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ne porte pas plus que les précédents. Assurément, les deux chambres ne peuvent pas, ne doivent pas avoir le même mode de recrutement. Peut-être pourrait-il se faire que, bien que recrutées de la même manière, les deux chambres eussent un esprit, des tendances différents; mais il serait à craindre qu'ils répondissent plutôt à des rivalités de personnes ou de partis qu'à des conceptions générales différentes des intérêts du pays. Assurément aussi, si l'une des deux chambres est héréditaire, si elle est nommée par le chef de l'Etat, si elle est élue à un suffrage restreint, ou si même élue au suffrage universel, le choix des électeurs ne peut porter que sur des citoyens appartenant à certaines catégories, on peut dire très justement qu'une assemblée ainsi recrutée ne représente pas la volonté nationale, et que dans un pays démocratique elle est une contradiction. Mais on peut trouver un système qui, tout en donnant aux deux chambres un mode de recrutement différent, fasse des deux chambres une représentation du pays. Par exemple l'une des chambres peut être élue au suffrage universel direct, et l'autre au suffrage universel à deux ou plusieurs degrés; l'une et l'autre peuvent alors prétendre représenter la volonté nationale; seulement, dans l'une des chambres la sélection sera plus grande que dans l'autre, et cette chambre sera naturellement appelée à exercer une action modératrice indispensable dans tout gouvernement. Mais telle n'est point cependant, à notre avis, la vraie solution du problème. On discute les mérites respectifs du suffrage direct et du suffrage à deux degrés; en vérité, on ne peut donner une solution générale, mais seulement une solution relative dépendant du degré de culture et de l'esprit politique du pays considéré. Quoi qu'il en soit, celui des deux modes de suffrages qui est reconnu le meilleur, soit absolument, soit dans le pays considéré, doit être appliqué aux deux chambres; il n'y a pas de raison de ne l'appliquer qu'à une seule, car alors le mode de nomina

tion de celle-ci serait bon, et celui de l'autre défectueux.

On aperçoit la vraie solution du problème si l'on comprend qu'une société, une nation se compose non seulement d'individus, mais encore de groupes d'individus qui constituent autant d'éléments sociaux distincts des individus les groupes communaux, familiaux, les associations ouvrières, agricoles, industrielles, commerciales, scientifiques et même religieuses. Si l'on veut que le parlement soit une exacte représentation du pays, il faut qu'il soit composé de deux chambres, dont l'une représentera plus particulièrement les individus (la chambre des députés) et dont l'autre (le sénat) représentera plus particulièrement les groupes sociaux, suivant un système que l'art politique saura déterminer pour chaque pays. Cf. § 56 la question de la représentation professionnelle. Les deux chambres ont alors un mode de recrutement démocratique, national; le parlement contient alors tous les éléments constitutifs du pays; il est véritablement un organe de représentation.

Cette idée a été nettement exprimée à la chambre des députés par M. l'abbé Lemire dans la séance du 16 mars 1894: « Le sénat, disait-il, est issu d'un mode de votation trop analogue au nôtre... A côté de la chambre des députés, issue du suffrage universel direct, je voudrais une autre chambre nommée par les divers états, professions, corps de métiers... Cette assemblée mettrait, à côté de la représentation numérique que nous avons, la représentation professionnelle que nous n'avons pas et que l'on demande de toutes parts. L'une contrôlerait l'autre ; et nous aurions de la sorte une constitution vraiment démocratique » (J. off., 1894, Débats parlem., chambre, p. 562).

M. Jenks justifie d'une manière analogue l'institution des deux chambres dans les pays démocratiques modernes, où les questions économiques sont des questions primordiales. Ayant en vue la constitution de l'Etat de Victoria Australie), il écrit: «< En termes généraux le conseil législatif est l'organe du capital... Les traits opposés qui caractérisent l'assemblée législative font... de celle-ci le porte-voix du travail. Et comme il est évidemment nécessaire que chacun de ces deux grands partis soit dûment représenté dans le gouvernement du pays, l'état de choses actuel est satisfaisant dans une certaine mesure » (Jenks, The government of Victoria, 1891).

Cf. notre étude sur l'Election des sénateurs, Revue polit. et parl., V, p. 460 el suiv., 1895.

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57. Les parlements. Leur nomination. On a montré, au début du paragraphe précédent, que les parlements non élus ne pouvaient pas avoir le caractère représentatif. Or, comme la forme générale des gouvernements modernes est la forme représentative, les parlements sont élus, et même dans la plupart des pays où le parlement se compose de deux chambres, toutes les deux sont élues. Nous avons indiqué la tendance qui se manifeste dans tous les pays modernes vers l'adoption du suffrage universel, et nous indiquerons aux §§ 99 et 100 l'état actuel des législations modernes sur ce point. Nous voulons seulement montrer ici comment le suffrage, restreint ou universel, intervient en général et doit intervenir pour la nomination des membres du parlement, organe représentatif de la volonté nationale.

Suffrage direct ou indirect. La première question qui se pose est celle de savoir si le suffrage doit être direct ou indirect, à deux ou à plusieurs degrés. La plupart des pays pratiquent aujourd'hui, au moins pour la chambre basse, le suffrage direct.

