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cela n'est point un droit subjectif de la personne-organe, mais seulement le pouvoir d'exercer les droits dont la personne collective est titulaire. En second lieu la personne constituée organe a un droit subjectif à être reconnue comme organe, et ce droit elle l'a contre tout le monde, contre la collectivité personne juridique, contre tous les individus pris séparément et dont l'ensemble forme la personne collective.

On a indiqué plus haut la différence théorique existant entre le mandataire et l'organe : le mandataire a une personnalité distincte de celle du mandant; la volonté qu'il exprime est sa propre volonté, et ce n'est que par représentation qu'elle est traitée comme la volonté du mandant, personne individuelle ou personne collective; l'organe en tant qu'organe n'a pas de personnalité distincte de celle de la collectivité; et c'est bien la volonté de la collectivité qu'il exprime directement. De cette différence théorique découlent des conséquences pratiques. Aucun rapport n'existe entre la collectivité et ses organes, entre l'Etat et ses organes; un rapport peut bien exister entre l'Etat et les individus supports de ses organes; mais ce rapport n'est point régi par les règles du mandat, et la responsabilité de l'individu support d'organe envers la collectivité, l'Etat ou une autre personne collective, ne doit doit point être assimilée à la responsabilité du mandataire envers son mandant. Lorsqu'un organe a fait un acte au nom d'une corporation, si les effets juridiques de cet acte sont en question, la corporation est seule partie intéressée et responsable; l'organe ne peut pas être mis en cause. C'est en vertu de la même idée qu'on explique la responsabilité délictuelle et même la responsabilité pénale des personnes collectives si lorsque l'organe veut et agit, c'est véritablement la collectivité qui veut et agit, quand l'organe a commis une faute, c'est véritablement la personne collective qui a commis la faute, et par conséquent sa responsabilité délictuelle et même pénale peut être engagée. Cf. Mestre, Les personnes morales et le problème de leur responsabilité pénale, 1899.

Si l'organe se distingue du mandataire, l'un et l'autre doivent être soigneusement distingués du préposé. Le mandataire est celui qui fait un acte juridique pour une autre personne. Le préposé est celui qui accomplit pour le compte d'un autre un certain agissement, mais n'ayant pas le caractère d'acte juridique. Peu importe d'ailleurs le rapport de droit pouvant exister entre le préposant el le préposé ce peut être un mandat, un louage de service, une gestion d'affaires. La qualité de préposé ne dérive pas de tel ou tel rapport de droit unissant le préposant et le préposé; elle résulte de ce fait qu'un individu accomplit un certain agissement, n'ayant pas le caractère d'acte juridique, dans l'intérêt d'une autre personne. Le mandataire fait au contraire un acte juridique pour une autre personne; il n'y a de mandataire qu'à cette condition. La même différence sépare l'organe et le préposé. L'organe est instrument de

vouloir et d'agir d'une personne collective. Or, dans la conception juridico-organique, les personnes collectives sont exclusivement des personnes juridiques; elles n'ont qu'un vouloir et un agir juridiques; elle ne peuvent faire que des actes juridiques. Un individu ou un groupe d'individus ne peut donc être l'organe d'une corporation ou de l'Etat, qu'en tant qu'il fait des actes juridiques. Tout individu qui accomplit au profit d'une corporation un agissement n'ayant pas le caractère d'acte juridique, n'agit pas comme organe de cette corporation, mais comme préposé. Tous les actes purement matériels, accomplis par les nombreux agents des collectivités politiques ou autres, par exemple par les agents de l'Etat, n'ont pas le caractère d'actes juridiques, et les agents qui les font ne sont pas des organes, mais des préposés de la personne collective et particulièrement de l'Etat. Comme le fait observer M. Jellinek, pour tous les actes qui n'ont pas le caractère d'actes juridiques, la personne collective, l'Etat lui-même, ne peut point s'approprier l'activité de l'individu. L'Etat peut provoquer, ordonner, diriger cette activité; mais cette activité reste proprement individuelle. Il en résulte que toutes les conséquences qui se rattachent à la qualité d'organe ne s'appliquent point ici. Cf. Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 2° édit., 1905, p. 252 et 546.

