Page images
PDF
EPUB

de faire, p. 131 et suiv., el pour les précisions, p. 138 et 139. M. Michoud nous fait l'honneur de disculer les objections que nous avons essayé de formuler contre la théorie; et il écrit: « M. Duguit dit : pour créer l'organe, il faut déjà une volonté... L'objection ne porle pas. L'organe est considéré comme faisant partie essentielle de la personne morale; il n'est pas créé par elle, il est créé en même temps qu'elle par les forces sociales qui ont produit sa naissance et en même temps déterminé sa constitution. Elle n'a existé juridiquement qu'au moment où elle a eu des organes. Le mode de nomination et les pouvoirs de ceux-ci ont été déterminés non par elle, mais par les premiers statuts, œuvre des personnes physiques ou morales préexistantes qui ont concouru à sa formation, ou, s'il n'y a pas de statuts, par les coutumes qui se sont peu à peu formées à l'intérieur de la collectivité » (p. 136. La réponse est ingénieuse et subtile. Nous croyons cependant qu'elle ne détruit pas notre objection, qui du reste ne visait que l'Etat. Considérons ici cependant et l'Etat et les personnes morales autres que l'Etat. Pou l'Etat, le raisonnement de M. Michoud se ramène à ceci : l'Etat naît spontanément muni d'organes, qui se constituent sous l'action de la coutume; et précisant sa pensée dans la note 1 de la p. 137: « En réalité la constitution de l'Etat n'est pas son œuvre; elle est l'œuvre des forces qui, à un moment donné de son histoire, se disputent la direction politique. On ne doit considérer comme l'œuvre de l'Etat que les modifications constitutionnelles volées conformément à une constitution antérieure ». Que les constitutions des Etats s'établissent sous l'influence de forces sociales supérieures à la volonté des hommes, cela est vrai non seulement pour les Etats nouveaux qui se forment, mais aussi pour les Etats anciens qui se transforment; et nous n'apercevons pas la raison de faire une distinction à cet égard entre la constitution primaire d'un Etat et les modifications ultérieures que reçoit cette constitution. Nous admettons bien l'existence de ces forces sociales; mais ces forces qui enfantent le droit, le droit constitutionnel d'un Etat, sont incontestablement des forces humaines, et par conséquent des forces psychologiques. M. Michoud certainement ne dira pas que ce sont des forces physiques ou physiologiques uniquement. A ces forces psychologiques il faut une conscience, une volonté qui leur serve de support. Que ce soient les consciences et les volontés individuelles. nous le voulons bien; mais il restera à expliquer comment ces consciences et ces volontés individuelles peuvent créer l'organe de vouloir de la personne collective Elat; M. Michoud ne l'explique point et probablement ne pourra pas l'expliquer. Il reste donc que ces forces psychologiques ont pour support la volonté et la conscience collectives, c'est-à-dire de l'Etat et dès lors c'est par sa propre volonté que l'Etat s'est constitué à lui-même un organe. Il s'est donc constitué un organe par une volonté qui s'est manifestée sans qu'il y ait un organe, et nous voilà revenus à l'objection telle qu'elle a été précédemment formulée.

Pour les personnes morales autres que l'Etat nous admettons volontiers qu'on peut dire que l'Etat lui-même en les reconnaissant on que les fondateurs en les créant, conformément à la loi, leur donnent des organes et qu'ainsi elles se trouvent investies d'organes au moment où elles naissent par une volonté qui n'est pas la leur. Mais il reste à expliquer comment une volonté ou plusieurs volontés individuelles peuvent ainsi constituer ces personnes morales organisées, ayant une existence propre, une réalité distincte de celle des individus qui les fondent. Cela est au reste tout le problème de la personnalité morale, que nous ne voulons point discuter ici et à la solution duquel M. Michoud, nous nous plaisons à le constater, a par son beau livre apporté une très remarquable contribution.

Pour d'autres critiques faites à la théorie juridique de l'organe, ef. Schlossmann, Organ und Stellvertreter, Jahrbücher de lhering, XLIV, 1902, p. 300-301. Sur la théorie de l'organe, outre les auleurs déjà cites, cf. Preuss, Ceber Organpersonlichkeit, Jahrbücher de Schmoller, XXVI, 1902, p. 136.

A. L'organe direct suprême.

51. Le gouvernement direct. En parlant d'organe direct suprême, nous voulons désigner la nation, titulaire de la souveraineté originaire, en tant qu'elle est organisée pour exprimer sa volonté. Il est matériellement impossible que tous les membres de la nation participent à l'expression de la volonté nationale. On a expliqué que le principe de la souveraineté nationale n'impliquait point le droit pour tous les membres de la nation de participer à l'exercice de la souveraineté (cf. supra, § 23). Chaque pays détermine ceux qui sont considérés comme étant les plus aptes à exprimer cette volonté; là, ce sont tous. les individus mâles et majeurs sans condition de cens ou de capacité particulière; ici, on exige certaines conditions spéciales; là, tous les individus associés à la puissance politique n'ont chacun qu'une voix; ailleurs, le nombre des voix de chacun est variable. Peu importe l'assemblée des individus exprimant la volonté nationale a toujours le même caractère; nous l'appelons le corps des citoyens ou plutôt le corps

DUGUIT

10

électoral, parce que cette expression est la plus répandue, bien qu'elle ne soit pas toujours exacte comme on va le voir.

