuliers. Cela est peutêtre paradoxal; mais cela peut ne pas être inexact. Si cela est vrai, et si l'on acceptait le raisonnement de M. Hauriou et de M. Laband, toutes les lois seraient des actes administratifs ; il n'y aurait plus de fonction législative. En tous cas, les lois civiles auxquelles les particuliers peuvent déroger par des conventions, conformément à l'art. 6 C. civ., s'adressent certainement exclusivement aux juges, agents de l'Etat, et non aux particuliers; ce ne sont donc pas des lois au sens matériel !

Reglements des organes ou agents administratifs. Non seulement le chef de l'Etat, mais encore beaucoup d'organes et d'agents, qui ont certainement le caractère d'organes ou d'agents administratifs, peuvent faire et font de nombreux règlements. On a déjà cité le préfet et le maire, qui ont en matière de police une compétence réglementaire très étendue (L.L. 5 avril 1884, art. 91, 95 et 99, 21 juin 1898 et 15 février 1902), le conseil général qui réglemente certains services départementaux (L. 10 août 1871, L. 14 juillet 1905, relative à l'assistance des vieillards et des infirmes, et le conseil municipal qui fait des règlements, notamment sur l'organisation de la police et des octrois L. 5 avril 1884, art. 102, 103, 137, 140). Il ne faut point hésiter à dire que de pareils règlements ont le caractère d'actes législatifs au point de vue matériel. Il faut faire complètement abstraction de l'organe qui fait l'acte et ne considérer que le contenu de l'acte. Les raisons sont les mêmes que précédemment, car elles ont été déduites non pas du caractère appartenant au chef de l'Etat, mais seulement de l'objet des règlements. Le règlement de police d'un préfet ou d'un maire est une disposition par voie générale, une disposition qui restreint le libre développement des activités individuelles; il a donc tous les caractères internes de la loi. Les règlements d'organisation émanés des conseils généraux et des conseils municipaux sont

des dispositions par voie générale, qui réagissent sur les particuliers, et par conséquent ce sont des actes législatifs matériels.

Mais en même temps, les règlements faits par des organes ou des agents administratifs sont incontestablement des actes administratifs au point de vue formel, et tous les recours administratifs, contentieux ou non, que la législation autorise contre les actes individuels, proprement administratifs, émanés de ces organes ou de ces agents, seront recevables contre leurs actes réglementaires.

Mais, dira-t-on, toute la discussion qui précède est dès lors sans intérêt. Point du tout. Il est très important, pratiquement, d'affirmer que les actes réglementaires sont au point de vue matériel des actes législatifs. En effet, si l'acte réglementaire est par nature un acte administratif, il rentre dans la compétence normale du fonctionnaire administratif, qui dès lors, ayant compétence sur une matière déterminée, aura par là même, et sans que cela soit spécifié par la loi, compétence pour faire et des actes individuels et des actes réglementaires. Par exemple, le fonctionnaire investi d'un pouvoir de police en général aura le pouvoir de faire des actes individuels de police et des actes réglementaires. Si, au contraire, on admet avec nous que les règlements n'ont pas la nature d'actes administratifs, ils ne rentrent pas dans la compétence normale de l'administrateur, qui ne peut faire, même sur une matière où il a compétence légale, des actes réglementaires que lorsque la loi lui en a donné expressément le pouvoir. Le fonctionnaire de police ne pourra faire des règlements de police que dans les cas où il a recu spécialement compétence à cet effet. Le fonctionnaire chef de service ne peut faire un règlement d'organisation que si la loi lui a donné spécialement compétence à cet effet.

Les auteurs qui voient dans les règlements des actes administratifs, enseignent logiquement que le pouvoir réglementaire rentre

normalement dans la compétence des agents administratifs. M. Hauriou dil bien que le pouvoir réglementaire de police se rattache normalement aux fonctions administratives (5o édit., p. 505). Beaucoup d'auteurs allemands, par exemple M. Rosin (Verordnungsrecht, p. 58) enseignent la même thèse, et Gneist a écrit : « Quand un agent a le pouvoir de commander ou d'interdire un cas partienlier, il peut de même le commander ou l'interdire pour tous les cas de la même espèce » (Rechtslexikon de Holzendorf, 3° édit., III, p. 1054).

