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populaire, la loi est volée par le parlement qui lui donne lui-même la force de loi; mais dans un certain délai déterminé par la constitution, et sur une initiative dont l'exercice est aussi déterminé par la constitution, le peuple peut être directement consulté sur le point de savoir s'il ne s'oppose pas à l'application de la loi. Le veto populaire équivaut à ce qu'on appelle quelquefois le referendum facultatif. Parfois on a usé de ce que l'on appelle le referendum consultatif. Ce n'est plus une loi faite que l'on soumet à la ratification populaire; c'est une loi à faire dont on soumet le principe au peuple, pour éclairer le parlement et, si le principe de la loi est adopté, pour donner plus d'autorité à la loi qui sera faite. Enfin certains pays, notamment des cantons suisses, ont fait une part à l'initiative populaire lorsqu'une proposition de loi réunit un cerlain nombre de signatures, le corps législatif est régulièrement saisi et doit délibérer sur la proposition due à l'initiative populaire.

Que faut-il penser de ces différents systèmes faisant une part au gouvernement direct du peuple? A notre estime ils présentent de sérieux avantages. Assurément le gouvernement direct pur est impraticable dans les grands pays modernes. On l'a dit et répété. Assurément aussi un corps législatif composé d'hommes instruits et distingués est plus compétent pour discuter et voler les lois que le peuple lui-même. Mais nous pensons cependant que si le gouvernement direct véritable est impossible, le système du referendum peut être utilement pratiqué. De deux choses l'une, ou la volonté de la nation est une réalité, ou elle est une chimère. Si elle est une réalité, le but à atteindre est évidemment d'établir une concordance aussi complete que possible et permamente entre l'assemblée qui vote les Lois et la volonté nationale au moment où telle loi est votée. Or le moyen qui parait le plus simple pour réaliser cet objet, c'est de soumettre, toutes les fois qu'il peut y avoir un doute sur cette concordance, le texte de la loi au corps des citoyens. La durée des législatures doit évidemment être de quelques années. La durée de quatre ans fixée par la loi française du 30 novembre 1875 (art. 15) parait être heureusement choisie. Une durée plus courte rendrait très difficile le travail parlementaire. Et cependant quand un parlement est aux affaires depuis déjà trois années, par exemple, peut-on affirmer qu'il représente exactement la volonté nationale?

M. Esmein, qui, dans ses Eléments de droit constitutionnel, a

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écrit un véritable réquisitoire contre toutes les formes possibles du gouvernement direct, dit que le système est surtout mauvais parce que l'on soumet aux votes du peuple une loi tout entière, un bloc indivisible, que dans ces conditions le vole n'est plus libre, le volant étant souvent pris dans celte alternative ou de repousser une loi qu'il croit bonne dans son principe, à raison de telle disposition qu'il juge inadmissible, ou d'admettre cependant cette disposition pour ne pas repousser la loi tout entière» (p. 315). Cela est exact; mais le membre du parlement qui doit voter sur l'ensemble d'une loi se trouve identiquement dans les mêmes conditions; cette situation n'est donc pas spéciale aux membres de l'assemblée du peuple à à laquelle est soumise une loi. D'autre part l'inconvénient signalé par M. Esmein ne nous parait pas suffisant pour faire écarter le système du referendum, qui incontestablement présente des avantages considérables. D'ailleurs le moyen d'apprécier la valeur du referendum, c'est de voir quels résultats il produit dans les pays où il fonctionne. Cf. Dulhoit, Le suffrage de demain, 1901; Delpech, Revue du droit public, 1905, p. 372; Klein, Il referendum legislativo, 1905; Schwartz, Das Volksstimmenhaus, Zeitschrift de Grünhut, 1906, p. 403.

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On sait que d'après Rousseau, la représentation constituait véritablement une aliénation de la souveraineté et qu'un peuple n'était libre qu'à la condition qu'il votat lui-même ses lois. Rousseau ne proscrivait point les assemblées délibérantes composées des élus du peuple. Mais elles ne pouvaient, d'après lui, qu'arrêter un projet, lequel ne pouvait devenir loi que par le vote du peuple. Le passage est célèbre : La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée. Elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté générale ne se représente point; elle est la même où elle est autre; il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants: ils ne sont que ses commissaires; ils ne peuvent, rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle: ce n'est point une loi. Le peuple anglais pense être libre; il se trompe fort; il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement: sitôt qu'ils sont élus il est esclave, il n'est rien »> Contrat social, liv. III, chap. xv. Rap. liv. II, chap. 1.