Le corps des citoyens n'est pas un organe au sens de la doctrine juridico-organique précédemment expliquée. Le corps des citoyens n'est pas davantage un corps représentatif de la nation. Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait que le corps des citoyens eût une existence distincte de la nation, et que la nation pût exprimer sa volonté autrement que par lui. On peut dire que le parlement est organe représentatif de la nation, parce que la nation exprime sa volonté par le parlement; mais elle pourrait l'exprimer autrement. Au contraire, on ne peut pas imaginer que la notion exprime sa volonté autrement que par le corps des citoyens. Dès lors, on comprend ce que nous voulions dire plus haut en disant que le corps des citoyens ou le corps électoral est la nation elle-même en tant qu'elle est organisée pour exprimer sa volonté. Comme dans la conception française la nation est titulaire de la souveraineté primaire, le corps des citoyens exprime directement la souveraineté primaire. Voilà pourquoi nous l'appelons l'organe direct suprême.

Cela posé on peut concevoir deux systèmes de gouvernement. La nation elle-même ou plus exactement le corps des citoyens exprime directement la volonté. souveraine, en exercant lui-même les diverses fonctions de l'Etat. Ce mode de gouvernement est, suivant une terminologie traditionnelle, appelé gouvernement direct. Au contraire, le corps des citoyens peut constituer un individu, ou plusieurs individus, ou un groupe d'individus, ou plusieurs groupes d'individus qui seront ses représentants, c'est-à-dire que la volonté qu'ils exprimeront sera considérée comme si elle était la volonté même du corps des citoyens, de la nation. Ce mode de gouvernement est appelé gouvernement par représentation ou gouvernement représentatif.

Le gouvernement direct dans sa plénitude implique

que le corps des citoyens exerce lui-même toutes les fonctions de l'Etat, la fonction législative, la fonction administrative et la fonction juridictionnelle. Mais il est une fonction qu'il est à peu près dans l'impossibilité absolue d'exercer, c'est la fonction administrative. Il est matériellement impossible que le corps des citoyens fasse lui-même tous les actes de cette fonction, et exerce l'action continuelle qu'implique sa mise en œuvre. Rousseau lui-même, l'apôtre du gouvernement direct, déclare qu'un gouvernement démocratique absolu, c'est-à-dire un gouvernement où toutes les fonctions publiques seraient exercées par le corps des citoyens, est impossible. « S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement» (Contrat social, liv. III, chap. Iv). Dans les cités antiques, qui ont poussé le plus loin l'application du gouvernement direct, les fonctions administratives et la plupart des fonctions juridictionnelles étaient exercées par des magistrats institués par le peuple. La fonction juridictionnelle pénale fut à Rome exercée pendant longtemps par le peuple pour certaines infractions.

La fonction qui a été surtout exercée directement par le corps des citoyens est la fonction législative. On sait que dans les cités grecques et romaines, le vote direct de la loi par l'assemblée du peuple a été le mode normal et général de la confection des lois. A Rome, on trouve encore sous Auguste et sous Tibère des lois votées par les comices (Girard, Manuel de droit romain, p. 49).

Dans les Etats modernes le vote direct des lois par l'assemblée du peuple est en général matériellement impossible, à cause de la grandeur du territoire et du nombre de la population. C'est la raison qui a dù contribuer surtout à l'adoption du gouvernement représentatif. Il y a cependant en Europe quelques petits Etats où se pratique encore aujourd'hui le vote direct. des lois par l'assemblée du peuple. Ce sont quelques

cantons suisses: Uri, Schwytz et Unterwalden. L'assemblée du peuple (Landgemeinde) se réunit sur la place publique à certaines époques, vote les lois, statue sur toutes les questions d'intérêt général et nomme les magistrats. C'est le gouvernement direct véritable. Il paraît remonter par une tradition ininterrompue jusqu'à la constitution des civitates germaniques décrites par Tacite.

Cf. Curti, Le referendum, édit. franç., 1905, surtout p. 307; J. Signorel, Etudes de législation comparée sur le referendum législatif, 1896, et surtout Ryffel, Die schweizerischen Landsgemeinden, 1904; Delpech, Referendum et landsgemeinde suisses, Revue du droit public, 1906, p. 193; Ibid., le texte de la const. d'Unterwalden-le-Haut, du 27 avril 1902, et du règlement sur la Landsgemeinde du 23 mars 1895.

Mais à l'époque moderne le gouvernement direct. ainsi compris reste tout à fait une exception. Au contraire, une part très considérable a été faite en France à certaines époques et encore à l'étranger à une forme atténuée du gouvernement direct, qu'on a quelquefois même appelée le gouvernement semi-représentatif (Esmein, Revue du droit public, 1895, I, p. 15), et qui consiste essentiellement dans le système du referendum. Les lois sont discutées et votées par un parlement; mais elles n'ont l'autorité de lois et ne peuvent s'imposer à l'obéissance des citoyens que lorsqu'elles ont été approuvées par le corps des citoyens directement consulté. Le referendum se distingue très nettement du plébiscite. Le referendum est une part faite au gouvernement direct; le plébiscite tend au contraire à établir un gouvernement représentatif; c'est l'acte par lequel le peuple délégue la souveraineté à un homme et le charge parfois, en outre, de faire une constitution. Le vote du 20 décembre 1851, chargeant le Prince Louis-Napoléon de faire une constitution sur les cinq bases de la proclamation du 2 décembre, était un plébiscite et non un referendum.

Du referendum doit aussi être distingué le veto populaire, qui s'en rapproche cependant. Au cas de veto

« PreviousContinue »