Au point de vue du droit positif français, il nous parait incontestable que le pouvoir réglementaire des agents administratifs est quelque chose d'exceptionnel. Les lois ont toujours pris soin de spécifier les matières pour lesquelles les agents administratifs ont le pouvoir réglementaire, par exemple la loi du 5 avril 1884, art. 92 et 95 pour les maires, et la loi du 10 août 1871 pour les conseils généraux.

Cependant on a dit la preuve que les règlements sont simplement des actes administratifs et rentrent dans la compétence normale des agents administratifs, c'est que ces acles ne lient pas l'administration qui peut toujours les rapporter, tandis que l'administration est liée par la loi. L'argument ne porte pas, parce qu'on confond le point de vue formel et le point de vue matériel. L'agent administratif est compétent pour rapporter le règlement, parce qu'il est compétent pour le porter. Mais tant que le règlement subsiste, l'agent administratif, comme toute l'administration, comme tous les administrés, est lié par ce règlement. L'agent administralif qui a porté le règlement peut l'abroger par voie générale, le modifier par voie générale, mais tant qu'il subsiste il est lié par ce reglement, comme le législateur est lié par la loi qu'il a faite, tant qu'elle subsiste.

Sur les actes réglementaires, cons. Valegeas, Le pouvoir réglementaire, these Bordeaux, 1895; Balakowski-Petit, La loi et l'ordonnance dans les Etats qui ne connaissent pas la séparation des pouvoirs, thèse Paris, 1901; Moreau, Le règlement administratif, 1902; Raiga, Le pouvoir réglementaire du président, these Paris, 1903; Cohen, La loi et le règlement, thèse Paris, 1903; Jellinek, Gesetz und Werordnung, 1887; Rosin, Werordnungsrecht, 2e édit., 1895: Juille, Le domaine du règlement présidentiel, thèse Paris, 1905. Cf. infra, §§ 140 et 141.

41. Les actes politiques ne sont pas des actes administratifs. Il importe d'éviter ici une confusion souvent faite. On entend quelquefois par acte politique tout acte fait par l'autorité publique en vue d'un but politique, et on dit même qu'un acte, qui de sa nature interne est un acte administratif, devient

un acte politique quand il est fait en vue d'un but politique. On a dit aussi qu'un acte administratif, fait en vue d'un but politique, devenant un acte politique, échappait aux recours administratifs de droit commun, alors même qu'il émanât d'une autorité dont les actes étaient en principe susceptibles d'être attaqués par ces recours. Mais cela touche au point de vue formel, et on n'y insistera pas. Reste seulement a savoir ce qu'est un but politique. Dans son sens propre et élevé, la politique est l'art de gouverner les peuples. Un acte serait donc déterminé par un but politique, lorsqu'il aurait pour but le gouvernement du peuple suivant les règles de l'art politique. Assurément, quand on parle de but politique, on ne l'entend pas en ce sens-là. En effet, dans le langage courant, la politique est l'art d'arriver au pouvoir et aux places et de s'y maintenir. Dès lors, l'acte politique ou l'acte fait dans un but politique, c'est l'acte fait ou ordonné par les hommes qui sont au pouvoir dans le but de s'y maintenir, d'écarter les hommes ou les faits qui pourraient compromettre leur situation. En d'autres termes, l'acte politique serait l'acte fait ou ordonné par un gouvernement pour assurer sa propre sécurité. D'où le nom d'actes de gouvernement donnés souvent à ces sortes d'actes.

Dans une doctrine qui, à un moment donné, a compté des partisans autorisés, on disait : l'acte de sa nature interne acte administratif, fait dans un but politique ainsi compris, cesse d'être un acte administratif pour devenir un acte politique, un acte de gouvernement; et la conséquence en est que les recours, habituellement recevables contre les actes administratifs, ne sont point recevables contre l'acte politique. Cette opinion. est aujourd'hui à peu près unanimement rejetée. L'acte administratif ne peut changer de nature suivant qu'il est inspiré à l'autorité par telle ou telle considération. Il a une certaine nature indépendante de son but, et cette nature ne peut changer suivant le but

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