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forme ou contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

Cf. Jacquelin, Les principes dominants du contentieux adminis tratif, 1899, et Artur, Séparation des pouvoirs et séparation des fonctions, 1905, principalement p. 59 et suiv.

On rattache unanimement tout l'ordre administratif au pouvoir exécutif; les agents de l'administration sont considérés comme des agents exécutifs. En vérité, nous ne voyons pas pourquoi on ne se pose pas aussi la question de savoir s'il n'y a pas un quatrième pouvoir, le pouvoir administratif. M. Hauriou (5o édit., p. 184) dit qu'il faut conserver cette idée traditionnelle qui rattache l'administration à l'exécution; et il en donne une raison mystique que nous n'avons pas comprise (cf. § 47 in fine), M. Artur déclare que le premier élément constitutif de tout pouvoir, c'est la séparation des fonctions, el que le second, c'est une indépendance suffisante des dépositaires de chaque fonction. S'il en est ainsi, il n'y a pas de raison pour que l'administration ne constitue pas un pouvoir distinct du pouvoir exécutif. La fonction administrative est, nous croyons l'avoir établi ef. § 47), complètement différente de la fonction exécutive, si du moins on admet l'existence de celle-ci. D'autre part, beaucoup de fonctionnaires administratifs ont une indépendance très grande à l'égard du gouvernement; il suffit de citer les conseils administratifs élus, comme les conseils généraux, qui accomplissent au nom de l'Etat beaucoup d'actes administratifs. Si le criterium auquel, d'après M. Artur, on reconnaît les pouvoirs est vrai, on devra dire qu'il existe un pouvoir administratif distinct du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. — Nous n'avons point l'intention de soutenir un pareil paradoxe; mais nous disons cela pour montrer tout de suite combien est artificielle et vaine la controverse née sur le point de savoir s'il y a un pouvoir judiciaire ou une autorité judiciaire, el combien est incertain le criterium proposé par M. Artur.

De même que la question d'un pouvoir administratif, distinct du législatif et de l'exécutif, ne se pose pas, de même, à notre avis, ne se pose pas non plus la question d'un pouvoir judiciaire. Pour établir que le pouvoir judiciaire est un troisième pouvoir distinct. du pouvoir exécutif, on doit démontrer, dit-on, qu'il y a une fonction de juger distincte des autres fonctions de l'Etat, et particulièrement de la fonction exécutive, et une indépendance suffisante des dépositaires de la fonction judiciaire (Artur, loc. cit., p. 69). · Non, quand on aura démontré cela, on n'aura point démontré que la justice forme un troisième pouvoir. Sans doute, la fonction de juger est une fonction tout

à fait distincte de la fonction législative, de la fonction exécutive et de la fonction administrative. Nous admettons même que l'inamovibilité de la magistrature assure une indépendance suffisante aux magistrats. Tout cela ne prouve pas qu'il y ait un pouvoir judiciaire autonome, qu'il puisse même y en avoir un, car tout cela est vrai pour l'administration, et on ne pense point à faire de l'administration un pouvoir autonome. Pour démontrer que la justice est un pouvoir autonome, il faudrait démontrer qu'elle est un élément détaché de la souveraineté de l'Etat incorporé en un organe de représentation. Or, cette démonstration est impossible, parce que ce fractionnement de la souveraineté est lui-même impossible. C'est une conception métaphysique sans valeur réelle. Elle a été une règle du droit positif français à un moment donné, parce que les constitutions de 1791 et de l'an III et peutêtre de 1848 avaient expressément déclaré que la justice était un fragment de souveraineté dont les juges se trouvaient investis. Mais aujourd'hui, aucun texte positif ne consacre cette conception; elle ne saurait donc être admise, puisqu'elle est en soi arbitraire et contradictoire avec la notion même de souveraineté une et indivisible. Nous n'en conclurons pas, comme la majorité des auteurs qui repoussent l'idée d'un pouvoir judiciaire autonome, que la justice se rattache au pouvoir exécutif. Pour nous, on l'a vu, il n'y a pas plus de pouvoir exécutif qu'il n'y a de pouvoir législatif. Il y a des agents judiciaires et des agents administratifs, des agents judiciaires qui sont placés sous le contrôle du gouvernement placé lui-même sous le contrôle du parlement. C'est le gouvernement qui les nomme, comme il nomme les agents administratifs; c'est le gouvernement qui doit assurer la bonne administration de la justice. Le gouvernement a même, près des corps judiciaires les plus importants, des agents spéciaux, les agents du ministère public qui sont chargés de le représenter.

