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la chambre ne l'examina même pas et valida l'élection. - Deux députés de Paris, M. Dejante et M. Groussier, avaient remis leurs démissions en blanc à leurs comités avant l'élection générale de 1893. Ces démissions furent envoyées par les comités en 1896 au président de la chambre des députés, lequel déclara très justement qu'il considérait ces démissions comme non avenues. V. sur tous ces points, Dandurand, Le mandat impératif, 1896; Briol, Du mandat législatif, 1905.

Beaucoup de constitutions et de lois électorales étrangères contiennent des dispositions analogues à celles du droit français Nous citerons par exemple l'art. 29 de la constitution de l'empire allemand de 1871 « Les membres du Reichstag représentent le peuple tout entier et ne sont liés par aucun mandat ni instruction », l'art. 32 de la constitution belge de 1831: « Les membres des deux chambres représentent la nation et non uniquement la province ou la subdivision de province qui les a nommés »; l'art. 91 de la constitution suisse de 1874: « Les membres des deux conseils volent sans instructions ». La plupart des lois électorales ou des constitutions des États de l'Union américaine prohibent le mandat impératif. En Angleterre, il n'y a pas de texte; mais c'est une règle essentielle, de l'avis des jurisconsultes anglais, que les députés ont une entière indépendance, une liberté absolue, et, à la fin du xvme siècle, Blakstone écrivait déjà: « Chaque membre, quoique choisi par un district particulier, une fois élu, est représentant pour tout le royaume » (Commentaires, édit. franç., 1822, I, p. 227).

De ce que le député n'est pas lié par les instructions ou le mandat que lui auraient donnés ses électeurs, il ne faut pas cependant conclure, comme le fait M. Esmein (4o édit., p. 307), que « dans les limites des attributions qui leur sont conférées, les députés sont appelés à décider librement, arbitrairement, au nom du peuple qui est censé vouloir par leur volonté et parler par leur bouche ». Sans doute, le député en droit ne doit aucun compte aux électeurs de la circonscription qui l'a nommé; cette circonscription n'a aucun droit; lui en reconnaître, ce serait contraire au principe même de la souveraineté nationale une et indivisible. Mais l'assemblée tout entière doit rendre compte au corps électoral tout entier du mandat qu'elle a reçu. C'est l'idée de mandat qui est le fondement même de la théorie française du régime représentatif, Les députés ne peuvent donc pas décider arbitrairement, parce que l'assemblée qu'ils composent doit décider conformément au mandal qu'elle a reçu de la nation, «< conformément au vou national », suivant l'expression de Siéyès. Les élections générales, qui doivent avoir lieu à des époques assez rapprochées, ont précisément pour but de permettre à la nation d'apprécier la manière dont les représentants ont exécuté le mandat qu'elle leur avait donné. Comme on l'a déjà dit (§ 51), les institutions qui ont pour but de garantir dans la mesure du possible la correspondance exacte des votes du parle

ment à la volonté nationale, sont en principe excellentes et forment le complément nécessaire du régime représentatif. Le referendum est une de ces institutions. Il en est de même de la dissolution du parlement par le chef de l'Etat, laquelle permet au peuple de dire si le parlement s'est conformé au mandat donné.

Le corps électoral ne peut exprimer sa volonté que par la majorité qui se forme dans les diverses circonscriptions électorales. En droit, nous le voulons bien, les circonscriptions électorales ne sont rien; en fait, on ne peut pas s'en passer; et c'est dans les circonscriptions électorales que les opinions se forment, que les solutions se donnent et que les élections se font. Par là naissent des relations plus intimes entre les députés et leurs circonscriptions respectives. En droit, les députés sont les représentants du pays tout entier; c'est la chambre entière qui reçoit un mandat du pays tout entier. En fait, par la force même des choses, des liens particulièrement étroits unissent les députés à leurs circonscriptions. Ces liens deviendront de plus en plus forts à mesure que les partis s'organiseront plus complètement, et surtout quand sera établie, dans un avenir prochain probablement, la représentation proportionnelle. La reconnaissance de ces relations particulièrement étroites entre le député et sa circonscription se concilie d'ailleurs très bien avec le système du mandat représentatif tel que nous le comprenons et tel qu'il nous parait résulter des lois françaises ; mais elle est inconciliable avec le système du mandat représentatif tel que l'expose M. Esmein. Une théorie juridique qui méconnait aussi complètement des faits patents est par là même condamnée ; toute théorie juridique qui ne s'adapte pas exactement aux fails est sans valeur. Il faut ajouter qu'avec la théorie qui soutient que le député est complètement indépendant de ses électeurs on ne peut expliquer la pratique qui est suivie en France et à l'étranger et d'après laquelle le vote des députés a lieu au scrutin public, afin que leurs électeurs connaissent le sens de leur vote et puissent, s'il y a lieu, leur demander des explications. Cette pratique est trop générale pour qu'on y puisse voir une simple exception aux véritables règles du régime représentatif.

