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pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et comme on avait une fonction législative répondant au pouvoir exécutif, on voulut avoir aussi une fonction exécutive répondant au pouvoir exécutif, et finalement on ne donna pas d'autre définition de la fonction exécutive que celle-ci est fonction exécutive tout ce que fait le pouvoir exécutif. C'était évidemment une définition purement formelle.

Mais cette fonction exécutive n'est-elle pas reconnue par l'art. 3 de la loi const. du 25 février 1875 : « Le président de la république assure et surveille l'exécution des lois »? Quelle a été exactement la pensée des rédacteurs de la loi de 1875, il est difficile de le dire. Mais nous sommes convaincu que le texte n'implique pas la reconnaissance d'une fonction particulière, la fonction exécutive. Ce texte indique seulement dans une formule générale de style une série d'attributions qui appartiennent au président de la république. Si l'on passe en revue une à une ces diverses attributions, il est facile de montrer qu'elles rentrent toutes dans l'une des trois fonctions législative, administrative ou juridictionnelle et que par conséquent elles ne forment pas le contenu d'une quatrième fonction distincte des autres.

C'est d'abord la disposition de la force armée (L. 25 février 1875, art. 3, § 3). Quel est exactement le caractère de cette fonction? Si l'on y voit le commandement même des troupes; cela n'est pas à proprement parler une fonction juridique, mais simplement une opération d'ordre matériel que l'on ne peut pas faire rentrer dans le cadre d'une fonction juridique quelconque de l'Etat. Si l'on y voit la fonction consistant à mettre en mouvement, d'une manière obligatoire pour elle, une autorité militaire déterminée, l'acte qui sera fait réunira tous les caractères de l'acte administratif et sera un acte administratif.

Beaucoup d'auteurs font rentrer dans la fonction. exécutive les règlements, aussi bien ceux qui ont pour

but de compléter une loi, de régler les détails d'application d'une loi que ceux qui ont pour but d'organiser un service public. On a montré déjà au § 40, que les règlements complémentaires d'une loi ont le caractère législatif matériel et qu'il en est de même des règlements organisant des services publics, parce qu'ils établissent eux aussi une règle générale dont l'application forcément, et quoi qu'on en dise, réagit toujours sur les particuliers.

On fait encore rentrer très souvent dans la fonction exécutive les actes qui sont relatifs à l'impulsion que le gouvernement donne à toute la machine administrative et judiciaire d'un pays, la direction qu'il lui imprime, pour l'application de telle ou telle loi, pour le fonctionnement de tel ou tel service.

C'est ce que beaucoup d'auteurs appellent la fonction gouvernementale, expression qui se trouve même dans le préambule du décret du 25 mars 1852 : « Considérant que si l'on peut gouverner de loin, on n'administre bien que de pr's... ». D'après M. Ducrocq. « le gouvernement est la portion du pouvoir exécutif qui a mission de diriger le pays dans les voies de son développement intérieur et de ses relations extérieures, tandis que l'administration en est le complément et l'action vitale» (I, p. 28, 7o éd.). D'après M. Laferrière, « administrer c'est assurer l'application journalière des lois: gouverner c'est pourvoir aux besoins de la société politique tout entière, veiller à l'observation de la constitution, au fonctionnement des grands pouvoirs publics, à la sécurité intérieure et extérieure » (II, p. 33). Cf. des définitions aussi vagues et aussi peu juridiques dans Dareste, Juridiction administrative, 2o éd., p. 212, Aucoc, Conférences, I, p. 12.

Que les hommes qui détiennent le gouvernement doivent faire tout cela, c'est incontestable; mais pour le faire ils feront des actes qui n'auront au point de vue du droit que le caractère législatif, administratif ou juridictionnel. Nous exceptons, bien entendu, les actes diplomatiques, que nous avons mis dans une classe à part et dont nous entendons ne pas parler (cf. § 42, in fine). Cette impulsion qui constitue, dit-on, le propre de la fonction exécutive, est donnée d'abord très souvent par ces décrets réglementaires qui complètent les lois, qui organisent les services publics.

Nous avons dit que c'étaient des actes législatifs matériels. Cette impulsion est donnée par les nominations des fonctionnaires, actes de première importance pour la bonne direction et l'orientation des affaires d'un pays. Or ce sont incontestablement des actes administratifs proprement dits. Enfin cette impulsion est donnée par des instructions verbales ou par écrit, individuelles ou générales, adressées à des fonctionnaires. Nous avons établi précédemment qu'il n'y avait pas là d'acte juridique (cf. § 42, n° 4).