C'est surtout M. Jellinek qui, dans son ouvrage (Allgemeine Staatslehre, 2 édit., 1905, p. 526 et suiv.), a fait à l'Etat l'application de la théorie générale de l'organe juridique. L'Etat étant conçu par l'école allemande comme une corporation, il est logique de lui appliquer la théorie de l'organe corporatif. Tout d'abord une distinction fondamentale est faite entre les organes directs et les organes indirects de l'Etat. Dans tout Etat existent un ou plusieurs organes directs qui donnent sa forme à l'Etat. Ces organes sont appelés directs parce qu'ils dérivent directement de l'organisation constitutive de l'Etat. Ils existent directement par cela même qu'un Etat se constitue. Il n'y a personne à qui par suite de leur qualité d'organes ils soient subordonnés. Ils sont en réalité l'Etat lui-même; et, suivant l'expression de M. Jellinek, sans lui il n'y aurait qu'un néant juridique. La structure de ces organes directs a varié el peut varier à l'infini. Un homme peut être à lui seul l'organe de toute la puissance étalique. La monarchie absolue est le type d'Etat avec un organe individuel unique. Des collèges de personnes physiques peuvent former des organes directs. Ces organes directs collégiaux peuvent être l'assemblée du peuple, le corps électoral, le parlement. Comme on l'a déjà dit (§ 22) dans cette théorie de l'organe la nation cesse d'être une personne collective titulaire de la souveraineté originaire et inaliénable et devient un simple organe de l'Etat seul titulaire de la puissance politique. Quand un collège quel qu'il soit est organe de l'Etat, il n'y a pas autant de volontés qu'il y a de membres du collège; il n'y a qu'une volonté collégiale, et cette volonté une de l'organe collégial est directement la volonté de

TEtat. Quant aux membres du collège-organe, ils sont eux aussi des organes; ils sont organes de l'organe-collège, lequel est organe de l'Etat; et pour cette raison on appelle les individus composant les organes collégiaux, des organes-parties. Des corporations peuvent elles-mêmes être organes directs d'un Etat. Dans l'Etat fédéral, les Etats-membres, qui le composent, sont organes directs de l'Etat central.

Les organes directs sont ou des organes de création ou des organes créés. Un organe direct peut exister par cela seul que l'ordre juridique attribue directement à des individus ayant une certaine situation la qualité d'organes, par exemple la qualité de monarque à tel membre d'une famille, la qualité d'électeurs à tels citoyens. Mais il peut se faire qu'un organe ne puisse exister qu'au moyen d'un acte juridique spécial ayant pour objet la création d'un organe direct. L'organe naissant ainsi est un organe direct créé. Les personnes établissant par un acte de volonté des organes directs, forment un organe direct de création. Juridiquement aucun rapport n'existe entre l'organe créateur et l'organe créé.

L'organe créé est un organe direct; juridiquement il est complètement indépendant de l'organe créaleur. L'organe créé n'est point un mandataire de l'organe créateur; il n'est même pas un organe de l'organe créateur, et ainsi l'organe direct créé se distingue de l'organe direct secondaire. Toute monarchie élective offre l'exemple d'un organe direct créé ; par exemple l'ancienne monarchie polonaise, le Saint Empire dont le chef était élu par les princes électeurs. Dans l'Eglise catholique, le pape élu par le collège des cardinaux, est un organe direct créé et complètement indépendant en fait et en droit du Sacré Collège, organe de création. Dans l'esprit de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, le président de la république est un organe créé par les chambres réunies en assemblée nationale; il est un organe direct créé, complètement indépendant en droit des chambres, organe de création. L'acte de création est en réalité une condition à l'arrivée de laquelle est subordonnée l'application de la loi organique, donnant la qualité et le pouvoir d'organe à tel individu ou à tel groupe d'individus. On comprend ainsi comment l'organe créé peut avoir des pouvoirs plus étendus que ceux de l'organe créateur, comment par exemple il n'est point illogique (contrairement à ce que l'on dit souvent) que notre président de la république, créé par le parlement, puisse dissoudre une partie du parlement, la chambre des députés ; il ne serait pas plus illogique qu'il pùt aussi dissoudre le sénat.

Voisine de la distinction qui précède, mais cependant distincte d'elle, apparait une autre classification des organes directs : les organes directs primaires et les organes directs secondaires. L'organe direct secondaire d'une corporation est l'organe direct d'un organe direct de cette corporation. L'organe direct secondaire de l'Etat est un organe direct d'un organe direct de l'Etat. Quand par suite de

sa nature propre ou de diverses autres circonstances, un organe direct de l'Etat ne pent exprimer sa volonté que par l'instrument d'un organe, celui-ci est un organe direct de l'organe direct de l'Etat, et organe direct secondaire de l'Etat. Conformément à la notion d'organe, la volonté de l'organe secondaire est la volonté même de l'organe direct dont il est l'organe. A'nsi l'organe secondaire est bien un organe direct de l'Etat, puisqu'il est l'instrument de volonté d'un organe direct; cependant il se distingue de l'organe direct primaire, puisqu'il est organe de celui-ci. On voit ainsi la différence qui d'après cette théorie sépare l'organe direct créé et l'organe direct secondaire. L'organe direct créé n'est point un organe de l'organe de création. D'ailleurs l'organe secondaire n'est point mandataire de l'organe primaire. Cependant il faut qu'il y ait autant que possible adéquation entre la volonté de l'organe primaire et celle de l'organe secondaire. Aux rapports de l'organe primaire et de l'organe secondaire, M. Jellinek rattache tout ce qu'on appelle improprement la représentation politique. Le parlement est un organe direct de l'Etat, mais un organe secondaire; sa volonté vaut comme volonté de l'organe primaire, en général le peuple, le corps électoral dont il est l'organe; et, dans cette conception, cela peut être vrai même d'un parlement non électif (cf. infra, § 53,.