On a quelquefois cité un passage de l'Esprit des lois qui semblerait prouver que Montesquieu était aussi partisan du gouvernement direct : « Le peuple, qui a la souveraine puissance, doit faire par lui-même tout ce qu'il peut bien faire et ce qu'il ne peut pas bien faire, il faut qu'il le fasse par ses ministres » Liv. II, chap. 1). M. Esmein fait justement observer que Montesquieu n'entendait point exprimer là un principe général, mais que dans ce chapitre intitulé du gouvernement républicain et des lois relatives à la démocratie, il voulait seulement exposer le système des démocra

ties antiques qui ne connaissaient point le gouvernement représentatif. C'est en ce sens qu'il disait plus loin : « C'est encore une loi fondamentale de la démocratie que le peuple seul fasse les lois ». Malgré ces passages on a parfaitement raison de considérer Monlesquieu comme un adversaire du gouvernement direct et un parlisan du gouvernement représentatif. Ce parait bien être au célèbre chapitre vi du livre XI que Montesquieu a décrit, à propos de la constitution d'Angleterre, le mode de gouvernement qu'il considère comme le meilleur. Or on y lit : « Comme dans un Etat libre tout homme qui est censé avoir une ame libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative; mais comme cela est impossible dans les grands Etats el est sujet à beaucoup d'inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu'il ne peut faire par luimême... » Et encore: « Il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républiques; c'est que le peuple avait droit d'y prendre des résolutions actives et qui demandent quelque exécution, chose dont il est entièrement incapable. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce qui est très à sa portée. Car s'il y a peu de gens qui connaissent le degré précis de la capacité des hommes, chacun est pourtant capable de savoir, en général, si celui qu'il choisit est plus éclairé que la plupart des autres ». V. des idées analogues dans de Lolme, La constitution de l'Angleterre, liv. II, chap. v, p. 252, Paris, 1819. Il est probable que si Montesquieu avait vécu au commencement du xxe siècle il n'aurait pas écrit cette phrase; il aurait vu en effet que le peuple ne sail point choisir les plus éclairés, que dans ses choix il se décide souvent par des considérations tout à fait étrangères à la capacité de ceux qui sollicitent ses suffrages et que peut-être il serait plus aple à voter de bonnes lois qu'à choisir pour le représenter les plus éclairés et les plus dignes.

L'influence de Montesquieu était prépondérante à l'Assemblée nationale de 1789. Aussi voulut-on organiser un gouvernement représentatif. « La constitution française est représentative » (Const. 1791, tit. III, préamb., art. 2. On ne fit aucune part au gouvernement direct. Ce n'est pas cependant que la proposition n'en ait pas été faite. Dès le mois de septembre 1789, Pétion, Rabaud SaintElienne, Dupont de Nemours proposent « que lorsque le veto du roi sera opposé, la loi elle-même soit soumise aux assemblées primaires, qui répondront par oui ou par non ». Mais cette proposition ne fut point prise en considération (Archiv. parl., 1re série, VIII, p. 571 et 573). Plus tard, le 30 août 1791, au moment où l'on procède à la revision et au vote définitif de la constitution, Malouet demande que la constitution qu'on vient de voter « soit soumise à l'acceptation libre de la nation ». Mais cela provoque une grande indignation dans l'Assemblée. « Notre constitution, s'écrie Lechapelier, est acceptée par les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la nation et je ne dis pas assez »> (Ibid., XXX, p. 64).