On peut donc conclure qu'il n'y a pas de fonction exécutive, fonction juridique spécifique de l'Etat, qu'il ya sans doute une mission que le gouvernement doit remplir, qu'on appelle souvent la fonction exécutive, la fonction gouvernementale, mission qui consiste à donner l'impulsion et la direction à l'Etat; mais cela c'est un but à atteindre, ce n'est pas une fonction au sens juridique. Pour atteindre ce but, il est fait ou bien des actes qui n'ont pas en soi le caractère juridique, ou des actes qui rentrent dans une des trois catégories, législative, administrative ou juridictionnelle.

Chez certains auteurs, la confusion de la notion de pouvoir élément de la souveraineté, avec la notion de fonction, a produit des conceptions nuageuses et bizarres, dont le modèle se trouve dans Tœuvre célèbre de Lorenz Stein (Verwaltungslehre, I, 1869). D'après lui, le moi de l'Etat est le souverain, le support de la personnalité autonome et organique de l'Etat, quelle que soit sa forme; T'acte par lequel l'Etat détermine les motifs qui le font agir, juge au sens logique, c'est la législation; la volonté de l'Etat tendant à s'extérioriser et pouvant s'imposer même par la force, c'est l'exécution qui est ainsi la volonté même de l'Etat, inspirant les manifestations extérieures qui forment l'administration au sens général du

mot.

M. Hauriou, dont la pensée se rapproche certainement de celle de Lorenz Stein, fait une place importante au pouvoir exécutif. Il déclare que c'est une hérésie constitutionnelle de croire que le pouvoir exécutif se borne à exécuter la loi... parce que le pouvoir exécutif assure l'exécution des lois, mais les dépasse par ses règlements et par ses organisations » (5e édit., p. 184). Nous avions cru jusqu'à présent que dans ses règlements et ses organisations le pouvoir exécutif devait rester dans les limites fixées par les lois. Mais passons. Le savant auteur ajoute : « Il y a une grande utilité

à conserver la notion traditionnelle que la fonction administrative est la manifestation d'un pouvoir spécial de l'Etat, le pouvoir exécutif distinct du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire... Ce pouvoir fera apparaître l'Etat et tous les rouages de son administration doués de quelque autonomie comme des individualités agissantes parce que le propre de l'action est de se rapporter à des êtres. C'est donc par l'exercice de leur pouvoir exécutif que l'Etat et les diverses administrations s'individualisent... On remarquera que je fais de l'organe exécutif un élément de l'individualité de l'Etat plutôt que de sa personnalité; la personnalité n'est en effet engendrée que par la réaction sur l'individualité volontaire d'un élémen! représentatif émané du milieu social et qui s'appellera l'organe législatif ou l'organe délibérant (Droit administratif, 5o édit., p. 184 et 185, note 1). M. Hauriou renvoie à son article de la Revue générale de droit, 1898, p. 1, et à son livre, Leçons sur le mouvement social, 1898, 2e appendice. Nous renonçons à saisir et à discuter ces mystérieuses doctrines.

CHAPITRE III

LES ORGANES DE L'ÉTAT

48. Le gouvernement et la force matérielle.En parlant des organes de l'Etat, nous n'entendons aucunement adopter la doctrine biologique ou la doctrine juridico-organique. La première est une pure hypothèse, qui n'a rien de scientifique. La seconde affirme que les collectivités parvenues à un certain degré d'intégration, que l'Etat sont des personnes réelles; que l'activité volontaire de ces personnes, de l'Etat, se manifeste par l'action d'individus humains qui sont leurs organes juridiques (cf. § 50); mais elle n'explique rien de tout cela. L'expression organes n'implique dans notre pensée l'acceptation d'aucune théorie particulière. Nous désignons ainsi tous les individus ou tous les groupes d'individus qui participent à l'exercice de l'activité volontaire de l'Etat. D'après le postulat qui est à la base de la théorie générale de l'Etat, exprimée dans nos constitutions révolutionnaires et aussi à la base de la théorie dominante dans la doctrine moderne, l'Etat est une corporation territoriale souveraine; il est une personne collective fixée sur un territoire et ayant une souveraineté. Cette souveraineté, on le sait, est une volonté. Cette volonté est source d'activité. Pour que cette activité puisse s'exercer sous une forme quelconque, il faut que des individus humains soient préposés à l'exercice de cette activité au nom de l'Etat. On peut

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