Mais, dit-on, la preuve que derrière l'acte du magistrat judiciaire se cache un véritable pouvoir souverain, autonome, distinct des autres pouvoirs, c'est que la décision du magistrat s'impose à tous, s'impose au gouvernement, et même au parlement. Cela ne prouve rien. Quand un administrateur fait un contrat au nom de l'Etat, son acte s'impose à tous, gouvernement, parlement; et il n'y a pas un organe qui puisse délier l'Etat des obligations nées à sa charge par l'effet de ce contrat. Il est d'ailleurs facile de montrer la vraie raison pour laquelle la décision du juge s'impose au parlement, au gouvernement. Il suffit de rappeler le vrai caractère de la fonction juridictionnelle : elle consiste ou bien à constater la violation de la loi et à en tirer logiquement les conséquences que la loi elle-même y attache, ou bien à constater l'existence et l'étendue d'un droit subjectif et à ordonner la réalisation de ce droit. Par conséquent, ce n'est pas à vrai dire la décision juridictionnelle qui s'impose à l'Etat, au gouvernement, au parlement, c'est la loi elle-même, c'est le droit subjectif lui-même dont l'existence et l'étendue ont été reconnues. La force obligatoire des décisions juridictionnelles à l'égard de l'Etat est donc une conséquence logique et simple de la conception de l'Etat de droit: l'Etat est lié par le droit objectif et le droit subjectif, quand, au cas de violation ou de contestation, ils sont constatés par les agents auxquels la loi a donné expressément compétence à cet effet.

Conclusion. Après cet exposé, nous pouvons répondre aux questions posées au début du § 54 et confondues à tort en cette question unique, complexe et partant singulièrement obscure, de la séparation des pouvoirs. Nous dirons: La volonté nationale peut être représentée par plusieurs organes. Il vaut même infiniment mieux qu'elle soit représentée par plusieurs organes que par un seul, parce que ces organes se limiteront, se pondèreront réciproquement. Mais s'il y a plusieurs organes de représentation, la sou,

veraineté ne peut pas être divisée en plusieurs éléments et on ne peut pas attribuer, sous le nom de pouvoir, à chacun de ces organes un élément partiel de la souverainté, celle-ci restant malgré cette division une et indivisible. La souveraineté est en effet la volonté de la nation personne; toute personne est indivisible; toute volonté qui en émane l'est aussi. Cette conception d'un pouvoir souverain, un en trois pouvoirs, est une conception métaphysique analogue au mystère chrétien de la trinité, qui a séduit les esprits parfois chimériques de l'Assemblée de 1789, mais qui est inadmissible dans une construction vraiment positive du droit public. Quand il y a plusieurs organes de représentation, ils collaborent forcément à toute l'activité générale de l'Etat; mais leur mode de participation est naturellement différent; il est réglé par la constitution de chaque pays et ce qu'on appelle improprement séparation des pouvoirs, c'est la diversité de la collaboration des différents organes à l'activité générale de l'Etat.

Enfin la souveraineté restant une et indivisible en son essence et étant exercée en collaboration par les organes de représentation, il existe dans tous les grands pays des agents, qui entrent en relations avec les particuliers et qui agissent sous le contrôle et sous l'impulsion des organes de représentation. Presque partout ces agents sont divisés en deux grandes catégories les agents administratifs et les agents judiciaires. Il paraîtrait logique que les uns eussent seulement la fonction administrative et toute la fonction administrative, les autres seulement la fonction juridictionnelle et toute la fonction juridictionnelle. En France, par suite d'influences historiques, de raisons pratiques, d'habitudes prises, la répartition des fonctions entre les deux catégories d'agents n'est pas ainsi faite, et notamment la fonction juridictionnelle appartient aux agents de l'ordre administratif quand son exercice implique l'appréciation d'un acte adminis

tratif. Cette séparation des agents judiciaires et des agents administratifs est aussi parfois appelée séparation des pouvoirs. Expression inexacte, qui est la cause de beaucoup de confusions et même d'erreurs; on devrait dire tout simplement, séparation des deux ordres judiciaire et administratif.

56. Les Parlements. Leur composition. - Le mot parlement est aujourd'hui passé définitivement dans la langue politique pour désigner les assemblées délibérantes qui ont en général pour mission principale de voter les lois et le budget. Ce mot, qui vient du bas latin parliamentum, sert en Angleterre depuis le XVe siècle à désigner les deux assemblées qui exercent avec le roi la puissance souveraine. En France, le mot était employé très anciennement pour désigner toute assemblée. Mais depuis le xve siècle il est réservé pour désigner les cours de justice souveraines, dont la plus ancienne, le Parlement de Paris, sorti de l'ancienne cour du roi, voulut, grâce à son droit d'enregistrement des édits du roi, jouer un rôle politique, invoquant parfois la similitude de nom et l'exemple du parlement anglais. Les Parlements cours de justice disparaissent en 1790, et au XIXe siècle, sur le continent comme en Angleterre, le mot parlement est devenu le terme générique par lequel on désigne les assemblées politiques.

Les parlements modernes ont, en général, une structure assez complexe. Le plus habituellement, ils sont élus, à un suffrage direct ou indirect, par un corps électoral plus ou moins étendu; et on voit dans les parlements élus les organes par excellence de la représentation nationale. Cependant, on peut concevoir très bien qu'un parlement ne soit pas élu, qu'il soit nommé tout entier, par exemple, par le chef de l'Etat, ou qu'il se compose tout entier de personnes y siégeant par droit de naissance.

Nous avons eu, en France, depuis la Révolution, des régimes politiques sous lesquels une partie du parlement n'était pas élec

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