Mais au contraire à la Convention les idées de Rousseau on la prépondérance, et l'on veut faire une large part au gouvernement direct du peuple. D'abord il est un point sur lequel on est unanime, c'est que les lois constitutionnelles ne peuvent être votées définitivement par l'assemblée, qui ne peut faire qu'un projet et qu'elles ne sont définitives qu'après avoir été soumises à l'approbation du peuple directement consulté. C'est ce procédé qui a été suivi par les conventions des Etats-Unis de l'Amérique du Nord: l'exemple s'impose; la France a elle aussi une convention; la constitution qu'elle fera sera, comme les constitutions américaines, soumise à l'approbation du peuple. C'est aussi la conséquence forcée du caractère qu'on attribue à la constitution. Toujours sous l'influence décisive de Rousseau, on voit dans une constitution un véritable contrat social; les clauses de ce contrat peuvent être proposées par les élus du peuple; mais ce contrat ne peut être définitif que s'il est accepté par le peuple. Cette idée était peut-être vraie en Amérique où des Etats nouveaux se créaient, et où dès lors les constitutions pouvaient être considérées comme les pactes sociaux qui leur donnaient naissance. Mais il n'en était point ainsi en France; celle-ci existait comme Etat depuis des siècles; la loi constitutionnelle était une loi comme une autre, qui organisait le gouvernement; on pouvait lui donner plus de solennité, la voter dans des conditions particulières; mais si le referendum n'était pas nécessaire pour les lois ordinaires, il ne l'était pas davantage pour les lois constitutionnelles. Cependant l'idée de pacte constitutionnel était dans beaucoup d'esprits. Dès le 21 septembre 1792, Couthon disait à la Convention: « Nous sommes appelés de toutes les parties de l'empire pour rédiger un projet de contrat social; je dis projet car je pense bien qu'il n'y aura qu'un vœu pour soumettre à la sanction du peuple toutes les dispositions de la constitution ». Le même jour Danton disait : « Il ne peut exister de constitution que celle qui sera textuellement, nominalement, acceptée par la majorité des assemblées primaires ». Et Cambon « rend hommage au grand principe développé par le citoyen Danton, à savoir que les représentants du peuple français n'ont d'autre pouvoir que de faire un projet de constitution >> (Moniteur, Réimpression, XIV, p. 6 et 7. Le 21 septembre 1792 en effet la Convention vole à l'unanimité la résolution suivante : « Il ne peut y avoir de constitution que celle qui est acceptée par le peuple ». Conformément à ce principe les constitutions de 1793 et de l'an III furent soumises à l'approbation populaire.

Mais la Convention ne se contenta pas de déclarer que toute loi constitutionnelle devait être approuvée par le peuple, elle voulut aussi, toujours sous l'influence de Rousseau, faire participer le peuple à la confection des lois ordinaires. Le comité qui prépara le projet de constitution connu sous le nom de constitution girondine reconnut qu'il était impossible de soumettre toutes les lois à l'ap

probation populaire; mais il proposa un système assez compliqué qui se résumait en un droit d'initiative et un droit de veto populaires. V. le titre VIII du projet de constitution girondine intitulé: De la censure du peuple sur les actes de la représentation nationale et du droit de pétition; Duguit et Monnier, Les constitutions de la France, p. 55; et le rapport de Condorcel, Moniteur, Réimpression, XV, p. 456 et suiv.

On sait que le projet de constitution girondine, entraîné dans la chute de ses auteurs, ne fut jamais volé. La constitution montagnarde de 1793 voulut aussi assurer la participation du peuple à la confection des lois. Elle distingue les décrets et les lois et déclare que le corps législatif rend des décrets et propose des lois (art. 53); elle énumère les matières qui doivent faire l'objet des décrets art. 54 et 55). La loi est proposée par le corps législatif et votée par le peuple voilà le principe. Mais en fait la constitution de 1793 organise un veto populaire plutôt qu'un véritable referendum. Si quarante jours après l'envoi dans les communes de la loi proposée par le corps législatif, dans la moitié des départements plus un le dixième des assemblées primaires de chacun d'eux n'a pas réclamé, le projet est présumé accepté et devient loi. S'il y a réclamation, le corps législatif convoque les assemblées primaires qui votent alors sur le texte de la loi (art. 58-60). La constitution de 1793 accordait aussi au peuple un certain droit d'initiative en matière de revision constitutionnelle : « Si dans la moitié des départements plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d'eux, régulièrement formées, demandent la revision de l'acte constitutionnel..., le corps législatif est tenu de convoquer toutes les assemblées primaires... pour savoir s'il y a lieu à une convention nationale» art. 115). On sait que cette constitution de 1793 n'a point été appliquée.

Depuis on n'a jamais appliqué en France le système du referendum qu'en matière constitutionnelle. Mais il a été complètement déformé. Cf. pour les détails, infra. § 148, De l'établissement et de la revision des lois constitutionnelles de 1789 à 1875.

L'art. 6 de la constitution de 1852 et l'art. 13 de la constitution de 1870 portaient que le président de la république d'abord, l'empereur ensuite «<< est responsable devant le peuple auquel il a toujours le droit de faire appel ». Ni l'étendue de cette responsabilité ni la forme de cet appel au peuple n'étaient déterminées, et Napoléon III n'y eut point recours. M. Esmein p. 327) fait observer qu'aucune limitation n'élant apportée à ce droit, Napoléon aurait pu, à propos d'une mesure quelconque, d'un conflit quelconque avec les chambres, s'adresser à la nation par un referendum consultatif.

L'Assemblée de 1871, entièrement dominée par l'idée de gouvernement représentatif, ne songea pas un instant à soumettre à un referendum les lois constitutionnelles qu'elle volail. La proposition

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