De la théorie du mandat représentatif on conclut souvent que les députés sont de véritables fonctionnaires et seulement des fonctionnaires. Il est difficile de donner une autre solution; cependant ces fonctionnaires sont dans une situation bien particulière. En effet, puisque c'est le parlement qui reçoit le mandat de la nation tout entière, puisque c'est lui qui fait la loi, qui décide, les députés sont absorbés par le parlement; juridiquement ils ne sont rien; le parlement a seul une volonté, seul une personnalité juridique, seul des pouvoirs, seul des droits. Mais dans la réalité, ce sont les députés qui volent, qui agissent, qui parlent, qui légifèrent. Dès lors, quel est véritablement leur caractère? Dans la doctrine du mandat impératif, leur situation est très nette: les députés, manda

taires de leurs électeurs, sont titulaires du droit subjectif d'exercer la part de souveraineté appartenant à leurs électeurs et sous le contrôle de ceux-ci. Dans la doctrine du mandat représentatif, la solution est plus difficile, puisque logiquement ils ne devraient rien être, et qu'en fait ils sont et font tout. La solution qui parait la moins mauvaise est en effet celle d'après laquelle les députés sont des fonctionnaires; ils sont investis par la loi du pouvoir objectif d'exprimer la volonté du parlement, lequel est représentant de la volonté nationale. Ils ont ainsi en vertu de la loi une certaine compétence; et cela est le propre des fonctionnaires. Mais comme cette compétence consiste à exprimer la volonté d'un organe représentatif, ils sont des fonctionnaires dans une situation toute particulière, qui explique les immunités dont ils sont investis dans tous les pays qui pratiquent le régime représentatif (cf. §§ 111-116).

De la théorie de la représentation, fondée sur le mandat donné par la nation au parlement, telle qu'on vient de l'exposer et qu'elle est impliquée par les textes du droit français, il résulte que ne peuvent avoir le caractère représentatif que les corps élus. Nous ne disons pas que tous les corps élus aient le caractère représentatif, mais seulement qu'un corps non élu ne peut pas avoir le caractère représentatif. C'est ainsi, par exemple, que les assemblées politiques héréditaires ou nommées par un monarque ne peuvent avoir le caractère représentatif. On a parfois soutenu le contraire; on verra au § 53, que certaines théories de la représentation politique aboutissent à cette conséquence, que même une assemblée non élue peut avoir le caractère représentatif. Cela nous paraît en contradiction avec des faits évidents, et la doctrine française nous semble faire à cet égard une construction juridique très exacte. Un corps représentatif ayant ce caractère essentiel d'exprimer la volonté nationale, on comprendrait difficilement qu'un corps puisse avoir le pouvoir d'exprimer la volonté nationale quand il a été constitué sans aucune participation des volontés dont le groupement forme cette volonté nationale.

On a parfois indiqué comme conséquence de la théorie du mandat représentatif, « que la population doit

être la seule base de la représentation; que tout autre. répartition dénaturerait encore la souveraineté nationale qui suit la loi du nombre » (Esmein, 4° édit., p. 231). De cela, il résulterait qu'on ne peut, sans violer les vrais principes du gouvernement représentatif, organiser la représentation proportionnelle des partis, ni la représentation des groupes sociaux ou représentation professionnelle. Il n'y a pas, à notre sens, d'idée plus fausse que celle-là : un pays ne possède vraiment le régime représentatif que lorsqu'il a la représentation proportionnelle et la représentation professionnelle; ni l'une ni l'autre ne sont contraires à la théorie française du mandat représentatif. Cf. sur ces deux points $$ 56 et 57.

De même, on a dit parfois, et particulièrement au moment du vote de la constitution de 1848, que le système des deux chambres était incompatible avec les vrais principes de la représentation de la volonté nationale. On montrera au § 56 qu'il n'en est rien.

Nous avons supposé jusqu'à présent que la représentation de la volonté nationale appartenait à une assemblée; c'est ce qui a lieu le plus ordinairement. Mais rien ne s'oppose, dans la théorie même du mandat représentatif, à ce que la nation donne mandat à un homme de la représenter. La théorie française du mandat représentatif reste la même, que le mandat soit donné à une collectivité ou à un seul. L'idée d'une représentation du peuple par un homme existait déjà dans la concession de la puissance tribunitienne, accordée par le peuple aux premiers empereurs romains au moyen de la lex regia. La constitution de 1791 (tit. III, préamb., art. 2) déclare que les représentants de la nation sont : « le corps législatif et le roi ». Dans la constitution de 1848, on lit : « Le peuple français délégue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président de la République » (art. 43). On sait que le président de la république devait être élu pour quatre ans au suffrage direct et universel. Enfin

Napoléon III, à l'exemple de Napoléon Ier, s'est toujours déclaré le représentant du peuple. Dans la théorie impérialiste, les plébiscites du premier empire et ceux de 1851 et de 1852 ne sont autre chose qu'un mandat donné par le peuple français aux deux Napoléon. Nulle part ce mandat n'est plus nettement affirmé que dans l'art. 5 de la constitution de 1852 reproduit dans l'art. 13 du sénatus-consulte constituant de 1870: « Le président de la république (l'empereur) est responsable devant le peuple français auquel il a toujours le droit de faire appel

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Il n'est donc pas douteux que nos constitutions françaises, tout en proclamant le principe de la souveraineté nationale, aient admis la possibilité d'une représentation au profit d'un homme. Mais cette représentation soulève des questions particulières. Un pouvoir représentatif peut-il être donné à un homme à vie, sans atteinte au principe de la souveraineté nationale? Un pouvoir représentatif peut-il être donné à un homme à titre héréditaire sans atteinte à la souveraineté nationale? En d'autres termes, la monarchie héréditaire est-elle compatible avec la souveraineté nationale? La question sera examinée au § 58.

Enfin, il peut se faire que le pouvoir représentatif soit donné à plusieurs corps ou à un corps et à un homme, par exemple comme dans la constitution de 1791 « au corps législatif et au roi » (tit. III, préamb., art. 29), dans la constitution de 1848, à une assemblée nationale et au président de la république. On aperçoit la question qui se pose alors. La souveraineté est-elle déléguée en bloc à des organes qui l'exerceront en commun, en collaboration? Ou au contraire les différentes prérogatives de la souveraineté seront-elles divisées, et ces prérogatives données séparément à tous les organes de représentation? C'est la question célèbre de la séparation des pouvoirs qui sera étudiée au

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