Nos assemblées de l'époque révolutionnaire au contraire préféraient le suffrage à deux degrés. On sait que la constitution de 1791 (titre III, ch. 1, seet. 11-sect. v) organisait des assemblées primaires de canton, qui nommaient des assemblées électorales, lesquelles nommaient les membres du corps législatif, les magistrats et les administrateurs de département et de district. Les membres des assemblées municipales et les juges de paix étaient seuls nommés directement par les assemblées primaires. L'Assemblée législative, par son décret du 10 août 1792, supprima la distinction des citoyens actifs et passifs (cf. § 99), mais maintint le vole à deux degrés, et la Convention fut bien élue au suffrage universel, mais au suffrage à deux degrés. La constitution de 1793 institua le suffrage universel direct pour l'élection des législateurs, mais elle conserva l'élection à deux degrés des administrateurs de département et de district, des arbitres publics et des juges criminels (Const. de 1793, art. 8, 80, 91 et 97). Avec la constitution de l'an III, la Convention revient au système général du suffrage à deux degrés; les assemblées électorales, élues par les assemblées primaires, élisent les membres du corps législatif, les membres du tribunal de cassation, les hauts

jurés, les administrateurs de département, les président, accusateur public et greffier du tribunal criminel, les juges des tribunaux civils (Const. an III, art. 41). Les juges de paix et les officiers municipaux étaient seuls nommés au suffrage direct.

L'expérience du suffrage à deux degrés faite pendant le Directoire, en application de la constitution de l'an III, n'est certainement pas favorable à ce mode de votation. On peut dire, il est vrai, que pendant cette période le fonctionnement de ce système a été faussé par diverses circonstances extérieures et que l'expérience ne s'est point faite dans des conditions normales. Le système du vote à deux degrés n'est point contraire au principe démocratique. On a montré au § 23 que le principe de la souveraineté nationale n'implique même pas le suffrage universel; a fortiori n'implique-t-il pas le suffrage direct. Nous croyons que la solution de la question ne peut être donnée d'une manière absolue, et dépend des circonstances, des mœurs du pays, et surtout de son degré de culture et de sagesse politique. Il est hors de doute que le suffrage indirect assure une meilleure sélection, atténue l'ardeur des luttes électorales, évite les entrainements irréfléchis. Par conséquent, dans les pays où l'instruction est peu répandue, où l'éducation politique est encore peu développée, il sera prudent d'établir le suffrage à deux degrés.

Que décider pour la France? On ne saurait méconnaître que chez nous la question n'est pas entière. Par un étrange abus de mots, suffrage universel et suffrage direct, suffrage restreint et suffrage à deux degrés sont devenus des expressions synonymes. Qui parlerait d'établir le suffrage à deux degrés, serait accusé de vouloir supprimer le suffrage universel. Nous croyons d'ailleurs que dans notre pays l'instruction est assez répandue et même l'éducation politique assez développée pour que les citoyens puissent voter directement. De plus, l'application du suffrage à deux degrés au sénat ne paraît pas avoir produit une sélec tion très grande dans cette assemblée, dont le niveau.

intellectuel est plutôt inférieur à celui de la chambre. Il convient de dire que la loi électorale du sénat a faussé le système du suffrage à deux degrés en donnant l'électorat sénatorial, non pas à des électeurs spécialement élus dans ce but, mais aux membres d'assemblées administratives élues ou à leurs délégués (cf. § 108).

Le corps

Scrutin de liste et scrutin uninominal. électoral, quel qu'il soit, ne peut évidemment former un collège électoral unique. Dans les grands pays qui comptent plus de dix millions d'électeurs, comme la France, il y a une impossibilité matérielle à cela. On est donc obligé de diviser le pays en circonscriptions électorales, qui nommeront chacune un certain nombre de députés. Cette nécessité matérielle a fait naître la question depuis longtemps très discutée du scrutin de liste et du scrutin uninominal. Le pays sera-t-il divisé en un certain nombre de petites circonscriptions ne nommant chacune qu'un seul député? Ou au contraire en circonscriptions plus étendues, qui chacune nommeront un certain nombre de députés, chaque électeur pouvant porter sur son bulletin de vote autant de noms que de députés à élire par la circonscription à laquelle il appartient?

En France, la question s'est surtout posée et se pose encore pour la chambre des députés; et comme les lois qui ont établi le scrutin de liste ont pris pour base des divisions électorales le département, et que celles qui ont établi le scrutin uninominal ont fixé les divisions électorales sur la base des arrondissements, la question est souvent appelée question du scrutin de département et du scrutin d'arrondissement.

En 1848, la constitution qui consacrait pour la première fois en France le principe du suffrage direct et universel, maintenait le système établi par le décret du gouvernement provisoire du 5 mars et décidait que l'élection des représentants se ferait par département et au scrutin de liste (art. 30). La loi électorale du 15 mars 1849 en réglait le fonctionnement. Le scrutin de liste était alors considéré par le parti républicain tout entier comme la condition

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