Enfin aux organes directs primaires ou secondaires, on oppose les organes indirects. Ce sont ceux qui ne reposent pas directement sur la constitution, mais résultent d'une commission individuelle à eux donnée. Les organes indirects sont toujours directement ou indirectement subordonnés à un organe direct et responsables visà-vis de lui. Cette subordination et cette responsabilité peuvent être limitées; elles peuvent être considérablement réduites, comme pour les agents judiciaires, mais elles existent toujours. L'activité de l'organe indirect est une activité dérivée. Par là on n'entend point que la compétence de l'organe indirect soit une concession d'une compétence appartenant à l'organe direct qui le constitue; mais on veut dire que, d'après leur origine, les organes indirects sont des individus qu'établit un organe direct pour exercer une certaine fonction étatique sous son autorité, son impulsion et sa direction. Des collectivités peuvent être organes indirects de l'Etat. Dans les Etats unitaires, mais décentralisés administrativement, les unités administratives locales décentralisées sont des organes indirects. On a vu plus haut qu'au contraire les Etats membres d'un Etat fédéral étaient des organes directs de cet Etat.

Cette distinction faite par la théorie juridico-organique entre les organes directs et les organes indirects est certainement analogue à la distinction faite en France entre les représentants et les agents.

Assurément, cette théorie juridique de l'organe échappe aux objections faites à la théorie du mandat représentatif. Elle maintient véritablement l'unité dans l'Etat et elle n'aboutit point à une alié

nation de la souveraineté. L'Etat est et reste une personne corporaralive et indivisible, seul titulaire de la puissance publique; les gouvernants, les fonctionnaires, la nation, le parlement, le chef d'Etat sont des individus qui expriment la volonté de l'Etat ; ce ne sont pas eux qui veulent et qui agissent; c'est l'Etat qui veut et agit par eux. Il y a entre eux et l'Etat une union intime et indissoluble, aussi étroite que celle de l'homme individuel et de ses organes. Tous les faits politiques modernes, et notamment l'irresponsabilité des chefs d'Etat et des parlements, la responsabilité directe de l'Etat vis-à-vis des particuliers s'expliquent facilement. Cette forme juridique nouvelle, l'organe, semble offrir ainsi un cadre à la fois assez résistant pour servir de fondement à une théorie juridique solide, assez souple et assez large pour comprendre les phénomènes si complexes et si divers du monde politique moderne.

Mais celte doctrine se heurte à une très grave objection. Les organes appelés directs sont, dit-on, donnés directement par l'organisation même de la corporation, par la constitution même de l'Etat; ils sont, ajoute-t-on, l'Etat lui-même et sans eux il n'y a pas d'Elat. Nous répondons : si ce sont là des organes, il faut qu'il y ait derrière eux une volonté dont ils soient les organes; ils n'existent comme organes que par celle volonté; mais cette volonté est une volonté collective qui n'existe elle-même que par ses organes. Finalement, est-ce la volonté de l'Etat qui existe par les organes, ou sont-ce les organes qui existent par la volonté de l'Etat ? C'est là une impasse de laquelle on ne peut point sortir.

Ce n'est pas tout. Acceptons que les organes directs dérivent directement de la constitution. Cette constitution émane de l'Etat. Elle est une manifestation de la volonté de l'Etat ; or, pour exprimer sa volonté, il faut à l'Etat, personne collective, au moins un organe. Donc les organes directs sont créés par l'organe de l'Etat qui a compétence pour faire la constitution. Mais l'organe constituant lui-même, d'où vient-il? Organe direct, il émane de la volonté de l'Etat ; il sera lui aussi un organe créé par un autre organe. Et ainsi de suite. Où done trouver l'organe véritablement direct et primaire, le premier organe de création? Nous n'apercevons que des organes créés et le vrai problème du droit public est de saisir l'organe vraiment créateur. La théorie juridico-organique le passe sous silence, et s'enferme ainsi dans un cercle vicieux. Cf. Duguit, loc. cit., p. 51.

Finalement la théorie juridico-organique rencontre des objections aussi graves que celles faites à la théorie du mandat représenlatif; il n'y a donc pas de raison pour abandonner cette dernière qui cadre seule avec les textes de nos constitutions.

La doctrine juridique de l'organe vient d'avoir une adhésion précieuse pour elle, celle de M. Michoud, qui, dans son beau livre (Théorie de la personnalité morale, 1906`, l'adopte complètement, en faisant toutefois certaines précisions, qu'il a tout à fait raison

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